Résumé

Les chirurgies digestives sont les interventions les plus fréquentes dans les cliniques vétérinaires hormis les chirurgies de convenance. De signes cliniques discrets, leur diagnostic tardif entraîne une réduction considérable du temps de l’intervention. De ce fait, le praticien doit être équipé et apte à s’adapter en fonction des lésions présentes, afin d’éviter les complications post-opératoires. C’est dans cette optique que nous avons effectué cette étude dont le but était d’évaluer la disponibilité du matériel et des méthodes ou techniques de prise en charge des chirurgies digestives dans les cabinets vétérinaires en Afrique de l’ouest. Il est ressorti de l’étude que tous les cabinets vétérinaires d’Afrique de l’ouest (100%) font de la chirurgie des tissus mous sauf en côte d’ivoire (85,2%) et disposent d’un minimum de 02 trousses de chirurgie des tissus mous. Une difficulté de disponibilité de matériel de diagnostic complémentaire a été relevée et les règles d’asepsie sont peu ou pas respectées. La disponibilité du consommable reste également limitée (03 types de fils non-résorbables et 03 types de fils résorbables; seulement 04 molécules disponibles et d’utilisation dans le protocole anesthésique). De nombreuses contraintes ont été également soulevées par les praticiens dans la réalisation des actes chirurgicaux.


Mots clés: Chirurgies digestives, chirurgies de convenance, tissus mous, prise en charge, Afrique de l’Ouest

INTRODUCTION

En traumatologie vétérinaire, les lésions digestives font partie des plus grands motifs de consultation d’urgence (Atilla, 2017). Ce sont des lésions qui peuvent avoir de lourde répercussion sur la santé du patient à travers les infections (péritonite) qu’elles induisent (Snoek, 2021). Mais notons que certaines portions (ex: intestin) sont souvent plus atteintes que d’autres; d’après une étude réalisée par Grimes et al. (2011) seulement 8% des chirurgies gastro-intestinales concernaient le gros intestin. Plusieurs causes sont responsables de ces lésions, nous pouvons citer celles d'ordre pathologiques (obstructions, tumeurs, ulcères, etc.) (Walley et Goco, 1980; Parrah et al., 2013; Gill et al., 2019) ou traumatiques (accidents, polytraumatismes, etc.) (Karagoz et al., 2001). En effet, ce sont souvent pour la plupart des lésions secondaires masquées par d’autres plus superficielles (Moore et al., 1990; Albright et Field, 2000; Eckert et al., 2019). D’ailleurs, cela fait partie des causes du retard de leur diagnostic omis les signes cliniques discrets. Le diagnostic tardif de ces pathologies réduit considérablement le temps opératoire, ce qui augmente grandement le risque de complication post-opératoire grave telles que la péritonite, la déhiscence des sutures, etc. (Gill et al., 2019; Maxwell et al., 2021). Pour remédier à cela, le praticien doit être apte (matériel et techniques) à intervenir rapidement et à tout moment afin d’augmenter les chances de réussite de l’intervention (Sabuncuoglu et al., 2015; Duell et al., 2016; Davis et al., 2018). Peu d’études sont réalisées dans le monde et plus particulièrement en Afrique pour évaluer la pratique de la chirurgie en médecine vétérinaire. C’est dans ce sens que cette étude a été entreprise dans le but d’évaluer la disponibilité du matériel et des méthodes ou techniques de prise en charge des chirurgies digestives dans les cabinets vétérinaires au niveau de trois pays de l’Afrique de l’Ouest.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Zone d’étude

L’étude s’est déroulée dans trois (03) pays d’Afrique de l’Ouest, de janvier à avril 2021 pour la région de Dakar au Sénégal, de septembre à décembre 2021 pour le Niger et d’octobre 2022 à février 2023 pour la Côte d’Ivoire (CI) (Figure 1). Pour une certaine représentativité des cabinets vétérinaires dans les pays d’Afrique de l’Ouest, nous avons choisis les pays en fonction de certains critères comme l’effectif des cabinets vétérinaires du pays, leur richesse et leur niveau de développement. A cet effet, nous avons choisi le Sénégal à cause de son effectif élevé de cabinets vétérinaires et la région de Dakar comme zone pilote. La région de Dakar concentre près du quart de la population nationale avec un taux d’urbanisation de l’ordre de 96% (ANDS, 2020). A ce titre, Dakar possède le plus grand effectif de cabinets vétérinaires du Sénégal, soit 43 cabinets sur les 117 cabinets répartis sur tout le territoire (Ministère de l’élevage, 2021). La plus grande école panafricaine de formation des médecins vétérinaires d’Afrique occidentale et centrale francophone, l’École Inter-États des Sciences et Médecine Vétérinaires (EISMV) y est installée (Figure 1A). Le deuxième pays a été la Côte d’Ivoire, par sa population et son niveau de développement. Il se situe également dans la moyenne du nombre de cabinets des pays d’Afrique (Figure 1B). Et enfin le troisième pays a été le Niger, à cause de son niveau de développement économique et de sa population animale (Figure 1C).

Matériel

L’étude a été réalisée auprès des cabinets vétérinaires de la côte d’ivoire, du Niger, du Burkina Faso et de la région de Dakar au Sénégal.

Le matériel de terrain était composé d'un questionnaire élaboré à partir de la recherche documentaire; d'un ordinateur portable et une connexion internet pour le questionnaire disponible sur la plateforme KoboToolbox et l’analyse des données; d'une blouse; d'un appareil photo; d'un bloc-notes et d'un stylo pour noter les remarques observées lors des interventions chirurgicales et d'un moyen de déplacement sur le terrain (voiture et/ou moto).

Méthodes

Il s’agit ici d’une étude transversale à visée descriptive et analytique auprès des docteurs vétérinaires installés en clientèle privée. L’enquête s’est effectuée de façon directe pour certains cabinets et pour d’autres, elle s’est faite en ligne par l’envoi du lien du questionnaire rédigé sur la plateforme KoboToolbox, dans les boites mails des cabinets difficiles d’accès.

Échantillonnage et taille de l’échantillon

Puisque le nombre de cabinets est faible dans les différents pays, nous avons décidé d’enquêter sur la totalité des cabinets vétérinaires de chaque zone d’étude. Mais tous les cabinets n’ont pas participé à l’étude, de ce fait nous avons réalisé notre enquête que auprès de 79,4% (27/34) des cabinets de la Côte d’ivoire; 60,6% (20/33) des cabinets vétérinaires du Niger et 65,1% (28/43) des cabinets de la région de Dakar (Sénégal).

Collecte des données

Pour atteindre nos objectifs, deux types d’enquête ont été choisis: une enquête exploratoire et une enquête formelle ou transversale associée à une observation désengagée.

L’enquête exploratoire a consisté en des entretiens avec des personnes ressources de la profession vétérinaire des trois (03) pays concernés par l'étude (personnel de la direction des services vétérinaires, membres de l’ordre national des vétérinaires). Il s’agissait de la lecture et de la synthèse des informations disponibles (rapports et études antérieures) en vue de la réalisation de la fiche d’enquête. Ensuite, une pré-enquête a été réalisée auprès de 2 cabinets vétérinaires de la région de Dakar (Sénégal) pris au hasard afin de tester le questionnaire. Cette étape, très déterminante dans notre étude, nous a permis de retirer les questions confuses ou qui pourraient susciter la réticence des enquêtés. Ce n’est qu’après cette étape que nous avons conçu le questionnaire final de 82 questions également mis en ligne via la plateforme KoboToolbox. Ce questionnaire était composé de deux parties: La première partie a concerné le profil socio-économique des cabinets vétérinaires (la gestion du cabinet, le personnel, les différentes prestations offertes, etc.). La deuxième partie a concerné les interventions chirurgicales, la connaissance et la pratique de la chirurgie vétérinaire (les conditions de pratique de la chirurgie, les différentes chirurgies réalisées dans les cabinets vétérinaires, le matériel de chirurgie disponible, les difficultés rencontrées dans la réalisation des actes chirurgicaux, etc.).

A partir de la liste des établissements vétérinaires privés fournies par les Associations des Vétérinaires des différents pays, nous avions identifié 43, 33 et 34 cabinets vétérinaires reconnus respectivement à Dakar, au Niger et en Côte d’Ivoire. Le lien du questionnaire leur a ensuite été envoyé par mail ou via l’application WhatsApp. Les réponses des cabinets vétérinaires ont été enregistrées directement dans la base de données de la plateforme KoboToolbox. Notons que cette méthode a été utilisée seulement pour les cabinets vétérinaires qui étaient inaccessibles pour nous, compte tenu de la distance ou d'autres difficultés. Pour les autres, nous avons procédés à des interviews directes des responsables des cabinets vétérinaires. Nous procédions nous même à la saisie des réponses aux questions sur la plateforme KoboToolbox.

Traitement et analyse des données

Notre base de données enregistrée sur la plateforme KoboToolbox a été téléchargée afin d’être exportée sur le logiciel Microsoft Excel pour son réaménagement. Le réaménagement de la base de données a consisté à retirer les répétitions dans les réponses, supprimer les variables qui ne possédaient aucune valeur et corriger les erreurs d’orthographe dans les réponses. Cette base a par la suite été exportée en premier lieu dans le Logiciel R à partir de l’éditeur RStudio dans le but de réaliser nos analyses statistiques. Pour l’ensemble des variables quantitatives de notre étude, les moyennes et les écarts types ont été calculés.

RÉSULTATS

Profil des cabinets vétérinaires

La totalité des cabinets vétérinaires enquêtés au cours de notre étude étaient gérés par un docteur vétérinaire avec un minimum d’un assistant ou d’un stagiaire (Dakar (100%) et Niger (83%)) et deux assistants dans les cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire. Différentes prestations sont offertes dans ces cabinets, allant des conseils en élevage aux soins vétérinaires en passant par la vente de médicaments et du matériel d’élevage. La chirurgie est pratiquée dans la totalité (100%) des cabinets vétérinaires de Dakar et du Niger, et dans 85,2% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire.

La majorité des cabinets vétérinaires disposent d’un espace au sein de leur local pour la réalisation des actes chirurgicaux, mais respectivement 60,7%; 44,0% et 70,0% des cabinets vétérinaires de Dakar, du Niger et de la Côte d’Ivoire, disposent effectivement d’une salle uniquement dédiée à la chirurgie.

Pratique de la chirurgie dans les cabinets vétérinaires

La chirurgie la plus pratiquée a été celle des tissus mous qui est réalisé dans100% des cabinets vétérinaires des 3 pays de l’étude; tandis que 7,4%; 17,0% et 8,6% d’entre eux pratiquaient la chirurgie osseuse respectivement à Dakar, au Niger et en Côte d’Ivoire. La majorité des différents types d’espèce animale y sont également reçus en chirurgie (Figure 2).

Les interventions chirurgicales les plus pratiquées dans ces cabinets vétérinaires étaient la chirurgie abdominale, notamment la césarienne, la kélotomie, la ruminotomie/Gastrotomie, stérilisation, entérotomie/entérectomie, etc. (Figure 3).

Par ailleurs, tous les cabinets vétérinaires de la région de Dakar et de la Côte d’Ivoire ayant enregistré des cas d’entérotomie l’ont résolu avec des points simples ou un surjet simple et seulement 10,7 % d’entre eux ont eu recours à l’entérectomie dans certains cas. Par contre, aucun de ces cabinets vétérinaires n’a admis avoir reçu un cas de lésion duodénal nécessitant une chirurgie spéciale ou un patch. Néanmoins, 14,3% des cabinets vétérinaires de Dakar admettent avoir fait recours à l’épiploïsation lors de la chirurgie intestinale pour prévenir des fuites.

Méthodes et moyens utilisés dans la prise en charge des cas chirurgicaux

Examens préopératoires et complémentaires

Pour les examens complémentaires tels que l’échographie, elle était la plus réalisée dans respectivement 64,3% et 21,7% des cabinets vétérinaires de Dakar et de la Côte d’Ivoire suivie de la radiographie par 7,1% et 4,3% des cabinets vétérinaires de Dakar et de la Côte d’Ivoire. En ce qui concerne le scanner, aucun des cabinets vétérinaires des trois pays n’en disposait. Les examens préliminaires tels que le dosage sanguin ou des urines ne sont réalisés que par 21,4% et 21,7% des cabinets vétérinaires de Dakar et de Côte d’Ivoire.

Pratique de l’asepsie chirurgicale

Le principe de l’asepsie ou stérilisation du matériel chirurgical se limite au lavage et à la désinfection avec de l’alcool ou la povidone iodée pour 64,3%; 24,0% et 47,0% des cabinets vétérinaires de Dakar, Niger et Côte d’Ivoire. Ce processus était suivi soit d’une stérilisation par la chaleur sèche (flambage ou four Poupinel) ou d’une stérilisation par la chaleur humide (l’ébullition ou l’autoclave) (Tableau 1).

Concernant l’asepsie du patient, le principe de la tonte/rasage et du lavage avec la povidone iodée était scrupuleusement respecté par la totalité des cabinets vétérinaires des différents pays. Cependant, à Dakar, en Côte d’Ivoire et au Niger, respectivement 17,8%; 52,2% et 31,0% des praticiens isolaient le site opératoire avec des champs stériles avant l’opération. L’habillage du chirurgien était le moins respecté (Charlotte, surchaussure, masque et casaque) dans 85,7% des cabinets vétérinaires de la région de Dakar; 87,0% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire et 96% des cabinets du Niger, à l’exception du lavage des mains et du port de gants qui étaient réalisés au niveau de tous les cabinets.

Pratique des interventions chirurgicales

Pour ce qui concerne la pratique des interventions chirurgicales, la totalité des cabinets vétérinaires affirment réaliser des points «X» plus que les points «U» ou un surjet sur les muscles (surjet simple ou surjet à points passés) et sur la peau une prédominance des points en «U» que les points en «X». Pour des interventions chirurgicales particulières, comme la ruminotomie ou la césarienne, une association d’un surjet simple ou d’un surjet à points passés suivie d’un surjet enfouissant sont réalisés sur l’organe concerné (rumen, utérus).

Pour le suivi post-opératoire, respectivement 21,4%; 26,1% et 5,0% des cabinets vétérinaires de Dakar, de la Côte d’Ivoire et Niger disposaient d’un local d’hospitalisation. Dans les cabinets ne disposant pas de local, le suivi de l’animal est effectué chez le propriétaire avec un programme de visite au cabinet. Le traitement et le suivi post-opératoires étaient axés sur l’antibioprophylaxie par 39,3% des cabinets vétérinaires de Dakar; 44,0% des cabinets du Niger et 100% des cabinets de Côte d’Ivoire, parfois associée à la gestion de la douleur par 32,1% des cabinets vétérinaires de Dakar; 44,0% des cabinets vétérinaires du Niger et 95,7% des cabinets vétérinaires de Côte d’Ivoire. Concernant la plaie chirurgicale, elle était nettoyée tous les deux jours à base d’antiseptique (Povidone iodée) et de spray antibiotique (Vétospray) pour tous les cabinets.

Disponibilités des produits et du matériel de chirurgie dans les cabinets vétérinaires

Cinq molécules anesthésiques étaient utilisées dans les cabinets vétérinaires de la région de Dakar, notamment l’Acépromazine et la Lidocaïne (100% des cabinets vétérinaires); la Xylazine (89,3% des cabinets vétérinaires), la Kétamine (75,0% des cabinets vétérinaires) et la Médétomidine (10,7% des cabinets vétérinaires). Il en est de même en Côte d’Ivoire: l’Acépromazine (69,6% des cabinets vétérinaires); la Lidocaïne (65,2% des cabinets vétérinaires); la Xylazine (26,1% des cabinets vétérinaires); la Kétamine (95,7% des cabinets vétérinaires) et la Médétomidine (4,3% des cabinets vétérinaires). Alors qu’au Niger on ne trouve que trois types d’anesthésiques dans les cabinets vétérinaires, notamment la Lidocaïne (100% des cabinets vétérinaires); la Xylazine (78,0% des cabinets vétérinaires) et la Kétamine (28,0% des cabinets vétérinaires).

Un minimum de 2 trousses de chirurgie des tissus mous était retrouvé dans tous les cabinets vétérinaires enquêtés lors de l’étude. Les fils non-résorbables utilisés en chirurgie dans lesdits cabinets étaient le nylon (78,6% des cabinets vétérinaires de Dakar; 80,0% des cabinets vétérinaires du Niger et 60,9% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire); la soie (60,7% des cabinets vétérinaires de Dakar; 14,0% des cabinets vétérinaires du Niger et 21,7% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire) et le polyester (7,0% des cabinets vétérinaires du Niger et 13,0% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire) (Figure 4).

Quant aux fils résorbables, le catgut (78,6% des cabinets vétérinaires de Dakar; 70% des cabinets vétérinaires du Niger et 60,9% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire); le polyglicane acide (17,9% des cabinets vétérinaires de Dakar; 30% des cabinets vétérinaires du Niger et 34,9% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire) et le polygliconate (13,0% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire) sont utilisés (Figure 5).

Contraintes, limites et approche de solution dans la pratique des interventions chirurgicales dans les cabinets vétérinaires

La principale complication rencontrée, par plus de 82,1%; 24,0% et 4,3% des cabinets vétérinaires respectif de Dakar, du Niger et de Côte d’Ivoire, était liée aux anesthésiques utilisés (hypothermie et/ou hypotension importante). Ensuite, viennent la rupture des sutures chirurgicales, la septicémie, l’hémorragie et enfin la mort de l’animal (Tableau 2). Le manque de local d’hospitalisation a été cité par 28,6% des cabinets vétérinaires de Dakar; 36,0% des cabinets vétérinaires du Niger et 26,1% des cabinets vétérinaires de la Côte d’Ivoire comme causes de ces complications. Aussi, le manque d’expérience de certains de ces cabinets vétérinaires pour certaines chirurgies a été également soulevé par 25,0% en Côte d’Ivoire, 42,0% au Niger et 44,0% au Sénégal. Par contre, le taux de réussite des chirurgies dans les cabinets a été évaluée en moyenne à 94,0% pour la Côte d’Ivoire et 95,0% pour la région de Dakar par les enquêtés. A cet effet, plusieurs propositions ont été émises afin d’améliorer les chances de réussite des actes chirurgicaux, les plus importantes restent une demande de formation et de remise à niveau sur les moyens et méthodes pratiques (73,9 % des docteurs vétérinaires de la Côte d’Ivoire).

DISCUSSION

Profil des cabinets vétérinaires

Dans les pays développés, le vétérinaire est appelé à suivre des formations spécialisées dans un domaine de la médecine vétérinaire bien déterminé comme en médecine humaine où il y a un cursus académique spécial à suivre pour devenir chirurgien. En Afrique, le niveau de formation est limité au diplôme fondamental de médecine vétérinaire, d’où le pourcentage réduit de cabinets spécialisés (uni disciplinaire) enregistrés au cours de notre étude. En effet, pour les quelques cabinets spécialisés enregistrés au Sénégal (Dakar) (10,7%), les vétérinaires ont fait l’effort de se spécialiser en suivant des formations continues et périodiques dans d’autres écoles vétérinaires étrangères. Le besoin en spécialistes (chirurgiens, dentiste, nutritionniste, etc.) est réel comme le démontrent les nombreuses interventions chirurgicales enregistrées dans les cabinets vétérinaires.

Néanmoins, le nombre réduit des cabinets disposant de local équipé dédié à la chirurgie est un problème majeur de la pratique de la chirurgie vétérinaire en Afrique.

Pratique de la chirurgie dans les cabinets Vétérinaires

Au Sénégal, au Niger et en Côte d’Ivoire, la chirurgie fait partie intégrante du quotidien des cabinets vétérinaires. Elle occupe une part considérable des activités réalisées au sein de certains cabinets vétérinaires. Les interventions chirurgicales réalisées sont marquées par une dominance de la chirurgie des tissus mous, en particulier la chirurgie abdominale (césarienne, ruminotomie, kélotomie, etc.). Cela pourrait être lié aux espèces dominantes élevées dans ces zones. En effet, parmi les cabinets vétérinaires d’Afrique concernés par notre étude, la Côte d’Ivoire fait partie des pays où les carnivores viennent en tête des chirurgies vétérinaires, ce qui est différent des résultats obtenus au Niger et à Dakar au Sénégal. Cette étude menée au Niger et au Sénégal (Dakar) a identifié les ruminants, surtout les ovins, comme les animaux qui venaient en tête des chirurgies vétérinaires. La rareté de la pratique de certaine interventions chirurgicales comme l’entérectomie et l’entérotomie (4,3% des interventions en Côte d’Ivoire; 17,9% des interventions au Sénégal (Dakar)) pourrait être liée à la rareté de ces chirurgies au niveau des espèces dominantes (les ruminants) dans les pays. Par exemple, lors de la prise en charge des lésions duodénales, le manque de moyens de diagnostic entraîne une prise en charge tardive car ce sont souvent des lésions secondaires qui peuvent des fois être masquées par d’autres (Moore et al., 1990; Albright et Field, 2000). De plus, il n’y a pas de signes cliniques évidents permettant de l’identification de ces types de lésions ce qui entraîne leur prise en charge tardive. D’où la nécessité d’avoir une bonne connaissance sur les moyens et matériels pratiques, facilement accessibles et disponibles lors cette prise en charge tardive, car au-delà de 24 h la gravité augmente (Chen et Yang, 2011). De ce fait, ces différentes observations (les contraintes et difficultés) enregistrées dans les cliniques vétérinaires au cours de notre étude pourraient justifier le faible taux de réalisation des chirurgies intestinales dans les cabinets vétérinaires en Afrique.

Méthodes et moyens utilisés dans la prise en charge des cas chirurgicaux

Cette étude a montré une faible disponibilité de matériel d’examen complémentaire (radiographie, scanner, analyses de laboratoire, etc.). Même si l’échographie est réalisée dans certains cabinets, ce qui est avantageux pour le diagnostic de gestation, le suivi du cycle œstral (Ribadu et al., 1994; Saalburg, 2016) ou encore l’examen de la cavité abdominale, sa précision est limitée pour certains diagnostics (ex: les lésions duodénales). La majorité des cabinets vétérinaires enquêtés se basaient sur des manifestations cliniques des affections pour émettre un diagnostic de suspicion, estimer la gravité et orienter leur décision de prise en charge. Selon Bednarski et al. (2011), cette pratique est contraire aux recommandations de la réalisation des actes chirurgicaux qui stipule un examen approfondi et minutieux dans la démarche diagnostic. En effet, ces examens complémentaires permettent de peaufiner le diagnostic afin d’éviter ou de pouvoir contrecarrer les différentes complications opératoires et post-opératoires possibles. Face au manque de matériel et d’équipements d'examens complémentaires, observé au sein de ces cabinets, il y a des biais dans le diagnostic qui forcément ont des répercussions sur la prise en charge de certaines pathologies chirurgicales.

Les moyens d’asepsie utilisés, que ce soit du patient, du matériel ou du praticien ne semblent pas respecter les normes recommandées par Sevestre (1980) et Tredz (2006)pour de réduire considérablement la charge bactérienne ou virale qui pourrait compliquer la phase post-opératoire. D’ailleurs, c’est ce qui justifierait l’utilisation systématique des antibiotiques après chaque chirurgie dans 39,9% des cabinets vétérinaires du Sénégal (Dakar), 44% du Niger et 100% de la Côte d’Ivoire. En effet, l’utilisation des antibiotiques n’est pas obligatoire pour des interventions réalisées dans les conditions aseptiques, mais comme ces praticiens ne sont sûrement pas rassurés du niveau d’asepsie, ils se trouvent dans l’obligation de prévenir les possibles contaminations faites au cours de la chirurgie. Le manque d’hospitalisation du patient peut aussi être une des causes de l’utilisation systématique des antibiotiques car le vétérinaire ne pouvant pas s'assurer des conditions dans lesquelles le patient se trouvera chez le propriétaire, il prévient les possibles infections post-opératoires. Les taux de réussite nationaux des interventions chirurgicales dépassent la barre des 90%. Cela suggère un savoir-faire et une connaissance de base des pratiques chirurgicales. On pourrait également supposer que les praticiens ne réalisent que les interventions qu’ils trouvent moins risquées et dont ils sont rassurés qu’ils peuvent réussir. D’ailleurs, cela pourrait justifier encore une fois de plus la raisons pour laquelle les praticiens ne réalisent qu’un nombre restreint de chirurgies.

L’association d’un surjet simple ou d’un surjet à point passé et d’un surjet enfouissant (cushing ou Lambert) lors de certaines chirurgies (ruminotomie, césarienne, etc.) est une très bonne chose, car c’est cette technique qui est recommandée en chirurgie viscérale et elle permet de prévenir également les adhérences. Par contre, l’utilisation de cette association des sutures pour une chirurgie intestinale peut créer la sténose (Mehennaoui, 2014; Blanc, 2016). Ainsi, après fermeture de la plaie, l’épiploïsation peut être utilisée pour prévenir les adhérences, ce qui d’ailleurs est utilisé par 14,3% des cabinets vétérinaires du Sénégal (Dakar) ayant eu des chirurgies intestinales. L’utilisation des points surtout des points en X ou U sur la peau et non des surjets est très recommandée, cela afin d’éviter l’ouverture de la plaie suite à une rupture du fil (Mehennaoui, 2014). De ce fait, l’utilisation de surjet sur la peau pourrait être la cause des ruptures de sutures enregistrées par certains cabinets car si une partie du fil se casse ou que le nœud se défait, toute la suture se dénoue (Mehennaoui, 2014; Blanc, 2016).

Contraintes et limites dans la pratique des interventions chirurgicales dans les cabinets vétérinaires

La disponibilité d’une gamme limitée d’anesthésiques par les cliniciens reste un véritable problème dans les cabinets. Selon Laplante (2005), le choix d’un anesthésique par le praticien nécessite la prise en compte de certains paramètres comme la puissance de l’anesthésique, son délai d’action, sa toxicité, mais aussi son coût. Cela dit, le praticien doit avoir une large gamme de choix (Fossog-Tine, 2008). Malheureusement, les praticiens des cabinets vétérinaires des pays concernés par notre étude n’en disposent pas (Farges, 2012). Il en est de même pour les fils de suture où il n’y a qu’une gamme limitée aussi bien pour le fil résorbable que non-résorbable, surtout pour certaines chirurgies très exigeantes comme les chirurgies abdominales. En effet, le chirurgien doit disposer d’un libre-arbitre sur l’utilisation de son matériel afin d’être assuré des résultats attendus. Toutes ces contraintes limitent la pratique de certaines interventions et expliquent pourquoi les praticiens des différents cabinets de la région de Dakar se focalisent sur des interventions peu sophistiquées ne nécessitant pas d'équipements spécifiques.

Par ailleurs, sur l’ensemble des difficultés énumérées par les différents cabinets vétérinaires, nous pouvons dire qu’elles sont pour la plupart liées aux manque de moyens financiers et techniques. En effet, presque tous les gérants des cabinets ont évoqué des complications liées à un déficit de moyen et matériel (anesthésie gazeuse, monitoring, bistouri électrique, gamme limitée d’anesthésiques et de fils de suture, de local d’hospitalisation, etc.).

CONCLUSION

La pratique de la chirurgie vétérinaire en Afrique reste sommaire et limitée, ce qui peut s’expliquer aussi par le manque d’expériences pour certaines chirurgies commesoulevé par certains des cabinets vétérinaires (25% en Côte d’Ivoire, 42% au Niger et 44% au Sénégal (Dakar)). D’où une demande importante de formation et de remise à niveau sur les moyens et méthodes pratiques (73,9 % des docteurs vétérinaires de la Côte d’Ivoire) pouvant permettre une prise en charge rapide, efficace et moins onéreuse des interventions chirurgicales dans les cabinets vétérinaires. Bien que certains clients (propriétaires d’animaux) soient disposés à payer pour ces services, le personnel reste à ce jour limité. De ce fait, le clinicien doit s’adapter avec les moyens disponibles, d’où la recherche des moyens sûrs, efficaces et peu onéreux pour certaines interventions perçues comme trop risquées.

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