Transmission des trypanosomoses animales africaines (TAA) et prévalence trypanosomienne dans les cheptels en zone soudanaise de Côte d’Ivoire

Auteurs-es

  • David KOMONO UFR-Sciences et Gestion de l’Environnement, Université Nangui Abrogoua, Abidjan, Côte d’Ivoire
  • Loukou YAO UFR-Sciences et Gestion de l’Environnement, Université Nangui Abrogoua, Abidjan, Côte d’Ivoire
  • François KOUAME UFR-Sciences et Gestion de l’Environnement, Université Nangui Abrogoua, Abidjan, Côte d’Ivoire
  • Biégo GRAGNON Laboratoire Régional de Korhogo, Côte d’Ivoire

DOI :

https://doi.org/10.5281/zenodo.8285781

Mots-clés :

Mots clés : TAA – Transmission – Prévalence – Zone soudanaise – Côte d’Ivoire.

Résumé

La situation entomologique et parasitologique des Trypanosomoses Animales Africaines (TAA) a été évaluée en zone soudanaise de Côte d’Ivoire, suite à l’arrêt des activités de lutte dû à la guerre survenue en 2002 dans le pays. L’étude s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du projet d’urgence initié par la FAO pour relancer cette lutte. Les travaux ont été réalisés dans des localités issues des régions de la zone des savanes (Korhogo, Ferkessédougou). Pour étudier la transmission, les paramètres entomologiques déterminés (densité, âges physiologiques, infection), proviennent de l’échantillonnage de glossines à l’aide du piège Vavoua. Concernant l’étude parasitologique, la prévalence trypanosomienne a été évaluée à partir de données issues des prélèvements sur des animaux dont les traitements trypanocides datent d’au moins trois mois. Les trypanosomes pathogènes ont été mis en évidence sur frottis sanguins et caractérisés par PCR. En zone soudanaise de Côte d’Ivoire, la transmission des TAA est permanente à cause de la présence notable des populations de Glossina palpalis gambiensis et des trois principaux agents pathogènes (Trypanosoma vivax, Trypanosoma congolense, Trypanosoma brucei) qui y circulent. Ainsi, les prévalences trypanosomiennes demeurent notables malgré les activités de lutte (antivectorielle, traitements trypanocides) menées dans les cheptels.

Mots clés: TAA, Transmission, Prévalence, Zone soudanaise, Côte d’Ivoire

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INTRODUCTION

Les trypanosomoses animales africaines (TAA) sont des affections parasitaires largement répandues sous forme endémique. Elles sont provoquées par des protozoaires du genre Trypanosoma et transmises aux animaux, principalement par les glossines (Genre Glossina) ou mouches tsé-tsé (Bruce, 1895; Hoare, 1972). Les TAA se développent en zone humide et subhumide d’Afrique subsaharienne, spécifiquement dans l’aire de distribution des glossines (Laveissière et al., 2000; WHO, 2004). Elles menacent environ 50 millions de bovins et 70 millions de petits ruminants (Geerts et Holmes, 1998; Swallow, 2000; Kamuanga et al., 2005). En Côte d’Ivoire, l’incidence des TAA est plus élevée en zone soudanaise et notable en secteur pré-forestier où l’élevage du bétail est plus développé, qu’en zone forestière qui enregistre un faible taux du cheptel (Anonyme, 1980; Le Guen, 2004; Tanguy, 2008).

A la conférence sur l’alimentation tenue à Rome (Italie) en 1974, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a recommandé aux pays africains d’engager des actions de lutte pour juguler les impacts des trypanosomoses sur la production animale. C’est ainsi qu’en 1978, la Côte d’Ivoire a mis en place le programme national de lutte contre les Trypanosomoses Animales Africaines et les Vecteurs (PNLTAV), dont les activités étaient concentrées en secteur pré-forestier et en zone soudanaise (Anonyme, 2004). La stratégie adoptée était basée sur la lutte antivectorielle, à l’aide du piège Vavoua imprégné de pyréthrinoïde. Jusqu’à 2001, les activités de lutte ont été financées par l'État ivoirien, la Coopération Allemande (GTZ), la Banque Allemande pour le développement et le crédit (KMW), la FAO et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). De 1998 à 2001, une phase de dévolution s’est opérée. Elle a consisté à laisser désormais le financement des activités du programme à la seule charge de l'État ivoirien qui, par ailleurs, va en assurer le suivi en milieu paysan. La lutte proprement dite utilisait la méthode communautaire basée sur la participation active des paysans. Pour ce faire, plus de six cents (600) comités villageois de lutte contre les trypanosomoses animales ont pu être créés. Cela a permis d’obtenir une quasi-élimination des glossines (80% à 90%, voire 100%) sur une superficie de plus de 50 000 Km2, représentant environ 35% de la surface totale (145 000 Km2) de l’espace (zone soudanaise, secteur pré-forestier) couverte par la lutte.

Malheureusement, la guerre et les troubles politiques de 2002 ont conduit à l’arrêt des activités de lutte, annihilant ainsi tous les efforts déjà fournis. En effet, des missions d’évaluation des impacts de la crise sur la production animale, effectuées en 2007 et en 2008 par l'État ivoirien et la FAO en zone soudanaise et en secteur pré-forestier, ont montré que les TAA constituaient à nouveau des entraves au développement de l’élevage en Côte d’Ivoire. La FAO a donc initié en 2009,un projet d’urgence intitulé «Projet d’appui à la lutte contre les trypanosomoses animales en Côte d’Ivoire» afin d’aider à la relance des activités de lutte contre les TAA sur le territoire ivoirien. Le projet consiste principalement à encadrer des paysans en vue de les amener à utiliser des pièges imprégnés de pyréthrinoïdes pour lutter contre les TAA. Dans ce cadre alors, 8 000 pièges de lutte ont été distribués dans toute la zone de lutte.

Ainsi, la présente étude s’inscrit dans le cadre du protocole de suivi et évaluation mis en place pour contrôler la mise en œuvre des activités du projet d’urgence initié par la FAO. Il s’agit d’évaluer principalement, du point de vue entomologique et parasitologique, la situation des TAA en zone soudanaise, suite à l’arrêt des activités de lutte du PNLTAV dû à la guerre et aux troubles politiques survenus en 2002 en de Côte d’Ivoire.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Zone d’étude

Le climat de la zone soudanaise de Côte d’Ivoire est caractérisé par deux principales saisons (Eldin, 1971; Anonyme, 2005): une saison sèche (de novembre à avril) et une saison des pluies (de mai à octobre) avec un pic en août. La saison sèche est marquée particulièrement par la présence intermittente de l’harmattan (vent frais et sec) entre les mois de décembre et février. Les moyennes annuelles des précipitations sont comprises entre 1200 mm et 2500 mm d’eau et les températures moyennes annuelles varient entre 25°C et 35°C, sauf en période d’harmattan en saison sèche, où la température peut descendre jusqu’à 15°C. La végétation caractéristique de la région, est la savane parsemée de forêts claires (Monnier, 1983; Brou, 2005) et de quelques forêts-galeries le long des cours d’eau (Guillaumet et Adjanohoun, 1971). Ce type de biotopes représente des lieux de développement privilégiés pour les glossines (Laveissière et al., 2000). Du point de vue hydrographique, la région des savanes s’étend dans le bassin versant du fleuve Bandama où de nombreux cours d’eau définissent un grand nombre de galeries forestières. Dans cette zone, ce sont les petits barrages qui constituent la principale ressource en eau (Anonyme, 1992a; Anonyme, 1992b; Da Costa et al., 1998; Le Guen, 2004). Ils sont localisés essentiellement dans les bassins fluviaux du Bandama et de la Comoé, mais aussi de la Volta noire. La plus forte densité de ces barrages est observée dans la région des savanes avec comme épicentre, le département de Korhogo.

La population autochtone est constituée d’une multitude de communautés qui se répartissent du point de vue linguistique, en deux grands groupes: les Gur ou Voltaïques et les mandés du Nord (Marguerat, 1982). La population comprend également d’autres groupes autochtones (Mandés du Sud, Akan), ainsi que des allogènes Maliens, Nigériens et Burkinabés. Les activités de la zone d’étude, principalement agricoles, sont basées sur la culture de vivriers notamment les céréales (sorgho, mil, maïs, riz), l’igname et les cultures maraîchères, mais aussi des cultures industrielles (coton, mangue, noix de cajou). On y pratique également l’élevage surtout de bovins (MIRAH, 2014) qui servent, par ailleurs, de bêtes de culture attelée. Secondairement enfin, la population pratique la pêche dans les petits barrages (Anonyme, 1992a; Da Costa et al., 1998), ainsi que le commerce tenu par les ‘’Dioulas’’ (Marguerat, 1982).

Les expérimentations se sont déroulées principalement dans les régions de Korhogo (9°27’29"N/5°37’47"W) et de Ferkessédougou (9°35’34"N/5°11’40" W) (Figure 1) où il existe une plus longue expérience dans la pratique des activités agropastorales, par rapport aux autres localités du territoire ivoirien (Le Guen, 2004).

Protocole d’étude entomologique

L’étude sur la transmission des TAA a été menée du 6 au 19 avril 2010. Les travaux ont été effectués dans trois circonscriptions, représentées par les localités suivantes: Komborodougou dans le département de Korhogo, Nambonkaha dans le département de Ferkéssédougou et Nafoungolo dans le département de Ouangolodougou (Figure 1). Les glossines ont été capturées à l’aide du piège Vavoua (Laveissière, 1988; Laveissière et Grébaut, 1990). A la station d’étude créée à l’occasion pour permettre le traitement des collectes, les espèces de glossines récoltées ont été identifiées à l’aide de clé (Pollock, 1982) sous une loupe binoculaire. Les spécimens ont été ensuite triés par sexe, comptabilisés puis répertoriés. Sur la base de ces données, on a déterminé la densité apparente des populations (DAP), équivalent au nombre de glossines par piège et par jour (g/p/j), et le sex-ratio, c’est-à-dire, le taux de femelles ou la proportion de femelles par rapport aux mâles (Laveissière et al., 2000).

Par ailleurs, une fraction des collectes a été disséquée pour rechercher les trypanosomes au microscope au niveau des pièces buccales, des glandes salivaires et de l’intestin moyen. Les espèces de trypanosomes infectant les glossines sont alors identifiées sur la base du cycle de ces parasites chez le vecteur (Mulligan, 1970; Laveissière et al., 2000; Duvallet, 2001). Les espèces ciblées sont: T. vivax qui se développe dans le proboscis uniquement, T. congolense présent dans l’intestin moyen et dans le proboscis en cas d’infection mâture et, enfin, T. brucei s.l. trouvé dans l’intestin, puis dans les glandes salivaires et/ou le proboscis en cas d’infection mâture. En outre, les glossines gorgées ont été identifiées, comptabilisées et répertoriées. Chez les femelles disséquées, particulièrement, les ovaires sont en plus observés à la loupe binoculaire pour déterminer l’âge physiologique des populations. Les paramètres d’âges physiologiques évalués sont l’âge moyen ainsi que les taux des nullipares, des jeunes pares et des vieilles pares (Itard, 1966). Le taux de glossines ténérales a été également déterminé. Il s’agit des insectes qui n’ont pas encore pris leur premier repas de sang sur un hôte vertébré (Buxton, 1955). Au niveau des paramètres d’infection, les indices calculés sont la proportion de glossines parasitées (taux d’infestation) et le taux de spécimens gorgés. Il n’a pas été possible d’effectuer des analyses biomoléculaires basées sur la technique PCR (Polymerase Chain Reaction), les échantillons ayant été entièrement détruits lors des événements postélectoraux de 2011.

Protocole d’étude parasitologique

Les sites d’étude ont été sélectionnés suivant un échantillonnage aléatoire, à l’aide du logiciel de cartographie et de système d’information géographique Quantum Gis 2.8. Il permet la sélection des villages en superposant dans un environnement donné, les éléments relatifs aux bovins, à la trypanosomose bovine et aux vecteurs. Les sites sont alors localisés en utilisant les coordonnées GPS (Global Position System) déterminées, par correspondance sur une carte administrative. En définitive, les villages retenus sont ceux qui, en plus d’être les plus accessibles, présentent un risque important de transmission des TAA du fait de leur proximité avec les gîtes de glossines. Ainsi, huit sites d’études ont été retenus. Ils sont répartis de manière égale dans les deux régions de la zone des savanes qui ont abrité les investigations. Il s’agit de Sinématiali, Sirasso, Mbengué et de Korhogo dans la région de Korhogo, puis de Koumbala, Diawala, Niellé et de Ferkessédougou dans la région de Ferkessédougou (Figure 1).

Les animaux exploités proviennent de troupeaux sédentaires (bœufs de culture attelés (BCA), bœufs des parcs d’unité de garde) ou des bœufs en divagation. Les animaux prélevés sont ceux dont les derniers traitements datent d’au moins trois mois. Dans chaque localité visitée, 20 animaux ont été prélevés sauf à Sinématiali. Dans cette localité, les troupeaux qui ont pu être exploités n’ont permis de prélever que 13 bœufs, les autres troupeaux ayant été traités aux trypanocides (Acéturate de Diminazène) moins de deux semaines avant notre passage. Sur chaque animal, une goutte de sang prélevée à la base de l’oreille à l’aide d’une lancette, a été étalée sur une lame porte-objet pour confectionner un frottis sanguin (fixé au méthanol, puis coloré au Giemsa). Les lames constituées sont observées au microscope (grossissement x100). Des échantillons de sang ont été en outre récoltés sur du papier Wattman au moment des prélèvements. Les papiers Wattman contenant les prélèvements ont été ensuite conservés au congélateur, dans des boîtes contenant du silicagel. Puis, ils ont été transportés au laboratoire pour des analyses biomoléculaires à l’aide de PCR (Polymerase Chain Reaction). Le protocole appliqué est l’extraction de l’ADN au Chelex-100 à partir du papier filtre. Le test PCR a été réalisé à l’aide du thermocycleur de marque VWR UNO 96. Les couples d’amorces spécifiques utilisés sont: TBR1-2 (couple d’amorces spécifique de T. brucei), TCS1-2 (couple d’amorces spécifique de T. congolense groupe Savane) et TVW1-2 (couple d’amorces spécifique de T. vivax). Les paramètres parasitologiques déterminés sont les taux de prévalence (ou taux de positivité) des espèces de trypanosomes identifiées, ordinairement exploités pour étudier la prévalence des trypanosomoses animales dans les cheptels:

L’analyse des résultats a été opérée à l’aide des logiciels Excel et Statistica 7.1. Les différentes comparaisons effectuées ont été réalisées avec le test χ2 de Pearson pour les valeurs supérieures à 5. Pour les valeurs inférieures à 5, nous avons utilisé le test de Fisher. Les tests ont été considérés comme significatifs au seuil de 5%.

RÉSULTATS

Pour l’étude entomologique, 441 glossines ont été capturées au total à l’aide du piège Vavoua. Elles ont permis d’identifier deux espèces (G. p. gambiensis, G. tachinoides), l’essentiel des captures (97,7%) appartenant à l’espèce G. p. gambiensis. Cette espèce est représentée dans la capture par 431 spécimens dont 260 femelles et 171 mâles. Le reste des récoltes (2,27%), soit 10 glossines (4 femelles, 6 mâles), représentent l’espèce G. tachinoides. La sous-espèce G. p. gambiensis est présente dans les collectes au niveau des trois localités visitées (Komborodougou, Nambonkaha, Nafoungolo), tandis que G. tachinoides n’a pu être capturé que dans la seule localité de Nafoungolo. Globalement, la DAP de l’ensemble des glossines capturées est de l’ordre de 1,22 g/p/j, avec des valeurs du sex-ratio évaluées à 59,9%, soit 1,49 femelles pour 1 mâle. La sous-espèce G. p. gambiensis présente des valeurs de la DAP (1,20 g/p/j) du même ordre que celles observées pour l’ensemble des glossines capturées dans la zone d’étude. La valeur du sex-ratio s’élève à 60,2%, soit 1,52 femelles pour 1 mâle. Pour G. tachinoides, la valeur de la DAP est négligeable et celle du sex-ratio est inférieure à 50%. Les valeurs de la DAP et du sex-ratio varient au niveau des localités. Pour G. p. gambiensis, la DAP est notable à Komborodougou (1,23 g/p/j) et à Nafoungolo (1,38 g/p/j). Elle est faible à Nambonkaha (0,97 g/p/j). De même, le sex-ratio est supérieur à 60% dans les premières localités (Komborodougou: 66,9%, Nafoungolo: 62,6%) et inférieur à 50% à Nambonkaha (48,7%). L’âge moyen des populations de G. p. gambiensis est évalué à 32,5 jours. Les jeunes pares sont largement majoritaires aussi bien pour l’ensemble de la zone d’étude (74,3%) que pour chacune des localités visitées: Komborodougou (73,8%), Nambonkaha (77,8%) et Nafoungolo (87,6%). Le taux des nullipares (12,1%) et celui des vieilles pares (13,6%) sont faibles et du même ordre (Tableau 1). A Nafoungolo, les deux femelles de G. tachinoïdes qui ont pu être disséquées sont des jeunes pares âgées de 24 jours. Par ailleurs, le taux de glossines ténérales est toujours compris entre 3% et 7% chez G. p. gambiensis, que ce soit pour l’ensemble de la zone d’étude que pour chacune des localités visitées. Aucune glossine ténérale n’a pu être observée au niveau des dissections effectuées chez G. tachinoïdes. Par ailleurs, chez G. p. gambiensis, les infestations enregistrées sont localisées spécifiquement au niveau des pièces buccales et de l’intestin moyen. Aucune infestation n’a été notée dans les glandes salivaires. La majorité des infestations a été observée au niveau des pièces buccales, que ce soit pour l’ensemble de la zone d’étude que pour chacune des localités visitées (Tableau 2). Aucun cas d’infestation concomitante des organes par des trypanosomes n’a pu être mis en évidence chez les glossines disséquées. Enfin, pour l’ensemble de la zone d’étude, le taux de glossines gorgées enregistré est de l’ordre de 3,26%. Ces glossines appartiennent à la sous-espèce G. p. gambiensis. Elles proviennent de Komborodougou et de Nafoungolo, avec une prédominance de celles de Komborodougou. Aucune mouche tsé-tsé gorgée n’a pu être observée parmi les spécimens disséqués à Nambonkaha.

Pour les analyses parasitologiques, un effectif de 239 bovins ont été prélevés dans les localités des régions de Korhogo et de Ferkessédougou. Sur la base des examens de frottis sanguins, 20 animaux ont été trouvés porteurs d’infections trypanosomiennes. Les espèces et sous-espèces identifiées sont T. vivax, T. congolense et T. brucei s. l. La comparaison des différentes valeurs de la prévalence trypanosomienne montre des différences significatives (P<0,05). Globalement, la prévalence est de 8,37% pour l’ensemble des trois espèces de trypanosomes prélevées sur le bétail dans la zone d’étude. Par région, les parasites infectent le bétail plus à Korhogo (10,5%) qu’à Ferkessédougou (8,37%). Dans la zone de Korhogo, le plus grand nombre de bovins infectés par les trypanosomes a été enregistré dans les localités de Korhogo (17,1%) et de M’bengué (12,8%). Ce nombre est nul dans le reste des localités visitées (Sinématiali, Sirasso). Dans la zone de Ferkessédougou, la prévalence est notable dans la localité de Ferkessédougou (8,70%). Ailleurs à Koumbala, Diawala et Niellé/Torio, elle faible et du même ordre (4,35%). Par rapport aux espèces de trypanosomes, le taux de prévalence est de 2,51% pour T. vivax, 3,77% pour T. congolense et de 2,09% pour T. brucei (Tableau 3).

La comparaison des taux de prévalence enregistrés par espèce de trypanosome montre des différences significatives (P<0,05). Au niveau des régions, le taux de prévalence de T. vivax est du même ordre à Korhogo (2,42%) et à Ferkessédougou (2,61%), contrairement à celui de T. congolense qui est pratiquement 2 fois plus élevé à Ferkessédougou (4,84%). Concernant T. brucei, l’espèce infecte plus les animaux à Korhogo (3,23%) où le taux de prévalence est pratiquement 4 fois plus fort que celui de Ferkessédougou (0,87%) (Figure 2). Enfin, dans les localités de Korhogo, M’bengué et de Ferkessédougou où les trois espèces de trypanosomes sont rencontrées, T. congolense présente les plus forts taux de prévalence (1,26% à Korhogo et à M’bengué, 0,84% à Ferkessédougou). T. vivax et T. brucei apparaissent avec des taux comparables, d’une part à Korhogo (0,84%) et, d’autre part, à Ferkessédougou (0,42%), contrairement à M’bengué où c’est T. brucei qui est majoritaire (Figure 3).

DISCUSSION

G. p. gambiensis et G. tachinoides sont les espèces de glossines rencontrées dans la zone d’étude. Les collectes ont été effectuées dans les galeries forestières le long des cours d’eau qui, selon les travaux de différents auteurs, représentent le milieu de vie typique de G. p. gambiensis et de G. tachinoides (Nékpéni et al., 1989; Penchenier et Laveissière, 2000). C’est le lieu d’indiquer que G. p. gambiensis constitue, avec G. p. palpalis, les deux sous-espèces du complexe G. palpalis. En Côte d’Ivoire, la première espèce vit en secteur pré-forestier et en savane soudanaise, tandis que la seconde espèce (G. p. palpalis) se développe principalement en zone forestière (Nékpéni et al., 1989). En outre, la galerie forestière de Nafoungolo où G. tachinoides est observé régulièrement dans les captures, avait déjà été identifiée dans les années 1970, comme un endroit abritant des gîtes de développement et des lieux de repos de cette espèce (Laveissière, 1975; Laveissière et al., 1981). C’est une forêt située le long de la Léraba, rivière (affluent du Bandama) qui sépare les territoires de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso. Ainsi dans la région des Savanes, les conditions apparaissent propices au développement de G. p. gambiensis et de G. tachinoides. Cette interprétation est conforme à celle de Clair et Lamarque (1984) qui stipulent que G. p. gambiensis et G. tachinoides sont des glossines caractéristiques du secteur pré-forestier et de la zone soudanaise en Côte d’Ivoire. Cependant, au cours des enquêtes sur le terrain, nous nous sommes aperçus de la forte dégradation de l’ensemble des galeries forestières visitées, faisant place sur les marges à de vastes zones de plantations agricoles (anacardiers, cotonniers, mil, etc.). Pour différents auteurs, un tel agroécosystème est préférentiellement favorable à la prolifération des sous-espèces de G. p. gambiensis (Gouteux et al., 1982; Reid et al., 2000). Ainsi, les conditions de l’environnement semblent devenues moins propices au développement de G. tachinoides que par le passé, certainement à cause des modifications dues à l’activité humaine. La disparité de la densité des populations de G. p. gambiensis au niveau des localités exploitées peut être liée à l’impact des activités de lutte antivectorielle menée à l’aide du piège Vavoua imprégné de pyréthrinoïde dans toute la zone soudanaise un an durant (de mars 2009 à avril 2010), dans le cadre du projet d’urgence initié par la FAO. L’utilisation de support-pièges imprégnés d’insecticides contre les glossines est une pratique efficace, devenue courante en Afrique de l’Ouest ces quarante dernières années. La méthode a contribué, ainsi, à éliminer des populations de G. mositans submorsitans, G. tachinoides et de G. p. gambiensis dans la zone agropastorale de Sidéradougou au Burkina Faso (Politzar et Cuisance, 1984). En Côte d’Ivoire, des campagnes de lutte contre les populations du vecteur de la maladie du sommeil en zone forestière (G. p. palpalis) ont été organisées à l’aide d’écrans imprégnés de pyréthrinoïdes, dans les foyers de Vavoua (Laveissière et al., 1986) et de Sinfra (Laveissière et al., 1996). En dehors des foyers de la maladie du sommeil, mais toujours en zone forestière, une campagne de lutte contre G. p. palpalis a été organisée en zone urbaine au sud du site de la ville d’Abidjan, également à l’aide d’écrans imprégnés de pyréthrinoïdes (Kaba, 2006). Le piège Vavoua imprégné de pyréthrinoïde utilisé dans le cadre du projet d’urgence de la FAO, s’est déjà montré très efficace et approprié pour éliminer les mouches tsé-tsé au niveau du secteur pré-forestier et de la zone soudanaise en Côte d’Ivoire (Anonyme, 2004). Cependant dans ce cas, les activités ont été réalisées par des spécialistes (chercheurs, praticiens, techniciens, etc.), alors que dans le cadre du projet d’urgence initié par la FAO, la stratégie mise en place est basée sur une approche communautaire. Ce sont les paysans, regroupés au sein de comités villageois, qui sont chargés de poser et d’entretenir les pièges de lutte. Ainsi, nos résultats semblent montrer que le comité de lutte du village Nambonkaha a été le plus performant par rapport à ceux des deux autres localités (Komborodougou, Nafoungolo) qui ont abrité les expérimentations. Il y a plus de femelles que de mâles de G. p. gambiensis, au niveau des captures de l’ensemble de la zone d’étude. Ce fait est habituel chez les glossines à cause de la plus forte longévité des femelles. Il témoigne, par ailleurs, de la fiabilité de l’échantillonnage des glossines effectué à l’aide du piège Vavoua (Laveissière, 1988; Laveissière et Grébaut, 1990). Dans ce cas, en effet, le taux de femelles est toujours supérieur à 50%. Ce résultat est vérifié pour l’ensemble de la zone d’étude. Par contre, il présente des particularités lorsque les observations sont faites selon les localités visitées. En effet, nos résultats montrent qu’à Nambonkaha, ce sont les actions de lutte qui ont conduit à une réduction considérable du taux des femelles par rapport à celui des mâles. Par ailleurs, les populations sont constituées en majorité de glossines jeunes comparativement à la durée de vie normale des mouches tsé-tsé qui est de l’ordre de 90 jours (Itard, 1986; De la Rocque et al., 2001). Les taux de nullipares et de vielles pares sont du même ordre. Ce résultat diffère de ceux des travaux de Zézé et al., (2007; 2008) et de Komono (2009) qui stipulent qu’en fonction de leur importance, les groupes d’âges physiologiques chez les glossines se classent dans l’ordre suivant: vieilles pares, jeunes pares et nullipares. Il a été noté également que le taux de glossines ténérales témoigne de la présence d’une forte proportion de néonates dans les collectes, contrairement à ce qui est observé en zone forestière (Zézé et al., 2007; 2008; Komono, 2009). Nos résultats font donc apparaître que la présence de pièges de lutte constitue un facteur limitant pour la longévité des glossines, maintenant ainsi des populations de mouches tsé-tsé jeunes dans la zone expérimentale. Pourtant, ce sont les très jeunes glossines qui présentent la plus forte aptitude à s’infecter assez facilement et à permettent le développement du trypanosome jusqu’au stade infectant (Welburn et al., 1989; Laveissière et al., 1984). Par conséquent, leur prépondérance au sein des populations de mouches étudiées est une condition favorable à une transmission efficace des trypanosomes dans la zone d’étude.

L’observation chez les glossines disséquées de trypanosomes au niveau de l’intestin moyen ou des pièces buccales, laisse supposer que certaines ou l’ensemble des espèces de trypanosomes suivantes, Trypanosoma vivax, T. congolense, T. suis, T. simiae et T. uniformis, seraient en circulation dans la zone d’étude. Cette possibilité apparaît probable surtout pour T. vivax et T. congolense qui, avec T. brucei brucei, sont couramment rencontrés chez les glossines. En effet, ces espèces ont été mises en évidence déjà chez G. tachinoides et G. p. gambiensis dans une zone d’élevage au Burkina Faso (Solano et al., 1999; Lefrançois et al., 1998). Elles ont été rencontrées également chez G. p. palpalis dans des foyers de transmission de la maladie du sommeil en zone forestière de Côte d’Ivoire (Jamonneau et al., 2004). C’est le lieu d’indiquer que du point de vue de l’épidémiologie et de la transmission des trypanosomoses bovines, ces espèces présentent un intérêt majeur. En particulier, T. vivax figure parmi les agents pathogènes des plus importantes affections bovines (Finelle, 1983; Maclennan, 1983). T. congolense se compose de deux formes (groupe Forêt, groupe Savane) dont l’une, T. congolense groupe Savane, constitue l’une des formes la plus pathogène pour le bétail, singulièrement les bovins. De ce fait, elle circule de préférence dans les zones de savanes à activités agropastorales (Bengaly et al., 2002a; 2002b; Lefrançois et al., 1998). Quoiqu’il en soit, la méthode parasitologique de diagnostic utilisée pour apprécier l’infection des glossines par des trypanosomes, présente des inconvénients majeurs. Par exemple, elle ne permet d’observer une glande salivaire infectée que pour environ 1000 mouches disséquées (Hoare, 1972). De plus, elle ne donne lieu qu’à une identification approximative des espèces qui infectent les glossines (Mulligan, 1970; Laveissière et al., 2000). Aujourd’hui, c’est la technique PCR (Polymerase Chain Reaction) qui présente la meilleure performance en matière de caractérisation des espèces de trypanosomes. En effet, cette technique permet d’une part, de détecter un plus grand nombre d’infections et, d’autre part, la mise en évidence d’un taux d’infection conforme aux réalités sur le terrain (Jamonneau et al., 2004). Malheureusement, les analyses biomoléculaires basées sur la technique PCR (Polymerase Chain Reaction), n’ont pas pu être effectuées parce que les échantillons constitués ont été entièrement détruits lors des événements post électoraux de 2011.

La prévalence trypanosomienne présente des taux notables dans les cheptels des régions de Korhogo et de Ferkessédougou qui abritent les sites d’expérimentation. En zone de savane de Côte d’Ivoire, la trypanosomose bovine sévit préférentiellement dans ces région, ainsi que dans celle de Boundiali (Camus, 1979; Acapovi et al., 2016). Ces localités (Korhogo, Ferkessédougou, Boundiali) sont situées dans le bassin versant du fleuve Bandama, parsemé de plusieurs rivières qui tarissent, pour beaucoup d’entre elles, en saison sèche. Pendant cette période, elles offrent alors par endroits, des points humides autour desquels se développent des îlots forestiers. Ainsi, ces îlots de forêts trouvés le long de ces cours d’eau, mais aussi d’autres érigés en «bois sacrés» par les communautés traditionnelles des régions, constituent de véritables gîtes pour les glossines vectrices biologiques des trypanosomoses. La présence de T. brucei, espèce transmise uniquement par le vecteur biologique, parmi les espèces de trypanosomes observées, indique l’effectivité du rôle vectoriel des glossines dans la transmission trypanosomienne dans les localités visités. La prévalence enregistrée notamment pour les espèces de T. vivax et T. congolense au cours de nos expérimentations apparaît plus élevée que celle déjà observée en zone de savane de Côte d’Ivoire (Komoin et al., 2004; Acapovi, 2005). T. vivax est l’espèce la plus importante après T. congolense et la plus observée aussi en termes de distribution dans les sites. Outre les glossines, T. vivax peut aussi se transmettre mécaniquement par certains diptères que sont les Stomoxes et les Tabanidés (Itard, 2000; Desquesnes et Dia, 2004). La faible ou absence d’infection dans plusieurs élevages serait probablement dû au fait que l’étude s’est déroulée vers la fin de la saison sèche. A cette période, les glossines dont leur dispersion dans la savane est plus accentuée en saison des pluies (De La Rocque et Cuisance, 2005), sont rares et infectent moins les animaux. Cette situation pourrait pourtant favoriser le contact hôte/vecteur dans la mesure où les seuls points d’eau devant servir d’abreuvement pour les animaux sont aussi les gîtes des glossines (Itard, 1981). Il se trouve que dans la plupart des cas, les bovins sont conduits vers les barrages hydroagricoles où la majorité des animaux est utilisée pour les cultures maraîchères. Ces cultures il faut le noter, utilisent beaucoup de pesticides qui exercent une réaction répulsive sur les mouches tsé-tsé, susceptible ainsi de réduire considérablement le contact glossines-bovins. Enfin à l’origine, les bovins trouvés en zone de savane sont des bovins attelés. Ceux-ci ont évolué par la suite pour constituer des troupeaux avec l’insertion de taurillons non castrés et de génisses. Du fait de leur importance dans l’agriculture locale, ces animaux sont l’objet de beaucoup plus de soins.

Du point de vue de la fréquence, T. congolense est plus importante que T. vivax et T. brucei chez les bovins de la zone d’étude. Ce résultat corrobore ceux des travaux menés par Lefrançois et al. (1998), Bengaly et al. (2002a), ainsi que par Solano et al. (1999) pour qui T. congolense groupe Savane qui provoque la plus sévère des trypanosomoses animales, circule dans les zones de savane à activités agropastorales. La fréquence de T. congolense, de T. vivax et de T. brucei notée dans la zone d’étude corrobore également les observations de Talaki et al. (2009) dans la zone de Sikasso au Mali et de Tanenbe et al. (2010) au Cameroun, sur la distribution de ces espèces ou sous-espèces de trypanosomes. Ces études ont révélé une prédominance de T. congolense parmi les trois espèces identifiées, malgré le fait que, particulièrement, la zone d’étude du Cameroun soit supposée indemne de glossines. Cependant, les résultats enregistrés, par les études de Sow et al. (2014) dans les zones agropastorales du Burkina Faso et d’Acapovi et al. (2016) en zone sub-soudanaise et soudano-guinéenne de Côte d’Ivoire ne confirment pas cette tendance. En zone sub-soudanaise et soudano-guinéenne de Côte d’Ivoire, particulièrement, T. vivax était l’espèce de trypanosome ayant la plus forte fréquence (82,5%) suivie de T. congolense (10,5%) puis de T. brucei (7%).

CONCLUSION

Du point de vue entomologique, dans la région des savanes de Côte d’Ivoire, l’échantillonnage des glossines à l’aide du piège Vavoua a permis de montrer la présence de G. p. gambiensis et de G. tachinoïdes dans les captures. Toutefois, l’environnement semble peu propice au développement de G. tachinoïdes qui, de ce fait, a été récolté en densité négligeable. Il en résulte cependant une transmission permanente des TAA à cause de la présence notable des populations du vecteur Glossina palpalis gambiensis et des trois principaux agents pathogènes (T. vivax, T. congolense, T. brucei) qui circulent dans la région. Le risque est d’autant plus réel qu’on note une prédominance de jeunes pares de glossines dans les captures.

Toutefois, les paramètres entomo-épidémiologiques évalués semblent révéler l’existence d’impacts dus à la lutte antivectorielle en cours dans la région, sur les populations de glossines. Ces impacts qui se traduisent principalement par une réduction considérable du sex-ratio, sont à l’origine de la très forte prédominance de jeunes pares dans les captures.

Ainsi, du point de vue parasitologique, les prévalences trypanosomiennes demeurent notables malgré la stratégie de lutte intégrée qui associe la lutte antivectorielle aux traitements trypanocides dans les cheptels. En cela, le projet FAO de relance de la lutte contre les TAA en zone de savane de Côte d’Ivoire, apparaît comme une véritable opportunité.

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Publié-e

15-09-2023

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Production et Santé Animales

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