Pratique de l’agriculture traditionnelle sur brûlis dans la commune de Molegbe (Gbado-Lite, Nord-Ubangi) en République Démocratique du Congo
Résumé
La présente étude avait pour but d’enquêter sur la pratique de l’agriculture traditionnelle auprès de 200 enquêtés (136 hommes et 64 femmes) en utilisant la méthode d’échantillonnage stratifié probabiliste. Il ressort de cette étude que l’agriculture est la principale activité des enquêtés (100%) suivie respectivement de la récolte des PFNL (98%), la chasse (78%) et l’élevage (12%). Les enquêtés défrichent leurs champs en forêt, ceux-ci sont situés à 11-20 Km du lieu d’habitation. La durée d’exploitation d’une terre agricole est d’un an pour 78,5% des enquêtés. Pour 46% des enquêtés, l’âge des jachères est le plus souvent de 5 à 10 ans. Au cours de cycle cultural d’un an, 39,5% de cultivateurs ont défriché une étendue forestière d’au moins 1 ha tandis que 25,5% des enquêtés ont défriché plus d’un ha de forêt primaire chacun alors que 35% ont détruit chacun moins d’un hectare. La superficie forestière défrichée pendant le cycle cultural annuel est évaluée à 245 ha soit 0,006%, ceci peut entrainer une perte de couvert végétal primaire d’au moins 0.15% dans 25 ans si rien n’est fait maintenant. Les résultats de cette enquête montrent ainsi que l’agriculture itinérante sur brûlis constitue une menace réelle pour le massif forestier du NU. C’est pourquoi, il est souhaitable qu’un travail de sensibilisation des populations soit initié en faveur de l’agriculture durable suivi de l’élaboration d’un plan d’aménagement forestier en vue de la conservation de la biodiversité.
Mots-clés: Agriculture, forêt primaire, biodiversité, dégradation, habitat, fragmentation
Téléchargements
INTRODUCTION
La République Démocratique du Congo (RDC) est couverte à 52% de forêts denses qui représentent 46% des forêts d’Afrique et constituent un réservoir de la biodiversité et un tampon écologique indispensable dans la lutte contre les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique (Bolia et al., 2019; Ngbolua, 2018; DIAF, 2017; Kambale et al., 2016a,b,c ; Asimonyo et al., 2015a,b; Badjedjea et al., 2015; Ngbolua et al., 2011a,b). Cependant, selon la FAO, environ 13 millions d’hectares de forêts disparaissent annuellement sur Terre et cette déforestation serait responsable de 18 à 20% des émissions de gaz à effet de serre (Triplet, 2016). D’autres recherches montrent que la diminution nette annuelle de la surface boisée est de 12 millions d’hectares, dont près de 8 millions d’hectares de forêts tropicales qui ont été éliminées ou visiblement dégradées (Achard et al., 2002). Ainsi, environ 1% des forêts tropicales sont rasées ou gravement dégradées chaque année (Raven et al., 2009). Parmi les causes de cette déforestation, on peut noter l’agriculture itinérante sur brulis. Cette pratique concerne toutes les régions forestières de la RDC y compris la province du Nord-Ubangi.
Depuis quelques années, les ressources naturelles de la province du Nord-Ubangi (NU) enregistrent des mutations perceptibles. Des résultats de divers travaux scientifiques confirment la dégradation de ces ressources. Afin de promouvoir l’utilisation durable de ces ressources aux fins d’un développement global au niveau provincial, il est indispensable de disposer de données fiables nécessaires à une gestion prévisionnelle rationnelle de ces ressources. Or le constat amer qui se dégage au niveau de la province du NU est le manque des données de base sur les dites ressources. Plusieurs facteurs concourent à la dégradation des formations végétales en régions tropicales : il s’agit notamment des facteurs naturels (comme le climat) et anthropiques tels que l’agriculture, l’exploitation du bois, l’artisanat, etc. (Ngbolua et al., 2018 ; Ngbolua et al., 2019a,b). Ainsi, on peut noter que l’accroissement démographique est la principale cause de la dégradation des formations végétales notamment à travers l’agriculture itinérante sur brûlis qui oblige les paysans à défricher plusieurs hectares chaque année. Cette pratique constitue à cet effet une menace sur les forêts tropicales. En effet, d’un point de vue agricole, elle souffre d’un manque de productivité, elle est peu efficace et inutilement consommatrice d’espace. D’un point de vue écologique, c’est la première cause de la déforestation dans la province du Nord-Ubangi (Ngbolua, 2018) et elle y réduit les populations animales.
Dans la commune de Molegbe, l’une de trois communes de la ville de Gbado-Lite et riveraine de la grande forêt de la province du NU, les paysans s’adonnent à l’agriculture qui demeure leur activité principale depuis des siècles.
L’explosion démographique due à l’exode rural et le chômage ont accentué l’émergence de cette pratique culturale afin de satisfaire la demande des marchés urbains. Cependant, cette agriculture itinérante sur brulis dilapide les ressources naturelles forestières de plus en plus au fil du temps, entrainant ainsi la destruction progressive et à grande vitesse des habitats de la biodiversité ceci, en entrainant une dégradation de l’environnement (Sinsi & Kampmann, 2010). Elle modifie le paysage qui passe d’une forêt primaire détruite à une sorte des recrues qui évoluent et deviennent des jachères qui finalement aboutissent dans quelques vingtaines d’années à une forêt secondaire (Bahuchet & Betsch, 2012). Dans une perspective de conservation durable des ressources phytogénétiques, la documentation des causes de la déforestation au niveau local est indispensable. C’est dans ce cadre qu’une enquête sur la pratique de l’agriculture traditionnelle a été réalisée dans la commune de Molegbe (Gbado-Lite, Nord-Ubangi) en République Démocratique du Congo. L’objectif général de la présente étude est d’évaluer la connaissance de la population de Molegbe sur cette pratique. Les objectifs spécifiques poursuivis par cette étude consistent à déterminer les caractéristiques sociodémographiques des enquêtés, à identifier leurs principales activités, les types de forêts exploitées, la distance parcourue, l’ancienneté des enquêtés dans la commune, la structuration des activités agricoles, la superficie exploitée ainsi que la durée d’exploitation et de jachères.
MATERIELS ET METHODES
Milieu
La présente étude été réalisée dans la commune de Molegbe, ville de Gbado-Lite. Cette ville est située dans l’écorégion oubanguienne, un sous ensemble appartenant aux forêts congolaises du nord-est (Northeastern Congolian lowland forests). Cette écorégion fait partie des 200 écorégions terrestres prioritaires sur le plan global dites les « G200 » (Ngbolua et al., 2019c,d ; Ngbolua et al., 2020a,b).
Méthodologie
Une pré-enquête (50 personnes) a été effectuée du 03 au 08 février 2020 et une enquête définitive a eu lieu du 11 février au 13 mars 2020. A l’issu de cette pré-enquête, environ 85% des personnes enquêtées disposent d’une connaissance sur l’agriculture traditionnelle et sont en mesure de répondre correctement aux questions posées.
Ainsi, en fixant la marge d’erreur à 5%, la taille de l’échantillon calculée a donné 196 personnes que nous avons arrondies à 200 personnes. La méthode d’échantillonnage stratifié probabiliste (sondage aléatoire stratifié proportionnel) a été utilisée. Elle consiste à diviser la zone d’étude (commune de Molegbe) en différentes strates, représentées ici par les cinq quartiers (Fadu, Kawele, Molegbe, Bakpa et Gobele) et à y associer le même nombre d’enquêtés. Pour cette étude, 40 personnes ont été interrogées par quartier (Ngbolua et al., 2019). L’interview a été faite en lingala, langue nationale la parlée à dans la province du NU. Les fiches d’enquête conçues en français ont servi de support pour les entretiens. Les questions concernaient les informations relatives aux caractéristiques sociodémographiques des enquêtés, à leurs principales activités, au type de forêts exploitées, à la distance parcourue, à l’ancienneté des enquêtés dans la commune, à la structuration des activités agricoles, à la superficie exploitée ainsi qu’à la durée d’exploitation et de jachères.
RESULTATS ET DISCUSSION
L’enquête a été réalisée auprès de 200 individus dont 136 hommes (soit 68%) et 64 femmes (soit 32%) d’âges compris entre 20 et 65 ans. Les classes d’âges compris entre 20-25 ans, 26-31 ans, 32-37 ans et 38-43 ans reste majoritaire (soit 76%). Tandis que les classes d’âges compris entre 44-49 ans, 50-55 ans, 56-61 ans et 62 ou plus sont moins représentés soit 24% (Tableau 1).
Tableau 1: Répartition des enquêtés par âge, sexe et quartier
Le tableau 2 donne le niveau d’études des enquêtés en fonction de quartier.
Tableau 2: Répartition des enquêtés selon le niveau d’études par quartier
Il ressort de ce tableau 2 que 45% des enquêtés ont un niveau d’études primaires alors que les analphabètes représentent 33% des cas et ceux ayant un niveau d’études Secondaires (3,5%) et universitaires (18,5%). Ceci montre que la majorité des enquêtés a un niveau d’instruction faible qui ne lui permet pas de déceler les impacts environnementaux de ses activités.
Le tableau 3 donne la situation matrimoniale des enquêtés.
Tableau 3: Répartition des enquêtés selon le statut matrimonial
Il ressort de ce tableau que la pratique de l’agriculture traditionnelle sur brûlis dans la commune de Molegbe est une activité pratiquée plus par les mariés (66,5%) que par les célibataires (33,5%). Ceci montre que ces cultivateurs ont la lourde responsabilité face à leurs familles étant donné que leur survie dépend de la forêt.
La figure 1 donne les principales activités de la population de la commune de Molegbe.
Figure 1. Principales activités de la population de la commune de Molegbe
Il ressort de cette figure 1 que la population de la commune de Molegbe pratique d’une manière combinée l’agriculture itinérante sur brulis (100%) qui demeure le moyen le plus facile pour celle-ci d’augmenter leurs revenus agricoles; 98% pratiquent la cueillette des PFNL, 78% pratiquent la chasse et 12% seulement de la population pratiquent l’élevage.
Le tableau 4 donne la fréquence des enquêtés en fonction de type d’habitat exploité pour l’agriculture.
Tableau 4: Répartition des enquêtés selon l’habitat exploité et le quartier
Il ressort de cette figure que 73,5% des cultivateurs défrichent les champs dans la forêt primaire tandis que 26,5% seulement en forêt secondaire. Au regard de ces résultats, le constat est que la forêt et ses biodiversités courent le risque d’extinction.
La figure 2 donne la distance approximative à parcourir pour atteindre les champs.
Figure 2. Distance approximative à parcourir pour atteindre les champs
Il ressort de cette figure ce qui suit: 79,5% des champs défrichés en forêt primaire naturelle sont éloignés des habitations (11-20 Km environ). Ceci démontre un recul alarmant de la surface forestière primaire naturelle.
La figure 3 donne l’ancienneté des enquêtés dans leur milieu.
Figure 3. Ancienneté des enquêtés dans le milieu
Il se dégage de cette figure que 60% des enquêtés ont vécu plus de 30 ans dans le milieu et 30% ont une ancienneté comprise entre 10 et 30 ans. Ceci prouve que la plupart de nos enquêtés sont des autochtones et n’ont qu’un seul travail, l’exploitation de la forêt.
La figure 4 donne le niveau d’organisation de la filière des activités agricoles dans la commune de Molegbe.
Figure 4. Niveau d’organisation structurelle des activités agricoles dans la commune de Molegbe
La majeure partie de sujets enquêtés font leurs travaux champêtres avec des associations paysannes (56%) et soit avec les membres de la famille (30,5%) utilisant des intrants rudimentaires (machettes, haches, houes).
La figure 5 donne la superficie des champs déchiffrés par an.
Figure 5. Superficie annuelle des champs défrichés
Au cours de cycle cultural d’un an, 39,5% de cultivateurs ont défriché une étendue forestière d’au moins 1 ha tandis que 25,5% des enquêtés ont défriché plus d’un ha de forêt primaire naturelle alors que 35% des enquêtés ont détruit chacun moins d’un hectare.
Cela prouve à suffisance la forte pression sur la forêt et le recul accentué de la superficie de l’étendue forestière de la forêt de la commune de Molegbe. Si rien n’est fait dans cinq années à venir, la situation risquerait de s’empirer.
La figure 6 donne la durée d’exploitation d’une parcelle de forêt défrichée par les paysans dans la commune de Molegbe.
Figure 6. Durée d’exploitation d’une terre culturale
On peut noter de cette figure que la durée d’exploitation d’une terre agricole défrichée en forêt est d’un an pour 78,5% des personnes enquêtées. Le cycle cultural est d’un an seulement et donc la destruction de la forêt naturelle s’accélère chaque année. Il est clairement démontré que les enquêtés affirment cependant que les pratiques culturales utilisées concours à la perte des biodiversités (100%) et présente un impact négatif sur les potentiels forestiers de cette zone.
La figure 7 donne la durée de la mise des terres en jachères dans la commune de Molegbe.
Figure 7. Durée des jachères dans la commune de Molegbe
La stratégie culturale des paysans se traduit par la multiplication des jachères. L’âge des jachères est le plus souvent de 5 à 10 ans de repos (soit 46%), tandis que 37% des enquêtés déclarent que la durée de la mise de terre en jachère va de 10 à plus de 15 ans. La figure 8 donne le paysage d’un champ défriché.
Figure 8. Paysage d’une forêt primaire transformé en champ à Molegbe
La pratique de l’agriculture traditionnelle sur brûlis dans la commune de Molegbe (Gbado-Lite, Nord-Ubangi) en RDC est la principale cause de la déforestation et la dégradation des forêts (figures 8 & 9) et donc la diminution de la fonction écologique de ces dernières. La forêt de la province du NU mesure environ 4.377 Km2 et représente à peu près 3,15% du total de la forêt de la RDC (Mafoto, 2014). La présente étude montre que le rythme de disparition du couvert végétal du bloc forestier de la province du NU est similaire à celui d’autres zones forestières de la sous-région d’Afrique Centrale.
En effet, selon une enquête effectuée au Cameroun dans la zone d’Ebolowa (Nguekam, 2010), l’agriculture traditionnelle sur brûlis constitue une pratique ayant des conséquences néfastes sur la diversité tant végétale qu’animale. Katsongo (1997) a démontré que le sol cultivé sous le tropique humide est caractérisé par une faible teneur en matière organique et la culture itinérante entraine la déforestation continue, intensifie la vitesse de disparition des couverts forestiers suite à la pression démographique et la diminution de la biodiversité.
Ainsi, dans la seule commune de Molegbe, environ 245 ha de forêts sont défrichés chaque année et convertis en espace agricole et en suite mise en jachère après exploitation. L’agriculture itinérante sur brûlis constitue donc une menace réelle pour le massif forestier du NU. Outre l’agriculture traditionnelle, le braconnage et l’exploitation artisanale illicite des bois constituent les autres causes de perte de la biodiversité dans la province du NU (Ngbolua, 2018). A cet effet, la gestion participative qui permet d’allier le développement socio-économique et la conservation de la nature est une stratégie qui permettrait de prévenir le rythme inquiétant de fragmentation de la forêt du NU par le défrichement avec brûlis de la végétation dans un laps de temps.
CONCLUSION
La présente étude, réalisée dans les quartiers riverains de la forêt de la commune de Molegbe à Gbado-Lite (Nord-Ubangi) en RDC, avait pour but d’enquêter sur la pratique de l’agriculture traditionnelle.
Il ressort de cette étude que l’agriculture traditionnelle sur brûlis est la principale activité des enquêtés (100%) suivi respectivement de la récolte des PFNL (98%), la chasse (78%) et l’élevage (12%). 79,5% des enquêtés défrichent leurs champs en forêt primaire naturelle, ceux-ci sont situés à 11-20 Km du lieu d’habitation.
La durée d’exploitation d’une terre agricole défrichée en forêt est d’un an pour 78,5% des personnes enquêtées. Pour 46% des enquêtés, l’âge des jachères est le plus souvent de 5 à 10 ans. Au cours de cycle cultural d’un an, 39,5% de cultivateurs ont défriché une étendue forestière d’au moins 1 ha tandis que 25,5% des enquêtés ont défriché plus d’un ha de forêt primaire naturelle alors que 35% des enquêtés ont détruit chacun moins d’un hectare. La superficie forestière défrichée pendant le cycle cultural annuel est évaluée à 245 hectares pour 200 enquêtés soit 0,006% de forêt défrichée chaque année à Molegbe, ce qui entrainera une perte de couvert végétal d’au moins 0,15% dans 25 ans si rien n’est fait maintenant. Les résultats de cette enquête montrent que l’agriculture itinérante sur brûlis constitue une menace réelle pour le massif forestier du NU.
Il est donc souhaitable qu’un travail de sensibilisation des populations soit initié par les autorités tant provinciales que nationales en faveur d’agriculture durable et participative par l’élaboration d’un plan de l’aménagement forestier pour des solutions durables en vue de la conservation de la biodiversité de la province du Nord-Ubangi.
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