Stratégies et mécanismes d’adaptation des légumineuses à la faible disponibilité des sols en phosphore

Auteurs-es

  • Mohamed LAZALI Laboratoire de recherche ERP, Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie et des Sciences de la Terre, Université de Khemis Miliana, Algérie
  • Samira BRAHIMI Laboratoire de recherche ERP, Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie et des Sciences de la Terre, Université de Khemis Miliana, Algérie
  • Chahinez BENADIS Centre de recherche sur les sols et fertilisants en Afrique, Université Mohammed VI Polytechnique, Maroc
  • Jean Jacques DREVON Institut National de la Recherche Agronomique, UMR Écologie Fonctionnelle & Biogéochimie des Sols et Agroécosystèmes, Montpellier, France

Résumé

Les légumineuses sont bien reconnues pour leur impact sur la durabilité des systèmes agricoles ainsi que pour leurs bienfaits nutritionnels et sanitaires. La faible disponibilité des sols en phosphore (P) est un facteur nutritionnel majeur limitant la production de légumineuses, en particulier dans les régions méditerranéennes et tropicales. La déficience en P limite la fixation de N2, car elle a été décrite comme ayant un fort impact sur la croissance et la survie des rhizobia et de la plante hôte. Les légumineuses ont évolué des mécanismes complexes pour faire face à la limitation en P.  Cette revue décrit les différents processus (modifications des racines, des anions organiques, des enzymes) qui peuvent affecter la biodisponibilité du P dans la rhizosphère. En réponse à la déficience en P, les plantes utilisent diverses stratégies adaptatives pour améliorer la disponibilité du P dans le sol et leur efficacité d'absorption, ce qui implique des modifications dans l'architecture des racines nodulées, l'acidification de la rhizosphère et l'induction de gènes impliqués dans l'efficacité d'utilisation du P, tels que les transporteurs de Pi à haute affinité et les enzymes phosphatases. Les réponses moléculaires, biochimiques, physiologiques et morphologiques sont déclenchées pour stimuler l'absorption de Pi dans le sol ou pour optimiser son efficacité d'utilisation et sa répartition intracellulaire sur tous les organes végétaux. Une compréhension holistique des mécanismes de la tolérance des légumineuses aux contraintes abiotiques sera précieuse pour les stratégies visant à améliorer l’agriculture durable dans un monde où la population augmente et les ressources renouvelables en déclin.

Mots-clés : Légumineuses, poils racinaires, anions organiques, enzymes, déficience en phosphore

INTRODUCTION

Le phosphore (P) est un élément essentiel pour tous les organismes vivants. Chez les végétaux, il joue un rôle essentiel dans de nombreux processus biologiques comme la croissance, la photosynthèse, la production d'énergie, les réactions redox, la fixation symbiotique de l’azote et le métabolisme des glucides (George et al., 2012). Il entre dans la synthèse des acides nucléiques (ADN, ARN) et la composition des phospholipides qui contrôlent la stabilité et les propriétés des membranes cellulaires (George et al., 2012). Il est impliqué dans de nombreux autres processus physiologiques et biologiques critiques au cours de la croissance et du développement des plantes. La majorité du P contenu dans les sols se trouve sous des formes minérales et organiques complexes qui ne sont pas directement utilisables par les légumineuses (Turner et al., 2005). Seule une faible proportion de P est alors présente sous forme assimilable (Pi) en solution et sa concentration est estimée pour la majorité des sols entre 0.1 et 10 μM (Hinsinger et al., 2003). Cette concentration est insuffisante pour les besoins nutritifs en P des plantes et la biodisponibilité en Pi devient alors rapidement un facteur limitant pour la production de biomasse dans les agro-écosystèmes. Les légumineuses fixatrices de l’azote ont des besoins plus importants en P comparativement aux autres espèces (Drevon et al., 2015). Cette exigence est généralement attribuée au coût énergétique élevé de la FSN qui augmente lorsque la légumineuse nodulée est exposée à une déficience de P (Lazali et al., 2018). Par conséquent, d’énormes quantités de fertilisants P sont apportées sur les terres cultivées et cette pratique n’est pas seulement coûteuse, elle est également polluante et non durable. En effet, même dans le cas d’une fertilisation adéquate en phosphore, plus de 15% de ce phosphore se trouvent exportés par les plantes dès la première année (Holford, 1998). Il demeure donc impératif de bien comprendre et d’exploiter les stratégies adaptatives des plantes dans l’absorption du phosphore en cas de déficience en P assimilable (Bargaz et al., 2015).

En réponse à la déficience en P, les plantes ont développé de nombreuses stratégies leur permettant d’assimiler le Pi avec une plus grande efficacité dans des sols pauvres en cet élément. Il s’agit de mécanismes morphologiques, physiologiques, biochimiques et moléculaires. Ces stratégies consistent tout d’abord en (i) une augmentation de la croissance racinaire, (ii) la mise en place d’organes spécialisés (Skene, 1998), (iii) l’expression de transporteurs de Pi à haute affinité (Raghothama et Karthikeyan, 2005), (iv) la sécrétion d’exsudats racinaires et d’enzymes spécifiques (Jones, 1998, Lazali et al., 2013) et (v) l’association symbiotique avec des microorganismes du sol (Smith et Read, 2008 ; Lazali et al., 2018). Dans le contexte de l’adaptation des légumineuses à la déficience P, cette revue de synthèse a pour but de résumer les connaissances actuelles concernant la biodisponibilité de P pour les légumineuses nodulées. La présente synthèse restera focalisée sur l’exposition des différents mécanismes utilisés par les plantes cultivées pour améliorer leur efficacité d'acquisition de phosphore.

MÉCANISMES DE RÉPONSES A LA DÉFICIENCE EN PHOSPHORE

Le phosphore est présent sous de nombreuses formes dans le sol mais seul l’ion orthophosphate peut être directement absorbé par les plantes. Les phosphates sont pour la plupart localisés sur la phase solide du sol où ils sont associés à des cations, à des oxydes et hydroxydes métalliques, aux argiles, au carbone, ou à l’intérieur d’organismes morts ou vivants. Ces formes de P présentent différents niveaux de disponibilité pour les plantes (Figure 1). Certaines formes peuvent se retrouver très rapidement dans la solution du sol, alors que d’autres ne vont migrer que très lentement de la phase solide vers la solution du sol et que d’autres ne pourront être libérés que suite à l’activité d’organismes vivants (minéralisation, solubilisation). La forte affinité du P pour les particules du sol a longtemps conduit la communauté scientifique à considérer cet élément comme totalement immobile dans le sol. Cependant, on sait actuellement que le P peut être mobilisé et redistribué dans le profil du sol et que dans certains cas il peut être transféré hors de ce profil. La disponibilité du P inorganique (Pi) pour la racine dépend des mécanismes qui contrôlent sa concentration en solution et qui sont de nature physico-chimique, biochimique et biologique selon ses principales formes dans le sol. La conséquence majeure de cette capacité du sol à fixer le P, est que cet élément devient moins disponible aux plantes (Lazali et Bargaz, 2017). Ainsi, sa faible biodisponibilité et sa faible diffusion (Schachtman et al., 1998) dans la majorité des sols cultivés ont souvent fait du P l’élément le plus déficient d’une part et l’élément primordial pour la satisfaction des besoins nutritionnels des végétaux d’autre part. Par conséquent, la déficience des sols en cet élément représente une contrainte environnementale touchant approximativement 33% de la totalité des sols cultivés et provoquant des pertes en rendement pouvant atteindre des valeurs voisinant les 15% (Shenoy et Kalagudi, 2005).

En réponse à la déficience en P, les plantes mettent en œuvre deux stratégies (Föhse et al., 1988). La première consiste à développer un système d’acquisition plus efficace du P en secrétant des phosphatases et d’acides acides organiques ou en augmentant la surface d’échange racinaire dont le rôle est de dissoudre le P insoluble du sol, phénomènes accrus par la symbiose avec des champignons mycorhiziens (Lazali et Bargaz, 2017). Cette stratégie concerne l’exigence externe en P de la plante, c'est-à-dire la concentration minimale en P de la solution du sol pour une croissance optimale de la plante. La seconde stratégie consiste à optimiser l’efficacité métabolique d’utilisation du P en produisant plus de biomasse ou en fixant plus d’azote par unité de P consommée (Lazali et al., 2017). Cette stratégie concerne l’exigence interne en P, c'est-à-dire la teneur minimale en P de la plante pour une croissance optimale.

Figure 1. Formes et disponibilité du phosphore dans le sol.

Modification de la structure et de la morphologie racinaire

L'architecture du système racinaire résulte de la croissance de la racine primaire, de la vitesse d'émission des racines secondaires et de leur vitesse d'allongement, ainsi que de la durée de ces différentes phases (Beemster et Baskin, 1998). Etant donné l’immobilité relative de P dans le sol, la configuration spatiale et la vitesse de croissance du système racinaire sont essentielles pour avoir accès continuellement à des nouveaux pools de P disséminés dans les différents horizons du sol. Dans ce contexte, de nombreuses études ont pu mettre en évidence des changements nets à la fois sur la croissance et l’architecture racinaire en réponse à la déficience en P (Lynch, 1995). Des sols à faible disponibilité en P modifient la croissance et l’architecture du système racinaire (Hodge, 2009). En conditions de déficience en P, 90% du Pi total acquis par les plantes est mobilisé par les poils racinaires. Les poils absorbants ont un diamètre plus petit et se développent perpendiculaire à l'axe des racines, qui leur permettent une meilleure exploration du sol et une bonne absorption de P.

Des études réalisées sur le haricot commun ont pu déterminer certains traits architecturaux qui permettraient une meilleure adaptation aux sols pauvres en P (Lynch et Brown, 2001). Parmi ces traits architecturaux, la trajectoire gravitropique des racines basales, l’enracinement accidentel, la dispersion des racines latérales et la plasticité de ces processus en réponse aux variations de disponibilité en P contribuent à l’efficacité d’absorption de P chez cette espèce. En effet, les poils racinaires interviennent activement dans l’absorption de l’eau et des nutriments à partir de la solution du sol. Leur forme allongée permet l’augmentation de la surface d’absorption de la racine et l’exploration d’un plus grand volume de sol. Plusieurs éléments de preuve indiquent que les poils racinaires contribuent à l'acquisition de P. La formation et la croissance des poils racinaires sont régulées principalement par l'apport de nutriments minéraux, en particulier le nitrate et le P (Gilroy et Jones, 2000). Ainsi, de nombreuses études ont montré une augmentation de la densité et de la longueur des poils racinaires en réponse à la déficience en Pi chez certaines légumineuses et céréales (Jungk et al., 1990). La longueur moyenne des poils racinaires d’Arabidopsis déficient en P a été trois fois plus élevé par rapport celle des plantes suffisantes en P. Grierson et al. (2001) indiquent qu'au moins 40 gènes chez Arabidopsis affectent l'initiation et le développement des poils racinaires en réponse à la déficience en P. Les poils racinaires aident également à la dispersion des exsudats racinaires tels que les acides organiques dans la rhizosphère, qui améliorent la biodisponibilité de P dans de nombreux sols (Ryan et al., 2001). Des mutants d'Arabidopsis et d’orge manquants de poils racinaires sont sévèrement altérés par l’absorption de P (Gahoonia et Nielsen, 2003). De la même façon la longueur des poils racinaires et leur densité sont très contrôlées par la biodisponibilité du P. La modélisation géométrique indique que les réponses des poils racinaires à la disponibilité en P interagissent en synergie pour améliorer l'acquisition de P (Ma et al., 2001). La variation entre les espèces en longueur des poils racinaires est corrélée avec l’acquisition de P (Gahoonia et al., 1999). La même corrélation est observée avec la variation intraspécifique entre les génotypes de trèfle blanc (Vance et al., 2003), l’orge (Gahoonia et Nielsen, 2003) et le haricot commun (Yan et al., 2002).

Exsudation d’anions organiques

Les exsudats racinaires constituent un mélange de composés organiques et inorganiques complexes résultant du métabolisme cellulaire et dont certains peuvent agir sur la disponibilité des éléments minéraux en solution (Hinsinger et al., 2003). Chez beaucoup de plantes, en particulier celles qui sont adaptées à la déficience en P, ont développé des mécanismes biochimiques pour solubiliser le P inorganique (Figure 2). Elles produisent et sécrètent des acides ou anions organiques dans la rhizosphère (Shane et Lambers, 2005). Il existe de nombreuses formes d’anions organiques (citrate, malate, oxalate, malonate) et les formes sécrétées sont en fonctions de l’espèce de la plante, de son âge mais aussi des conditions physico-chimiques de l’environnement (Jones, 1998). Ces anions organiques jouent un rôle crucial dans la mobilité et l’acquisition du P chez les plantes dans les sols pauvres en cet élément. Ils sont capables d’augmenter la biodisponibilité du P en libérant du P à partir des phosphates d’oxyde de fer, d’aluminium et de calcium par échanges anioniques (Lynch et Beebe, 1995). Ainsi, de nombreuses études ont montré une forte corrélation entre l’augmentation de la concentration en acides organiques sécrétés et l’amélioration de la nutrition en P chez la plante en présence de P minéral (Shu et al., 2007). L'efficacité des anions organiques dans la libération du P du sol est mise en évidence par des études sur le lupin blanc qui exsude des quantités importantes de citrate (et dans une certaine mesure de malate) par les racines protéoïdes qui se forment en réponse à la déficience en P (Vance et al. 2003; Lambers et al. 2013). La zone d'excrétion des acides organiques est située 1-2 cm derrière l'extrémité de la racine, et la zone la plus intéressante de l'excrétion est la région de la racine qui est directement en contact avec la roche phosphatée (Hoffland, 1992).

La libération des acides organiques dans la rhizosphère a été observée chez d'autres espèces comme le pois chiche, le pois et la luzerne (Pearse et al. 2006). Aussi, les génotypes efficients en P de haricot commun ont montré des niveaux d'exsudation des anions organique plus élevés que les génotypes inefficaces (Yan et al., 2004). De même, les travaux de Liang et al. (2013) ont suggéré que l'adaptation de soja à la fois à une déficience en P et à une toxicité en Al est due à une exsudation élevée de malate. Les anions organiques sont généralement libérés par les racines en association avec les protons, ce qui entraîne une acidification de la rhizosphère (Kouas et al. 2009). En plus de cette modification du pH de la rhizosphère, les anions organiques peuvent également faciliter directement la mobilisation de P grâce à une sorption réduite de P par altération des caractéristiques de la surface des particules du sol, la désorption de Pi à partir des sites d'adsorption et par la chélation de cations qui sont couramment associés avec le P dans le sol (Jones, 1998). L’exsudation des anions organiques permet la chélation des ions Fe3+, Al3+ et Ca2+, et le déplacement ultérieur de Pi à partir de formes liées ou précipitées (Jones, 1998; Hinsinger et al., 2003), et peut également rendre le P organique plus sensible à l'hydrolyse par les phosphatases acides.

Figure 2. Représentation schématique des différents mécanismes utilisés par les plantes pour s'adapter à la faible disponibilité en P.

Sécrétion de phosphatases et phytases

L’activité des phosphatases acides (APases) intracellulaires ou extracellulaires semble être une réponse vis-à-vis de la faible disponibilité en P et jouent un rôle important dans la production, le transport et la remobilisation du P (Figure 2). Les APases extracellulaire présentent généralement une large spécificité au substrat, alors que les APases intracellulaire sont beaucoup plus spécifiques dans leur fonction (Vance et al., 2003). Les APases sont largement distribuées dans les cellules de la plante, principalement dans les vacuoles, l’apoplasme (Li et Tadano, 1996), le cytoplasme et les plastes (Turner et Plaxton, 2001). Ce sont des enzymes qui catalysent l’hydrolyse des liaisons esters phosphoriques et d’anhydrides des composés organiques libérant ainsi du Pi au voisinage de la racine. Ainsi, il est estimé que 70 à 80% des APases sécrétées dans la rhizosphère sont d’origine bactérienne (Plante, 2005). Les micro-organismes sont capables de produire à la fois des APases acides et alcalines alors que plantes ne produisent que des APases acides. Les APases sont classées en fonction du pH optimal pour leur activité. En règle générale, les APases acides prédominent dans les sols acides, alors que les APases alcalines sont plus abondantes dans les sols neutres et calcaires (Renella et al., 2006). Les activités APases sont régulées par un certain nombre de facteurs, comme la disponibilité du P du sol ou son contenu en matière organique (Stursova et Baldrian, 2011).

Plusieurs études ont démontré que l’augmentation de l’activité APases autour de la racine entraînait la formation d’une zone de déplétion en P organique traduisant ainsi l’efficacité de ces enzymes à libérer du Pi à partir du P organique au profit de la racine (George et al., 2006). Toutefois, Tarafdar et Jungk (1987) ont montré que cette zone de déplétion s’effectuait à une distance proche de la racine, soit 0,8 mm pour le trèfle et 1,5 mm pour le blé, impliquant que le volume de sol exploré autour de la racine par les enzymes reste limité. L’augmentation de l’activité APases sous déficience en P apparaît être corrélée avec une augmentation de l’expression des gènes codant pour des APases acides (Miller et al., 2001). Une famille de 29 gènes partagée dans 44 domaines conservés des APases acides pourpres a été identifiée dans le génome d'Arabidopsis. Deux membres de cette famille (AtPAP11 et 12) ont été induits dans des conditions de déficience en P (Li et al., 2002). Certains des APases induites en déficit de P peuvent également être impliquées dans la déphosphorylation de protéines, un élément important de la transduction du signal. Dans ce contexte, un des gènes de la tomate (LePS2) induit en réponse à la déficience en P peut représenter cette catégorie des APases (Baldwin et al., 2001).

Ainsi, les phytases constituent une famille particulière des APases hydrolysant l’acide phytique qui constitue la principale forme de réserve en P chez les plantes (Raboy, 2003) et peut donc être présent en grande quantité dans les sols (Turner et al., 2003). Ces enzymes sont produites dans le sol par les champignons, les bactéries et les plantes (Lazali et Bargaz, 2017). En se basant sur les similarités de ses séquences d’acides aminés et les mécanismes catalytiques, au moins quatre familles de phytases ont été distinguées, incluant les phosphatases acides à histidine acide (HAP), les phosphatases acides pourpres (PAP), les phytases à cystéine (CPhy), et les phytases à hélice beta (BPP) (Lei et al., 2013).

Au niveau de la symbiose rhizobienne, des études récentes ont permis de mettre en évidence l’importance de ces enzymes sous contraintes abiotiques telle que la déficience des sols en P. Dans ce contexte et sous limitation en P, Lazali et al. (2013) ont noté une augmentation importante de l'activité APase et phytase nodulaires chez le haricot. D'une façon générale, l'activité phytase est plus faible que l'activité APases et n’en présente qu'environ 5%. Ceci suggère que les phytases représentent un groupe des APases et que l’augmentation de leurs activités enzymatiques dans les nodosités de haricot, soumises au déficit en P, constituerait un mécanisme adaptatif pour la tolérance des légumineuses fixatrices de l’azote au déficit en P (Lazali et Drevon, 2018).

Expression accrue des transporteurs de Pi à haute affinité

La concentration de P dans les cellules de la racine peut être jusqu'à 1000 fois plus élevée que sa concentration dans la solution du sol. Dans le but d'acquérir le P contre ce gradient de concentration, le transport du P à travers l'interface sol-racine a besoin d'un système de transport spécialisé (Figure 2). Chez les plantes, deux systèmes d'absorption de P ont été identifiés, un système de haute affinité qui est soit augmenté ou réprimé sous déficience en P et un système de faible affinité qui est exprimé de façon constitutive (Rausch et Bucher, 2002). Il est admis que la majorité des transporteurs de Pi impliqués dans l’absorption du P au niveau de l’interface racine-sol sont à haute affinité tandis que ceux responsables de la mobilisation du Pi interne de la plante sont à basse affinité (Daram et al., 1999). Les transporteurs de Pi sont des protéines localisées dans la membrane plasmique responsables de l’absorption du Pi circulant dans la solution du sol. Les plantes peuvent posséder plusieurs transporteurs de Pi pour chaque système.

De nombreuses études ont montré que la déficience en P provoque une augmentation de la capacité de prélèvement de P chez les plantes. Cette augmentation semble être corrélée avec une augmentation du niveau d’expression des gènes codant pour des transporteurs de Pi au niveau des racines (Paszkowski et al., 2002). Par exemple, neuf gènes de transporteurs ont été clonés chez Arabidopsis, au moins cinq chez la pomme de terre et jusqu'à huit chez l’orge. Tous les gènes clonés sont membres de la famille des transporteurs Pht1 et sont hautement conservés (Rausch et Bucher, 2002). Plusieurs études ont montré l'expression des gènes Pht1 sous déficience en P dans différents organes, y compris la racine, les tissus aériens et les organes de reproduction, mais la haute expression se trouve dans les poils racinaires (Mudge et al., 2002).

Ainsi l’adaptation d’une plante à un sol présentant de fortes variabilités de concentrations en Pi nécessite obligatoirement une capacité à réguler l’expression et la fonctionnalité des gènes codant pour des transporteurs de Pi à haute affinité au niveau de la racine. L’augmentation de l’expression de ces gènes permet une optimisation de l’absorption du Pi à partir de la solution du sol en conditions de déficience en Pi (Daram et al., 1999). A l’inverse, la répression de l’expression de ces gènes permet d’éviter une exposition à la toxicité dans des sols riches en P (Lambers et al., 2008).

CONCLUSION

Le phosphore est une ressource rare dans de nombreux sols des régions du monde, qui par ailleurs présentent fréquemment un fort pouvoir fixateur restreignant encore davantage la disponibilité de ce nutriment qui constitue ainsi un des principaux facteurs limitants dans les agro-écosystèmes de ces régions. L’accès à la fertilisation phosphatée est cependant restreint pour des raisons de manque de trésorerie et d’infrastructures. Le caractère non renouvelable et fini des gisements de phosphates naturels utilisés pour fabriquer les engrais phosphatés remet en cause la durabilité des pratiques de fertilisation à l’échelle mondiale et se traduit par une augmentation inéluctable des prix de ces fertilisants minéraux. Dans ce contexte, il est essentiel de mieux utiliser l’ensemble des ressources disponibles localement, et de développer des approches alternatives telles que les pratiques relevant de l’intensification écologique des agroécosystèmes, qui sont fondées sur une meilleure valorisation de processus biologiques ou écologiques. Parmi ces pratiques figurent notamment l’exploitation de la diversité végétale, au travers de la sélection de variétés efficientes dans leur capacité d’acquisition et d’utilisation de P, au travers de l’utilisation de rotations ou d’associations de cultures qui permettent de mieux exploiter les différents pools de P du sol, minéral et organique. Les autres pratiques reposent notamment sur une meilleure utilisation des intrants organiques comme source alternative de P, ou de biofertilisants (inoculants microbiens). La combinaison de ces différentes pratiques mérite d’être davantage explorée et développée. La nécessité de préserver cette précieuse ressource que constitue le P des sols renforce, en outre, le besoin de mettre en œuvre des techniques de travail du sol minimisant les pertes par érosion, telles que les techniques développées dans le cadre de l’agriculture de conservation.

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Publié-e

15-09-2020

Comment citer

LAZALI, M., BRAHIMI, S., BENADIS, C., & DREVON, J. J. (2020). Stratégies et mécanismes d’adaptation des légumineuses à la faible disponibilité des sols en phosphore. Revue Marocaine Des Sciences Agronomiques Et Vétérinaires, 8(3). Consulté à l’adresse https://www.agromaroc.com/index.php/Actes_IAVH2/article/view/886

Numéro

Rubrique

Production Végétale et Environnement