Figues sèches de basse catégorie au Maroc: État sanitaire et possibilités de valorisation

Auteurs-es

  • Ghizlane SALIH Laboratoire de Technologie Alimentaire, Institut National de la Recherche Agronomique, Rabat, Maroc

Résumé

Le séchage confère à la figue des propriétés nouvelles et prolonge sa durée de vie. Selon la nature du cultivar, la qualité obtenue après séchage varie énormément et peut aboutir à des figues sèches de basse catégorie. Au Maroc, elles sont souvent mal entretenues et mal exploitées. Ce travail s’intéresse à cette catégorie de figues sèches, originaires de la région Skoura, à travers une caractérisation physico-chimique tout en s’intéressant à l’évaluation de son niveau de contamination par des moisissures redoutables et en proposant aussi une transformation possible de cette figue en un aliment, telle que la confiture. Les principaux résultats ont montré que les critères physico-chimiques sont proches des autres types de figue sèche. Par contre, les échantillons analysés témoignent d’un haut risque sanitaire. En effet, 68% des souches isolées appartiennent à la mycoflore de stockage Aspergillus et Penicilium. On a noté également la présence d’espèces hautement toxinogènes tels que l’Aspergillus flavus. La valorisation de ces figues en confiture s’est montrée faisable et il serait vivement recommandé de réfléchir à une stratégie de valorisation de ce patrimoine national.

Mots clés: figue sèche, basse catégorie, contamination, valorisation, confiture

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Introduction

La production nationale des figues est destinée principalement au marché du frais, à la production de la figue sèche et une infime partie de la production des figues fraîches est destinée à la fabrication de la confiture. Au Maroc, le séchage des figues est une pratique qui est pour l’essentiel encore traditionnelle. C’est l’une des méthodes de conservation les plus anciennes qui est encore largement utilisée jusqu’à présent. Le séchage est un processus qui consiste à éliminer l’humidité par l’action de la chaleur. Il sert à la conservation en inhibant l’activité de l’eau dans les produits frais (Wan Nurlaila et al., 2019). Elle porte généralement sur l’excédent de la production des figues d’automne. Le séchage traditionnel des figues est très fréquent dans les régions où le figuier est répandu. Des figues, ayant atteint un degré de maturité suffisant, sont cueillies et transportées à l’endroit du séchage où elles sont exposées à un ensoleillement maximum. Après séchage, les figues sont ramassées et triées. Les plus grosses a peaux blanches sont aplaties et enfilées dans des fils d’alfa de manière à former des chapelets; ceux-ci sont destinés à la commercialisation. Dans les régions du nord, notamment la région de Taounate, des coopératives ont été créés afin de mieux valoriser la production en assurant de bonnes conditions de séchage et d’emballage (El Khaloui, 2010).

Un autre procédé consiste en l’ouverture et l’exposition du fruit au soleil sur un support sec. Ce mode de séchage est appliqué, en général, aux figues fleurs et aux variétés à gros calibre et qui s’apprêtent mal au séchage (Salih, 2008).

Dans certaines régions du Maroc notamment dans la province de Tinghir et certaines régions du sud, les villageois procèdent au séchage de certaines variétés de figuier non apte au séchage, en guise de conservation car la figue fraîche est un fruit hautement périssable. Les fruits séchés obtenus à partir de ces variétés se caractérisent par une faible qualité commerciale. Ces fruits séchés sont très rarement destinées à la consommation directe et sont surtouts utilisés sous forme moulu pour différentes utilisations légales (gâteaux, jus) et illégales (falsification du café par exemple et production des eaux de vie) (Salih, 2008). Cette catégorie de figues sèches peut rejoindre un procédé de moindres exigences tout en gardant une orientation alimentaire humaine.

En Espagne par exemple, la pâte de figues est une présentation possible où les figues sèches non sélectionnées sont mélangées à des noix ou amandes, et que l’on trouve sous forme de galettes ou demi-galettes, sous emballage rétractable. La présentation la plus novatrice qui existe dans la région d’Estrémadure (qui représente 70% de la production totale espagnole) sont les bonbons de figues qui sont en train de trouver un bon marché à l’échelle internationale, et qui consistent en des figues sèches de taille moyenne enrobées de chocolat (Gamero, 2002). En Algérie, les figues sèche de faible catégories, utilisées habituellement dans l’alimentation de bétail, trouvent de plus en plus d’autres voies de valorisation. Pour les algériens, c’est une manière de sauvegarder le patrimoine génétique des régions et également une alternative prometteuse pour le développement local (Ziani, 2017).

La qualité sanitaire de ces figues sèches, qui sont utilisées pour la consommation de façon directe et indirecte, doit interpeller les autorités. En effet, la figue sèche est une denrée qui peut être sujette à des contaminations par les moisissures et leurs toxines (Bulent, 2016; Bircan, 2009; Herpercan, 2012).

La littérature rapporte un certain nombre de travaux mentionnant la contamination des fruits secs et déshydratés par des moisissures et leurs mycotoxines. Au Maroc, une étude menée par un groupe de chercheurs (Juan et al., 2008) a montré la présence des aflatoxines dans les fruits séchés, dont les figues séchées. Une étude similaire a montré la contamination des figues sèches turques destinées à l’exportation par les aflatoxines et l’ochratoxine à à des teneurs élevées dans 35% des échantillons analysés (Senyuva et al., 2005).

Compte tenu de la prédominance des variétés de figues à faible aptitude au séchage, même dans la région du Nord (Jeddi, 2009), l’objectif de ce travail est d’ouvrir une voie de valorisation de ce patrimoine qui peut générer des revenus importants à la population rurale tout en tirant l’attention sur le risque sanitaire lié à son commercialisation dans des conditions inadéquates.

Matériel et méthodes

Matériel végétal

Dix échantillons de figues sèches, en provenance de la région Skoura (photo 1), sont approvisionnés de chez les grossistes dans la région de Marrakech.

Analyse physico-chimique

Une quantité de 100 grammes des figues séchées a été prélevé. Les fruits sont découpés puis broyés dans un broyeur de type Grindomix réglé à 8000 tr/min. La durée du broyage est de 30 secondes, puis l'échantillon est emballé dans du papier aluminium et remis au réfrigérateur jusqu’à analyse.

Les critères étudiés sont:

• Le calibre: le calibre correspond au nombre de fruits par 1 kilogramme de figues sèches et pour chaque intervalle de nombre de fruit/kilogramme une classe de calibre qui va de 1 à 11 est attribuée (CEE-ONU DF-14).

• La teneur en eau (AOAC, 1984), la teneur en protéine selon la méthode Kjeldahl, les fibres totaux selon la méthode Wende et le taux de cendre (NF V(05) 113, 1972)..

• La matière sèche soluble (Brix): La mesure de la teneur en matière sèche soluble, exprimée en degrés Brix, des échantillons de figues sèches a été déterminée suivant la méthode AOAC (1990).

Étude de la mycoflore des figues sèches

Isolement et purification des souches de moisissures

L’isolement des moisissures a été réalisé par la technique du contact direct avec la gélose. En effet, des fractions de figues ont été déposées sur le milieu de culture (PDA, Patate Dextrose Agar), puis incubées pendant 7 jours à 26°C. Un prélèvement a été effectué par échantillon.

Après incubation, les souches obtenues sont repiquées par touche sur le PDA jusqu’à obtention de souches pures. Les moisissures purifiées sont conservées à 0°C après être ensemencées sur gélose PDA inclinées et incubées à 28°C pendant 7 jours.

Identification du genre et de l’espèce

Les caractères morphologiques et culturaux sont déterminés après ensemencement des souches pures sur trois milieux de cultures spécifiques différents, CYA, MEA et G25N, et incubées à trois températures différentes: 25°C, 5°C et 37°C pendant 7 jours. L’identification se fait à l’œil nu pour les caractères macroscopiques et au microscope pour les critères microscopiques.

À partir des caractéristiques macro et microscopiques, l’identification se fait à l’aide de clés d’identification selon la technique de Pitt (Pitt et al., 1997):

• Diamètres de colonie: On mesure les diamètres des colonies macroscopiques, en millimètres sur le fond de la boite.

• Caractères de colonie: L’aspect de la colonie est examiné à l’oeil nu.

• Préparation des frottis de moisissures pour la microscopie: Des mycètes sont examinés au microscope en tant que frottis humides. Pour préparer un frottis humide, on utilise une aiguille d’inoculation pour récupérer une petite partie de la colonie comportant les structures conidiogènes. Puis on ajoute un colorant (bleu de coton), ensuite on pose une lamelle de couverture. On procède enfin à l’examen au microscope.

Transformation des figues sèche en confiture

Une quantité de figues sèches a été lavée, triées puis trempée dans l’eau chaude jusqu’à attendrissement. Une quantité de sucre estimée à 60% du poids du fruit a été ajoutée puis on a procédé à sa cuisson. Celle-ci est arrêtée quand on a atteint 65°Brix.

Résultats et discussion

Caractérisation des échantillons de figues sèches

Les figues sèches qu’on a prélevé proviennent de la région de Skoura (Province de Tinghir), les chiffres sur les quantités produites ne sont pas disponibles mais elles sont assez abondantes chez les grossistes de la ville de Marrakech. Ces figues se caractérisent par une texture dure due à l’épaisseur de leur peau et au mode de séchage prolongé. Leur aspect présente plusieurs défauts qui sont dus essentiellement au cultivar. Les fruits appartenant aux différents échantillons qui ont été analysés se sont montrés vulnérables aux attaques par les moisissures qui sont visibles sur la surface des fruits.

Leur calibre est trop faible, on a noté une moyenne de 170 fruits par kilogramme contre, par exemple, 40 fruits par kilogramme pour les figues d’origine turque (Salih, 2008).

Les principales caractéristiques physico-chimiques étudiés (Tableau 1) montrent des teneurs proches de celles citées dans la table de composition nutritionnelle de la figue sèche publié par l’EFSSA, ce qui montre que ce type de figues sèches qui fait l’objet du présent travail, malgré sa faible valeur marchande, se caractérise par une qualité physico-chimique très acceptable, d’où l’intérêt de sa valorisation.

Mycoflore totale de la figue sèche

Sur les dix échantillons de figues sèches analysés prélevés, 44 souches ont été isolées et conservées sur gélose inclinée (Photo 1). 6 genres ont été identifiés (Figure 1): Aspergillus (22 souches), Penicillium (8 souches), Mucor (5 souches), Rhizopus (4 souches), Trichoderma (3 souches), Alternaria (2 souches). Les moisissures du genre Aspergillus sont les plus fréquentes suivies par le genre Penicillium. Elles représentent respectivement 50% et 18% des isolats obtenus.

Espèces d’Aspergillus identifiées

Sur les 22 souches d’Aspergillus qui ont été isolées, on a constaté que 19 souches appartiennent à la section "Nigri" ou "Black aspergilli". Les trois autres souches correspondent à Aspergillus flavus prélevés sur trois échantillons de figues sèches.

Au sein de la section "Nigri", on a identifié 15 souches d’Aspergillus niger et 4 souches d’Aspergillus carbonarius.

Les Aspergillus sp. sont des microorganismes cosmopolites. Ils ont une valeur économique très importante vue leur capacité à produire divers métabolites intéressants pour l’homme mais c’est un genre qui renferme également des espèces très dangereuses par leur capacité à produire des métabolites toxiques.

Au sein du genre Aspergillus, la section "Nigri" ou "Black aspergilli" présente la taxonomie la plus conflictuelle malgré tous les efforts fournis pour mieux l’élucider. Cette section est très importante vue l’ochratoxigénicité qui a été attribuée à certains de ses représentants, A. niger et A. carbonarius (Abarca et al., 1994; Wicklow et al., 1996) prouvés comme contaminant majeurs de certaines denrées tropicales et subtropicales tels que les raisins et dérivés (Zimmerli et Dick, 1996). La présence d’ochratoxine A sur des figues sèches a été mise en évidence dans la littérature (Senyuva et al., 2005)

Aspergillus flavus est l’espèce la plus incriminée pour son pouvoir à produire les aflatoxines. Des travaux ont montré la capacité de cette espèce à produire l’aflatoxine sur des figues sèches au Maroc (Juan et al., 2008).

Transformation des figues sèches en confiture

Les essais qui ont été effectués ont montré la bonne aptitude de ces fruits à la transformation en confiture. En effet, la phase de gélification se produit sans ajout de pectine commerciale et un Brix de 65 degré a été atteint. Des réajustements ont été apportés au niveau de l’acidité finale de la confiture afin de lui conférer une bonne aptitude à la conservation. D’autres types de transformation peuvent être envisagés comme la pâte ou le sirop de figues.

Conclusion

Les figues sèches écartées par les circuits de commercialisation peuvent rejoindre une ou plusieurs voies de valorisation. Ces fruits sont généralement mal calibrés ou présentant des défauts d’aspect mais dont les qualités sensorielles et nutritionnelles sont proches des figues sèche de bonne qualité commerciale. Les figues sèches, objet du présent travail, se vendent dans de mauvaises conditions d’hygiène et de vente ce qui les rend vulnérables aux attaques par les moisissures. On estime que la mise en place d’un circuit de valorisation de ces fruits pour la fabrication de produits alimentaires, exemple de la confiture, pourrait améliorer ces conditions en contribuant à générer des activités pour la communauté rurale.

Références

AOAC (1990). Official methods of analysis of the association of official analytical chemists: Brix method 932-12.

AOAC (1984). Official methods of analysis, Association of official Analytical Chemists: 7.003. 14th edition, Washington DS.

Bircan C. (2009). Incidence of ochratoxin A in dried fruits and co-occurrence with aflatoxins in dried figs. Food and Chemical Toxicology, 47: 1996-2001.

Bulent K. (2016). Aflatoxins in hazelnuts and dried figs: Occurrence and exposure assessment. Food Chemistry, 211: 8-16.

CEE-ONU DF-14. NORME CEE/ONU DF-14 concernant la commercialisation et le contrôle de la qualité commerciale des figues sèches.

El Khaloui M. (2010). Valorisation de la figue au Maroc. Transfert de technologie en agriculture (Maroc), 186: 1-4.

Gamero J.L. (2002). Production de figues: perspectives pour la commercialisation des figues sèches. In Potentialités et perspectives de développement de la figue sèche au Maroc, 52-56.

Heperkan D., Somuncuoglu S., Karbancioglu-Güler F., Mecik N. (2012). Natural contamination of cyclopiazonic acid in dried figs and co-occurrence of aflatoxin. Food Control, 23: 82-86.

Jeddi L. (2009). Valorisation des figues de Taounate: potentiel, mode et stratégie proposé. Rapport DPA de Taounate. 29 pp.

Juan C., Zinedine A., Moltó J.C., Idrissi L. and Mañes J. (2008). Aflatoxins levels in dried fruits and nuts from Rabat-Salé area, Morocco. Food Control, 19: 849-853.

NF V (05)-113, 1972. Détermination de la teneur en cendres.

Pitt J.I., Hoking A.D., Ailsa D. (1997). Fungi and Food Spoilage. Blackie Academic & Profesional, London- Weinheim- NewYork- Tokyo-Melbourne- Madras.

Salih G. (2008). Rapport de Titularisation à l’institut National de la Recherche Agronomique.

Senyuva H.Z., Gilbert J., Ozcan S., Ulken U. (2005). Survey for co-occurrence of ochratoxin A and aflatoxin B1 in dried figs in Turkey by using a single laboratory-validated alkaline extraction method for ochratoxin A. Journal of Food Protection, 68 : 1512-1515.

Wan Nurlaila M., Massita M., Fodholi A. (2019). Review of drying technology of fig. Trends in Food Science & Technology, 88: 93-103.

Ziani K. (2016). Développement de stratégie de valorisation de figue sèche de basse catégorie: Cas de la production du vinaigre de figue. Thèse master, Université A. Mira-Bejaia, 61 p.

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Publié-e

16-06-2020

Numéro

Rubrique

Nutrition et Technologie Alimentaire