Étude quantitative de l’érosion hydrique des sols dans le bassin versant de Ben Ahmed (Maroc Central)

Auteurs-es

  • Nezha ASERAR Université Ibn Tofail, Faculté des Sciences, Département de Biologie, Kénitra, Maroc
  • Rachid MOUSSADEK Institut National de Recherche Agronomique, Rabat, Maroc
  • Allal DOUIRA Université Ibn Tofail, Kénitra, Maroc

Résumé

L’érosion hydrique constitue une problématique majeure au Maroc. Cependant, peu d’études sur ce fléau ont concerné les bassins du Maroc Central. Cet article présente les résultats d’une étude quantitative sur l’érosion hydrique dans le bassin de Ben Ahmed (située à 70 km au sud-est de Casablanca).Une campagne de simulations de pluie avec une intensité érosive de 60mmh-1 sur les principaux sols du bassin a permis d’estimer leur détachabilité varie entre19 et 34g l-1, correspondant à des taux d’érosion oscillants entre 4,3 et 12,3 t ha-1, pour les conditions de pluie testées, et que les coefficients de ruissellement variaient entre 38 et 73 %. Les analyses des échantillons prélevés de chaque site montrent que les sols sont faiblement à moyennement pourvus en matière organique avec des teneurs variant entre 1,2 et 3,3 %, et des valeurs de la densité apparente variant entre 1,1 et 1,5 g cm-3.

Mots-clés : Érosion hydrique, ruissellement, détachabilité, Simulation de pluie, Maroc central

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Introduction

À l’échelle globale, l’érosion hydrique est un processus majeur de dégradation des sols. Ces derniers constituent une ressource environnementale à protéger, car ils remplissent de nombreuses fonctions, essentielles au bon fonctionnement des écosystèmes. (Verheijen et al., 2009). Les changements climatiques et les paysages sous l’influence de la pression démographique et l’extension des cultures d’exploitation, ont contribué à l’augmentation de l’exposition des terres au processus de ruissellement, et par conséquent, à la dégradation des sols par l’érosion (Vezena et Bonn, 2006). Ainsi les activités humaines, à travers les pratiques agricoles, les exploitations forestières, le pâturage, ou la construction des routes et bâtiments tendent à modifier les phénomènes d’érosion, en l’accélérant souvent de façon considérable (Wachal, 2007). Elle est due à l’énergie du ruissellement, qui croît avec le volume ruisselé et la vitesse d’écoulement, et à la faible résistance à l’incision qui dépend du type de sol, de la protection de la surface du sol par la couverture végétale, de l’encroûtement et de la compaction du sol. Selon LeBissonnais (2008), l’érosion hydrique est au départ un défaut d’infiltration lié à une dégradation de la surface des sols sous l’action des pluies. Ce phénomène de dégradation est caractéristique de la région du Maghreb dont les potentialités en eau et en sol sont sérieusement menacées (Achite et al., 2005). L’érosion des bassins versants est très répandue dans la région du Maghreb (Remini, 2011), puisque toutes les conditions sont réunies pour déclencher et développer un tel processus : les irrégularités climatiques, la faible densité du couvert végétal, la nature des sols qui est peu résistante à l’écoulement et la violence des crues.

Le Maroc est confronté, partout et depuis toujours, aux effets néfastes de l’érosion hydrique. En effet, l’érosion hydrique est responsable du décapage des sols qui tapissent les versants réduisant ainsi leur productivité, allant même jusqu’à l’érosion des formations lithologiques qui les supportent. Les sédiments ainsi mis à la disposition des cours d’eau sont transportés plus en aval et provoquent le comblement des aménagements hydrauliques causant ainsi une destruction des infrastructures (de type routes ou barrages) (Sadiki et al., 2012). Pour évaluer ce phénomène, plusieurs études ont lieu dans les bassins versant dans le Nord du Maroc. Cependant, très peu d’études sur ce fléau ont concerné les bassins du Maroc Central. Cette étude quantitative basée sur une campagne de simulations de pluie a été réalisée dans le bassin versant de Ben Ahmed (située à 70 km au sud-est de Casablanca). Pour contribuer à combler cette lacune. Les expérimentations consistent à mesurer sur des sites expérimentaux variés en matière de sol et de couvert végétal, les volumes d’eau ruisselés et les quantités de sédiments érodés sous l’influence d’averse générée par un simulateur de pluie.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Site d’étude

Le bassin versant de Ben Ahmed est situé dans la région du Chaouia - Ouardigha dans un rayon 70 km de la ville de Casablanca, au centre du Maroc, (33°06’43’’N, 7°24’21’’ W), sur une superficie de 545 ha (figure 1). Le climat est de type semi-aride, influencé par l’océan Atlantique, avec des hivers tempérés et des étés chauds

Choix et Caractérisation des sites expérimentaux

L’objectif était de choisir des sites d’observation qui représentent des caractéristiques contrastées pour englober la variabilité pédologique du bassin. Pour répondre à cet objectif, cinq sites ont été retenus. Les cinq sites représentent les principaux types de sols du bassin, et une micro-parcelle de simulation a été mise en place sur chacun des sites. Ils représentent les caractéristiques suivantes :

-Site1 : sol peu évolué d’apport, labouré

- Site2 : sol peu profond labouré

-Site3 : sol peu évolué d’apport, en présence de mulch de blé ;

-Site4 : sol peu profond, calcimagnésique et caillouteux (rendzine) ;

-Site5 : sol profond de type isohumique châtain ;

Mesures effectuées

Granulométrie

Des échantillons des sols ont été prélevés de chaque site expérimental à une profondeur (0-20 cm).Ils ont été séchés à l’air, puis tamisés à 2 mm avant l’analyse granulométrique selon la méthode de pipette Robinson.

Densité apparente

La mesure de la densité apparente (Da) a été réalisée selon la procédure décrite par Grossman et Reinsch (2002). Dans chaque site expérimental, des cylindres de densité ont été prélevés à une profondeur (0 – 20 cm). Ces cylindres ont été pesés et laissés à l’étuve (105°C) pendant 24 h puis pesés à nouveau pour obtenir l’humidité du sol et la densité apparente de l’échantillon.

Matière organique

La teneur en matière organique a été évaluée selon la méthode de Walkley et Black (1934). Des échantillons de sol ont été prélevés de chaque site, la méthode de tamisage à sec a été utilisée. Elle consiste à faire passer les échantillons dans une colonne de tamis variant entre 0 et 2 mm. Les résultats ont été exprimés en %.

Simulation de pluie

Les tests de simulation de pluie ont été réalisés en octobre 2013, sur des sols secs. Les expérimentations consistent à mesurer sur cinq micro-parcelles de l’ordre du mètre carré les volumes ruisselés et de sédiments sous l’influence d’une averse générée par un simulateur de pluie. La micro-parcelle étudiée est limitée par un cadre métallique de 0,62 mètre carré enfoncé dans la terre jusqu’à une profondeur de 10 cm. Un système de recueil des eaux, constitué d’une gouttière collectrice isole la micro-parcelle à sa base et collecte l’eau de ruissellement avec ses sédiments. Pour chacune des micro-parcelles, une séquence de pluie érosive de 60 mm h-1 a été simulée pendant30 min. Durant chaque essai et à chaque 5 min, les volumes des charges solides ont été prélevés. L’eau de ruissellement a été prélevée pendant chaque minute, afin de déterminer les charges solides associées au débit ruisselé.

Les paramètres suivants ont ainsi pu être dérivés :

La lame ruisselée (LR en mm),

La lame infiltrée (Linf en mm) calculée comme suit :(Linf=Pluie-LR),

Le coefficient d’écoulement (Ke en%) avec : Ke= (LR/pluie) ×100

La concentration en sédiments de l’eau de ruissellement (Conc. en g l-1)

La perte en sol (Eroen g m-2) calculée avec Ero= Conc.×LR

Résultats et discussion

Granulométrie

L’analyse granulométrique montre qu’il y a une forte variabilité de texture des sols entre les sites expérimentaux. L’argile et le limon sont les fractions granulométriques les plus représentées dans la couche arable sur les cinq sites. Le sable reste la fraction la moins représentée entre 20et 26,8 % de la terre fine (Tableau1) sauf pour les sols isohumiques châtains. Selon les limites des classes granulométriques utilisées dans le système USDA/FAO, les sols étudiés entrent dans les classes «Argileuse» pour les deux premiers sites,«Limono-argileuse» pour le site3, et «Limoneuse» pour les sites 4 et 5.

Matière organique

Les taux de la matière organique mesurés sur l’ensemble des échantillons de sol prélevés de chaque site expérimental, sont compris entre 1,2 et3,3 %. La teneur la plus faible a été trouvée dans les sols du site 2 tandis que le site 4 enregistre une teneur de 3,3 %(Tableau2).Ces résultats montrent que les sites d’expérimentation sont caractérisés par des sols pauvres à moyennement pourvus en matières organiques.

Densité apparente

La densité apparente des sols des cinq sites expérimentaux est comprise entre 1,14 et 1,53 g cm-3(Tableau 2). Les valeurs les plus élevées (> 1,4 g cm-3) ont été trouvées dans les rendzines et les sols isohumiques châtains.

Résultats de la simulation de pluie

Infiltration et Ruissellement

Les résultats de la simulation de pluie enregistrés sur les cinq sites (figure 2) montrent que durant une pluie d’intensité constante (60mm h-1) pendant 30 minutes, l’écoulement cumulé est plus important sur les sols à texture limoneuse(sites 4et 5) que sur les autres sols. La présence du mulch sur le site 3 semble réduire le ruissellement dans ce type de sol peu évolué d’apport, par comparaison au site 1 qui a été labouré.

Figure 2. Évolution de ruissellement dans les sites expérimentaux

En fait, la texture montre une corrélation forte avec l’écoulement liquide avec des coefficients de détermination élevés (R2=0,74 %). Ce constat est en concordance avec les résultats de Marston et Dolan (1999) obtenus à partir de simulation de pluie.

Le tableau 3 montre la lame ruisselée, infiltrée et le coefficient d’écoulement pour chaque site d’étude.

Ainsi, avec une pluie de 30 minutes et d’intensité 60 mm h-1sur le sol peu évolué d’apport (site1), le ruissellement atteint 27mm h-1; indiquant que 45% de pluie se transforme en ruissellement. Pour les rendzines du site 2, le travail du sol a diminué l’infiltration et renforcé le ruissellement, la lame ruisselée est de l’ordre de36mm h-1indiquant que 60% de pluie se transforme en ruissellement alors que cette valeur est de 70 % pour le même type de sol en condition non labourée (site 4). Pour le sol peu évolué d’apport (site 3), la lame ruisselée est de l’ordre de 23 mm h-1, la lame infiltrée atteint 37 mm h-1, ce qui implique que 38 % de pluie se transforme en ruissellement. Ce site présente un couvert végétal (mulch) qui maintient une bonne porosité à la surface, une forte infiltration et réduit le volume ruisselé grâce à son système racinaire (Roose,1994, 1996; Moussadek et al., 2011). Sur les deux sites (4 et 5), plus de 70 % de pluie se transforme en ruissellement avec un débit ruisselé de 42 mm h-1en raison de leur texture fine et de leur grande densité apparente.

Érosion et pertes en terre

Les résultats obtenus montrent que les concentrations moyennes en sédiments dans les eaux de ruissellement sont très importantes et varient entre 19et 34.4g l-1 sur les 5 sites (figure3).

Les rendzines (site 2 et 4), qui sont des sols peu profonds, enregistrent les valeurs de concentration moyenne en sédiments parmi les plus fortes (première et troisième plus forte valeur), illustrant la fragilité de ce type de sol. La comparaison des concentrations entre le site 2 et le site 4 fait également apparaitre l’impact du travail du sol sur la détachabilité puisque le site 2, travaillé, enregistre la concentration la plus élevée (34,4g l-1),alors que le site 4, non travaillé, enregistre une valeur plus faible de 27g l-1.Concernant les sols peu évolués d’apport, une concentration moyenne de 19g l-1(la plus faible de tous les sites) a été enregistrée sur le site 3 en présence d’environ 30 % de mulch alors qu’une concentration moyenne de 30,4 g l-1a été observée sur le site 1. Ce résultat confirme que la présente du couvert végétal est sans doute parmi les facteurs les plus importants pour réduire les risques d’érosion (Roose, 1994 ; Fritsch, 1992), en réduisant à la fois les concentrations en sédiments des eaux du ruissellement et la quantité de ruissellement cumulé comme vu précédemment. Avec une concentration moyenne en sédiment de 21,8 g l-1, le site 5 sur sol profond de type isohumique châtain montre une détachabilité plutôt faible de ce type de sol comparativement aux types de sol étudiés.

Par ailleurs, la figure 4 montre que les taux d’érosion varient entre 4,3 t ha-1 et 12,3 t ha-1pour une séquence de pluie de 60 mm h-1sur 30 minutes. Les2 micro-parcelles sur rendzines ont montré les plus forts taux d’érosion avec11,8 à 12,3 t ha-1. L’effet bénéfique du travail du sol sur le ruissellement (site 2) ne se concrétise pas sur le taux d’érosion, du fait de concentrations en sédiments plus fortes. Les micro-parcelles sur sols peu évolués d’apport et les sols isohumiques châtain sont subi des taux d’érosion plus faibles compris entre 8,2t ha-1 et 9,3t ha-1. La micro-parcelle sur sols peu évolués d’apport présentant le mulch voit par contre son taux d’érosion (4,3 t ha-1) diminuer d’un facteur de presque 2 par rapport au site 1 (8,2 t ha-1). Enfin, le taux d’érosion de la micro-parcelle sur sol profond isohumiques châtain est assez élevé du fait de sa forte propension à ruisseler.

Les résultats obtenus confirment que la couverture du sol protège le sol de l’impact de la pluie et diminue ainsi le phénomène de battance. Elle ralentit l’écoulement de l’eau à la surface, lui donnant ainsi plus de temps pour s’infiltrer dans le sol. Le couvert végétal représente aussi une forte barrière physique vis-à-vis de la pluie qui induit une réduction significative des pertes en terre par rapport à des sols nus. Le travail du sol permet la destruction des résidus des cultures précédentes et l’aération du sol. S’il accroît la porosité et la rugosité du sol, et améliore temporairement l’infiltration et la capacité de stockage du sol, il expose le sol à l’agressivité des pluies et augmente la détachabilité du sol.

Son impact final sur l’érosion totale est donc loin d’être évident, ce qui rejoint des conclusions de travaux précédents (Raclot et al., 2009).

Conclusion

Les résultats présentés ci-dessus indiquent que les mesures des charges solides et les taux d’érosion dans le bassin de Ben Ahmed au Maroc Central sont élevés, ce qui confirme l’importance de l’érosion hydrique sur les sols de ce basin et le rôle des parcelles agricoles comme source importante de sédiment dans la région d’étude. Ils confirment également que les activités agricoles jouent un rôle important dans les flux d’érosion, pouvant augmenter ou diminuer les risques d’érosion, d’où la nécessité de choisir des pratiques adaptées permettant la conservation des terres agricoles.

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Publié-e

15-06-2019

Numéro

Rubrique

Érosion et Dégradation des Sols