Fonctionnement du marché foncier agricole et transformation structurelle au Maroc: Une analyse en équilibre général calculable dynamique
Résumé
Le présent article analyse l’impact d’une administration du prix du foncier sur la transformation structurelle, de l’agriculture vers les autres secteurs de l’économie. Nous avons développé un modèle d’équilibre général calculable dynamique séquentiel à deux secteurs, dans lequel le secteur agricole rural utilise le facteur terre, en plus du facteur travail et du capital. Le secteur non agricole urbain, utilise la main d’œuvre et du capital. La mobilité de la main d’œuvre de l’agriculture vers le secteur urbain non agricole est favorisée par la migration. Le modèle est calibré sur la matrice de comptabilité sociale de 2013 du Maroc, construit à cet effet. Les résultats empiriques montrent que l’administration des prix du foncier a un impact négatif sur la demande de travail dans le secteur non agricole, entraine un retard de la transformation structurelle et a un effet positif et significatif sur les taux de salaires ruraux.
Mots-Clés : Transformation structurelle, foncier, modèle d’équilibre général calculable, Maroc
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INTRODUCTION
Le développement économique est associé à un changement structurel de l’économie, marqué par une réallocation de la main d’œuvre des secteurs à faible productivité (secteur agricole) aux secteurs à forte productivité, notamment l’industrie manufacturière (Lewis, 1954). L’agriculture, considérée comme un secteur de subsistance, disposerait d’un excédent de main-d’œuvre, avec des travailleurs percevant une rémunération supérieure à la productivité marginale contrairement au secteur manufacturier urbain. Ce processus est un facteur essentiel à une croissance économique de long terme et un facteur de réallocation de la demande sectorielle vers des utilisations moins consommatrices de ressources naturelles.
Or, de ce point de vue l’économie marocaine est en retard, du fait des politiques économiques menées au cours des trois dernières décennies. L’ouverture commerciale, accompagnée de diverses politiques sectorielles, a permis d’accroître la compétitivité de l’offre marocaine, et de favoriser l’intégration dans les chaînes de valeurs mondiales. Toutefois le processus de transformation de l’économie apparaît globalement lent. La valeur ajoutée agricole en pourcentage du PIB a connu une régression par rapport aux années 1990, mais reste globalement stagnante autour de 13-15% depuis le début des années 2000, soit la même fourchette de variation qu’au cours de la décennie 1980. Au même stade de développement, la part de l’agriculture dans l’économie marocaine, apparaît relativement élevée, comparée à d’autres pays (Figure 1). L’emploi agricole reste prépondérant, se situant à 38% de l’emploi totale en 2016. La contribution de la réallocation de la main d’œuvre à l’accroissement de la productivité à l’échelle de l’économie est estimée à 22% sur la période 1999-2016. Le ratio de la productivité par travailleur entre le secteur non agricole (industrie et services) et l’agriculture s’élève à 4,6 sur la même période. Compte tenu du gap de productivité entre l’agriculture et les autres secteurs de l’économie, une accélération de la transformation structurelle en faveur des secteurs non agricoles serait désirable, tant pour l’efficience d’utilisation des ressources que pour la réduction de la pauvreté (Mc Millan et Rodrik, 2011).
Les distorsions sur les marchés des facteurs, notamment celui du travail et du foncier sont considérées comme les principales causes de la faiblesse de la mobilité intersectorielle. Les réglementations qui se traduisent par un marché foncier peu liquide, engendrent entre autres, une augmentation du coût de la migration, ce qui fige la main d’œuvre dans le secteur agricole. Compte tenu des rentes que génèrent certaines restrictions, il en découle une mauvaise allocation des capitaux et un surinvestissement dans le secteur agricole. La sécurité des droits de propriété et le bon fonctionnement du marché du foncier sont dès lors essentiels pour une allocation efficiente des ressources.
Les restrictions sur le marché du foncier ont fait l’objet de plusieurs travaux recensés dans la littérature. Les principales questions étudiées portent notamment sur l’insécurité des droits de propriété et l’inaliénabilité de la terre. Hayashi et Prescott (2008), soulignent que les restrictions sur la location et la vente de la terre peuvent considérablement augmenter le coût de la migration, dès lors qu’un ménage migrant ne peut plus prétendre à un revenu futur associé à la terre ; le résultat en est une faible productivité dans le secteur agricole compte tenu de la mauvaise allocation de la main d’œuvre. À travers un modèle à deux secteurs dans lequel le secteur agricole utilise les facteurs: terre et travail, et le secteur non agricole, les facteurs travail et capital, Emran et Shilpi (2015) analysent les effets des restrictions au niveau du marché foncier sur la transformation structurelle au Sri Lanka. Les auteurs montrent que l’inaliénabilité des droits fonciers en raison des restrictions sur les ventes engendre une augmentation des coûts de la migration, et donc une baisse de la migration, conduisant à une dotation accrue en main-d’œuvre dans un lieu où l’incidence des restrictions foncières est plus grande. Une augmentation de 1% des restrictions sur le marché du foncier, réduirait selon les auteurs, la probabilité de participer au marché du travail dans le secteur non agricole de 1,38%. Les restrictions sur le marché du foncier ralentissent ainsi le processus de transformation structurelle de l’économie, et dans certains cas, se traduisent par une ‘’transformation structurelle inversée’’. Cependant l’impact des restrictions serait différencié selon le genre. Emran et Shilpi (2014) révèle, comme résultat de la hausse du coût de la migration, une augmentation de la participation des femmes au marché du travail rural et une baisse des taux de salaires de cette catégorie. Analysant l’impact de la transférabilité limitée des droits de propriété sur la terre en Éthiopie, à travers un modèle d’équilibre général dynamique, Gottlieb et Grobovšek (2016), montrent que la levée de cette restriction, réduit l’emploi agricole de 19% et se traduit par un accroissement du PIB de 7%. Il en résulte également une réduction du gap de productivité entre le secteur agricole et le secteur non agricole de 40% en terme réel.
Au Maroc, les distorsions sur le marché du foncier sont de plusieurs ordres. Elles portent sur des interdictions de ventes, l’administration des prix par l’État, la limitation des droits de location, etc.
Cet article analyse l’impact d’une administration des prix sur la transformation structurelle. Pour ce faire, nous avons construit un modèle d’équilibre général dynamique séquentiel à deux secteurs, dans lequel le secteur agricole rural utilise le facteur terre, en plus du facteur travail et du capital. Le secteur non agricole utilise la main d’œuvre et du capital. La mobilité de la main d’œuvre de l’agriculture vers le secteur non agricole est favorisée par la migration, dont l’ampleur varie en fonction du différentiel de taux de salaire entre les deux secteurs, et de la probabilité de trouver un emploi dans le secteur non agricole urbain. Le modèle est calibré sur les données du Maroc, avec l’année 2013 comme référence. A travers ce modèle, deux situations de références (Business As Usual) sont analysées. Le premier suppose un prix réel de la terre fixe, avec l’ajustement se faisant par l’offre. Le second suppose une offre foncière exogène et fixe, avec un ajustement par les prix.
La suite de l’article est structurée en trois sections. La première section, décrit les caractéristiques physiques et économiques du foncier agricole au Maroc et rappelle à grands traits l’évolution des différents indicateurs. La deuxième section présente une brève description du modèle CGE, développé dans le cadre de cet exercice. Dans la dernière section, nous présentons les résultats des simulations.
Définition de quelques statuts fonciers
1. Le statut melk offre le plus d’avantages pour la mise en valeur agricole, car il donne un droit de propriété stable sur la terre, et permet mutations, locations et même hypothèques sous la forme immatriculée du melk. Toutefois, ce droit de pleine propriété privative n’est pas nécessairement individuel; au contraire, il s’agit souvent d’une propriété familiale, appartenant à plusieurs héritiers, ce qui se traduit par des situations d’indivision et rend complexe les modalités d’investissement/ jouissance.
2. Les terres collectives sont une des formes les plus anciennes d’occupation des sols au Maroc. Ce sont à l’origine essentiellement des terres de tribus. La législation accorde à ces terres un caractère:
• Inaliénable: ne pouvant être cédées ou vendues;
• Imprescriptible: ne pouvant être acquises par prescription acquisitive comme c’est le cas pour le melk (c’est-à-dire par la possession continue pendant 10 ans);
• Insaisissable: ne pouvant faire l’objet de saisie, ces terres ne peuvent pas non plus servir de garantie aux prêts hypothécaires;
• Assujetties à des limites au droit de location et qu’une part théoriquement d’égale superficie revient à chaque ayant droit (Dahir du 27 avril 1919). Ce texte toujours en vigueur détermine les limites administratives des terres collectives, fixant ainsi les tribus dans ces limites.
3. Les terres guich sont des terres collectives avec un statut particulier. Le régime guich est caractérisé par un démembrement du droit de propriété. A la différence des terres collectives des tribus, l’État a la nue-propriété (droit éminent) des terres guich. Ces terres sont donc inscrites au domaine privé de l’État. Les collectivités guich sont titulaires à titre collectif de l’usufruit («menfaa») résultant d’une concession du souverain ; et les ayants-droit, membres de la collectivité guich, sont titulaires d’un simple droit de jouissance («intifaa»). Ces terres guich ont la particularité de n’être régies par aucun texte spécifique, ce qui accroît les incertitudes.
4. Les biens habous sont des biens, offerts par un individu au profit d’une œuvre pieuse, charitable ou sociale. Ces propriétés inaliénables et imprescriptibles sont régies par les règles de droit musulman. La vente n’est possible qu’avec l’autorisation préalable du Roi (Dahir du 7 juillet 1914). L’usufruit des biens habous est cédé à titre gratuit et à perpétuité à des bénéficiaires qui les font fructifier à des fins sociales ou religieuses. Il existe deux types de habous : publics (environ 100 000 ha dont 60% de terres agricoles) et privés. Les habous publics sont sous le contrôle du Ministère des Habous et Affaires Islamiques qui doit les valoriser, au profit des bénéficiaires désignés, ce qui a fait de ce Ministère un promoteur foncier et immobilier. Les habous privés ne peuvent être cédés à moins de l’extinction de tous les héritiers. A ce moment, le bien habous privé devient public et passe sous le contrôle du Ministère des Habous.
Composition, évolution et répartition du foncier agricole au Maroc
Le foncier au Maroc est marqué par un cadre législatif complexe dans lequel cohabite droit musulman, pratiques héritées du protectorat, et les impératifs de développement d’une agriculture moderne, portés par le code d’investissement agricole. Aucune des principales sources du droit foncier qui se sont succédées depuis la période pré-protectorat jusqu’à nos jours, n’a fait disparaître les précédentes mais aucune non plus ne s’est maintenue intégralement. Cet environnement se traduit par un marché foncier régit par une pluralité des règles, avec une prédominance de régimes fonciers restrictifs.
L’analyse de l’environnement institutionnel est un élément non négligeable et quasi-indissociable lorsqu’il est question de parler du foncier au Maroc. Cependant, au regard de la question centrale à laquelle cet article tente de répondre, nous ne nous étalerons pas sur cet aspect. Néanmoins, à travers l’encadré suivant, nous présentons la définition de quelques typologies de droits, peu communes, qui seront employées dans les paragraphes qui suivront.
Le foncier agricole représente 55 % de la superficie du territoire national. Il est constitué des terres de parcours, des forêts (y compris les nappes alfatières) et des terres cultivables; soit une superficie de 39 à 40 millions d’hectares, dont 9 millions d’hectares de Superficie Agricole Utile (SAU).
Selon un découpage en zones climatiques, 79% du territoire national sont situés dans une zone aride et saharienne, contre 14% en zone semi-aride et 7% en zone subhumide et humide. L’essentiel du territoire national est donc situé dans une zone aride caractérisée par un ensoleillement prolongé et des périodes de sécheresse plus longues, plus fréquentes et plus aiguës. Par ailleurs, l’irrégularité des précipitations et, plus généralement, les incertitudes liées au climat font que l’aridité s’impose même dans les zones classées comme humides.
L’analyse de l’évolution du foncier agricole montre une stagnation de la SAU, une prédominance des exploitations agricoles de petites tailles et des mouvements de concentration des terres agricoles dans certaines zones, notamment dans les zones d’irrigation privée.
Avec moins de 7,5 millions d’hectares à la fin des années 1970, les superficies cultivables ont stagné autour de 9 millions d’hectares. Cette stagnation de la SAU traduit le fait que les limites physiques à une croissance basée sur l’extension des terres cultivées, ont été atteintes. Environ 1,6 millions d’exploitations agricoles se partagent la SAU, ce qui représente une superficie moyenne de 5 hectares par exploitation. La répartition du foncier selon les tailles des exploitations est très inégale. Les petites fermes (superficies <5 ha) représentent 70% des exploitations agricoles, et 25% de la SAU (moyenne de 2 ha par exploitation). Quant aux exploitations de plus de 20 hectares, elles cumulent 35% de la SAU et ne représentent que 5% des exploitations (moyenne de 45 ha par exploitation).
Malgré une tendance à la baisse, la part de la superficie de la jachère reste importante et représente entre 20 et 25% de la SAU; cette importance témoigne des possibilités d’intensification dans l’agriculture marocaine, bien que la jachère soit un mode de gestion des terres qui contribue à sa préservation et à l’amélioration de l’efficience à long terme.
Le statut juridique de type melk, couvre la majorité de terres cultivées, avec environ 77% de la SAU globale, viennent ensuite les terres collectives estimées à 1,6 millions d’hectares (17% de la SAU). Le graphique suivant présente une répartition de la SAU par statuts juridiques.
Les principaux modes de mobilisation du foncier agricole rural peuvent être résumés en trois catégories : i) les transactions entre acteurs privés dans le melk, ii) les allocations administratives faisant intervenir un acteur public et un nombre restreint d’opérateurs privés professionnels ayant une capacité d’investissement, et iii) les transactions entre acteurs privés en dehors du melk.
Méthodologie: Un modèle d’équilibre général calculable dynamique à deux secteurs
Afin d’analyser les effets des différents mécanismes d’ajustement au niveau du marché du foncier, sur la transformation structurelle au Maroc, nous avons développé un modèle d’équilibre général dynamique séquentiel à deux secteurs (agriculture et secteur non agricole). Le modèle est calibré à l’aide de la matrice de comptabilité sociale de l’année 2013, développée dans le cadre de cet exercice. Trois niveaux de qualifications sont retenus : travail qualifié, travail moyennement qualifié et le travail à faible niveau de qualification. Le secteur non agricole utilise du capital et du travail. Le secteur agricole rural utilise en plus de ces deux facteurs de production, le facteur terre.
Les élasticités utilisées pour le modèle proviennent principalement de la littérature sur le Maroc. Une description détaillée du modèle est accessible auprès des auteurs.
Module statique
Les branches d’activité : La production des branches est modélisée suivant une structure imbriquée. Au premier niveau, La production est réalisée à travers une combinaison de valeur ajoutée (VA), et une demande pour les biens et services (consommations intermédiaires), ND. Ce premier niveau est représenté par une fonction Leontief. Le deuxième niveau du processus de production a deux déclinaisons. Dans le secteur non-agricole urbain, la valeur ajoutée est une fonction CES de l’input composite Capital-Travail qualifié et du travail non qualifié. Dans le secteur agricole rural, la valeur ajoutée est obtenue à travers une combinaison du facteur terre (TT), spécifique à ce secteur, et de l’input composite Capital-Travail (KL) suivant une spécification de type CES. La deuxième déclinaison décompose la demande intermédiaire globale, ND, en une demande sectorielle pour les biens et services, XAp à travers la matrice input-output. Quant au troisième niveau, l’input composite capital-travail qualifié, est décomposé suivant ces composantes travail qualifié et capital. Le troisième niveau du système de production dans le secteur non agricole, décompose l’input composite ‘’capital-travail qualifié’’ selon sa composante Capital, KTd, et Travail qualifié, SKL. Dans le secteur agricole rural, l’input composite ‘’Capital-Travail’’ est une combinaison suivant une fonction CES du Travail Lab et du Capital (KT).
Les ménages: Le revenu du ménage, provient de la rémunération des facteurs de productions et des transferts entre agents économiques. Quant aux dépenses de ce dernier, elles sont composées des impôts et taxes payés à l’État sur le revenu et la consommation, des transferts aux profits d’autres agents et de la consommation de biens et services. La consommation finale des ménages est représentée par une fonction LES. L’épargne de l’agent ménage, représente une part fixe du revenu disponible (après impôts et taxes).
Entreprise: Le revenu des entreprises est composé d’une partie, de la rémunération du capital, du transfert reçu du reste du monde, de l’État, des ménages et des autres entreprises. Les spécifications retenues sont standards compte tenu des simulations à réaliser. Le revenu de l’entreprise, est répartit en cinq comptes. Tout d’abord, le gouvernement reçoit sa part à travers l’impôt sur le revenu des sociétés, le résidu est divisé en quatre : bénéfices non répartis (épargne), revenus distribués aux ménages, au reste du monde, et transfert entre entreprises.
L’État: Le revenu de l’État est constitué de : revenus tirés de la taxe sur la production, la taxe indirecte sur les produits, les droits de douane, les taxes directes payées par les entreprises et les ménages, les transferts provenant de l’administration publique, les transferts du reste du monde et d’une partie de la rémunération du capital. Dans le sens opposé, les dépenses de l’État sont consacrées aux biens et services pour la consommation courante, des transferts aux ménages et des transferts au Reste du monde. L’épargne du gouvernement est résiduelle. Elle est représentée par la différence entre les revenus et les dépenses courantes.
Le commerce extérieur: Le commerce extérieur est composé de la demande d’importation, des exportations et de la demande d’exportation. Les deux premiers utilisent une structure emboîtée. La demande d’importation se décompose en deux niveaux. Le niveau supérieur désagrège la demande agrégée finale en deux composantes : la demande pour les biens fabriqués localement et la demande globale d’importation. Au deuxième niveau, la demande globale d’importation est répartie entre les partenaires commerciaux. Le modèle suppose explicitement que les produits importés et les produits locaux sont des substituts imparfaits.
L’offre d’exportation est également modélisée en utilisant une spécification à deux niveaux d’élasticité de transformation. Cela permet des réponses d’approvisionnement imparfaites aux variations des prix relatifs. Enfin, l’hypothèse du petit pays est légèrement modifiée pour les exportations avec l’incorporation d’une fonction de demande mondiale à l’exportation, à élasticité finie. La hausse des exportations, est donc conditionnée par une amélioration de la compétitivité de l’offre locale sur les marchés étrangers.
Équilibre sur les marchés: Il existe trois produits fondamentaux dans le modèle: les biens domestiques vendus sur le marché local, les importations et les exportations. L’hypothèse du petit pays tient aux importations et, par conséquent, toute demande d’importation peut être satisfaite par le reste du monde sans impact sur le prix des importations. L’équilibre sur le marché des biens et services produits localement et sur celui des biens et services exportés, est définit par l’égalité entre l’offre et la demande. Idem pour l’équilibre sur le marché des facteurs (Terre, Capital et Travail).
Le marché du travail est segmenté entre les travailleurs agricoles ruraux et le secteur non agricole urbain. La mobilité du secteur agricole rural vers le secteur non agricole, est favorisée par la migration des travailleurs. Suivant la théorie de Harris et Todarro, lorsqu’un travailleur prend la décision de migrer vers la ville, il n’est pas certain de trouver un emploi. Ainsi, ce dernier prend la décision de migrer lorsque le salaire moyen espéré est supérieur au salaire rural. Ce salaire diffère des taux de salaire dans le secteur urbain, puisqu’il tient compte de la probabilité de trouver un emploi dans la zone urbaine (Harris et Todaro, 1970). L’équation de la migration s’écrit :
Avec:
MIGR : Volume de la migration du travail de qualification l
: Paramètre d’échelle de la fonction de migration
: Taux de salaire moyen urbain anticipé
: Taux de salaire rural
Le taux de salaire urbain anticipé s’écrit:
: Taux de salaire dans le secteur non agricole urbain
: Demande de travail pour la catégorie de travail l, dans en milieu urbain
: L’offre de travail en milieu urbain
En milieu rural comme en milieu urbain, l’offre de travail est fonction du taux de croissance démographique et du volume de la migration. Le taux de chômage est modélisé en référence à la littérature sur la courbe de salaire (wage-curve) et la forme fonctionnelle proposée par Blanchflower et Oswald (1995). À travers la courbe salaire-chômage, les auteurs expliquent empiriquement l’existence d’un salaire d’équilibre compatible avec une situation de sous-emploi. L’équation de détermination du chômage aussi bien dans le milieu urbain que rural est définit par :
Avec:
: Taux de salaire d’équilibre du travail de qualification l, le segment gz2 (formel urbain, rural agricole)
: Niveau général des prix
: Paramètre d’échelle de la courbe de salaire
: Taux de chômage
: Élasticité du taux de chômage par rapport au salaire d’équilibre
Module dynamique
La dynamique du modèle comprend principalement l’accumulation du capital, l’évolution démographique, la croissance de la productivité des facteurs de production, et la croissance économique. Les deux paragraphes suivants, présentent la manière dont l’accumulation du capital et l’investissement par destination sont pris en compte dans le modèle.
Accumulation de capital: Le processus d’accumulation de capital est fonction du taux de dépréciation et du volume d’investissement (IND). Les investissements de la période précédente générant un nouveau stock de capital pour la période suivante. Le stock de capital par branche d’activité est défini par l’équation suivante:
Fonction d’investissement: Pour la modélisation de l’investissement par destination (secteurs), nous suivons la forme fonctionnelle proposée par Lemelin et Decaluwe (2007). Le taux d’accumulation du capital est fonction du ratio entre le taux de rendement du capital (Rent) et le coût d’usage du capital (U):
Avec:
Le taux d’intérêt ici est davantage une variable d’ajustement de la demande d’investissement, pour s’assurer de l’équilibre entre l’épargne et le volume global d’investissement. Le taux d’intérêt n’apparaît donc que dans cette équation.
RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
Deux situations de référence (Business As Usual) sont analysées dans le cadre de cet exercice. Le premier suppose un prix réel de la terre fixe, avec l’ajustement se faisant par l’offre (BAU-AQ). Le second (BAU-AP) suppose une offre foncière exogène et fixe, avec un ajustement par les prix. Ainsi il ne s’agit pas d’analyser les résultats d’un choc quelconque sur le marché du foncier, en comparaison à une situation de référence, mais d’identifier les résultants de différentes situations de fonctionnement du marché foncier. La dynamique du modèle couvre la période 2013-2023.
Le changement structurel étant l’axe central de notre recherche, nous nous focalisons sur les résultats sur la demande de main d’œuvre dans le secteur non agricole, les taux de salaires et la structure de l’économie.
Valeur ajoutée agricole et structure de l’économie
L’analyse de l’évolution de la part de la valeur ajoutée agricole dans la structure de l’économie représente un élément important renseignant sur la dynamique de la transformation structurelle en cours dans un pays.
Les résultats des simulations montrent que dans la situation où le prix réel de la terre est endogène, et représente la variable d’ajustement du marché foncier, la part de la valeur ajoutée agricole régresse plus rapidement que dans un contexte de rigidité du prix du foncier. Dans le premier cas, le secteur non agricole représente le principal moteur de la croissance économique. La valeur ajoutée de ce secteur croit en effet, à un rythme plus soutenu (+4,3% par an) que le secteur agricole rural (+1,9% par an). La rigidité sur le prix du foncier se traduit à l’inverse par une croissance plus forte de l’agriculture (+4,4% par an) que le secteur non agricole (+3,9% par an).
Rigidité du prix du foncier, migration et demande de travail dans le secteur non agricole
La transformation structurelle telle qu’énoncée dans la littérature classique, suppose une réallocation de la main d’œuvre des secteurs à faible productivité vers des secteurs à forte productivité. L’agriculture, considérée comme un secteur de subsistance, disposerait d’un excédent de main-d’œuvre, avec des travailleurs percevant une rémunération supérieure à la productivité marginale contrairement au secteur industriel urbain. Ainsi le sens positif de la transformation structurelle voudrait une sortie du secteur agricole rural vers le secteur non agricole urbain.
La rigidité sur le marché du foncier induit une augmentation du coût de la migration, et par ricochet une baisse du volume de celle-ci, par rapport à la situation d’ajustement par les prix. Cette accélération de la migration en présence d’un marché foncier concurrentiel, est encore plus importante au niveau des segments pour lesquels le différentiel du taux de salaire entre le secteur agricole rural et le secteur non agricole urbain sont importants. Ainsi, sur la période d’analyse, le volume de la migration du travail faiblement qualifié est en hausse de +10,3% par rapport à la situation de rigidité sur le marché foncier. Ce chiffre est de +6,4% et de +1,3% respectivement pour le travail moyennement qualifié et le travail qualifié.
La demande de travail du secteur non agricole est relativement réduite en présence de la rigidité sur le marché du foncier. La figure suivante montre l’évolution de la part du secteur non agricole dans la demande de travaildans les deux situations. Cette faiblesse de la réallocation de la main d’œuvre est à mettre en relation avec le niveau de l’activité du secteur non agricole, caractérisée par une croissance de la valeur ajoutée moins soutenue dans un contexte de rigidité des prix du foncier.
Il est intéressant de remarquer ici que l’effet de la rigidité des prix du foncier sur la structure de l’économie est plus important que l’impact sur la composition sectorielle de la main d’œuvre. Si le maintien d’un prix réel du foncier agricole fixe, a un incident négatif sur le revenu tiré par les ménages ruraux du capital foncier, ce dernier constitue néanmoins une incitation à l’investissement dans le secteur. Le maintien d’un prix fixe au profit des investisseurs, se traduit notamment par un partage de la valeur ajoutée plus importante au profit du capital, ce qui génère une rente aux détenteurs de capitaux. Cette distorsion a pour effet, une mauvaise allocation des ressources c’est-à-dire un surinvestissement dans le secteur agricole (Alston et James, 2002). Dans notre cas, le volume de l’investissement dans le secteur agricole connaît une hausse plus importante dans un contexte de rigidité du prix du foncier que lorsque le marché foncier est concurrentiel. À long terme, l’augmentation dans la situation de rigidité des prix sur le marché du foncier, s’élève à près de 44% par rapport à son niveau en concurrence parfaite. La figure suivante, présente la variation du volume d’investissement dans le secteur agricole rural en situation de distorsion par rapport à son niveau en situation de concurrence parfaite.
Incidence sur les taux de salaire réel
Les taux de salaire en milieu rural comme en milieu urbain, sont globalement élevés en situation de distorsion sur le marché foncier qu’en situation de concurrence parfaite. Cependant l’incidence sur les taux de salaire réel en milieu rural est révélatrice de la dynamique induite par la rigidité du prix du foncier sur les investissements dans le secteur agricole et sur la croissance du secteur. Le tableau ci-après, présente la variation des taux de salaire réel en situation de distorsion par rapport à son niveau en situation de concurrence parfaite.
CONCLUSION
Le cadre foncier au Maroc se traduit par un marché foncier peu liquide, avec des contraintes pour son bon fonctionnement, de plusieurs ordres: l’administration des prix de location par l’État dans le cadre de projets d’investissement au profit des investisseurs, la limitation des droits de location, des interdictions de ventes, etc.
Dans cet article, nous avons analysé l’impact de l’administration du prix du foncier sur la transformation structurelle de l’agriculture vers les autres secteurs de l’économie. Pour ce faire, nous avons élaboré un modèle d’équilibre général dynamique séquentiel à deux secteurs, dans lequel le secteur agricole rural utilise le facteur terre, en plus du facteur travail et du capital. Le secteur non agricole urbain utilise la main d’œuvre et du capital. La mobilité de la main d’œuvre du secteur agricole vers le secteur urbain est favorisée par la migration rurale-urbaine, dont l’ampleur varie en fonction du différentiel de taux de salaire entre les deux secteurs, et de la probabilité de trouver un emploi dans le secteur non agricole. Le modèle est calibré sur la matrice de comptabilité sociale du Maroc, développée dans le cadre de cet exercice.
À travers ce modèle, nous avons analysé les résultats de deux situations de références (Business As Usual). Le premier suppose un prix réel de la terre, fixe. Le second suppose une offre foncière, exogène et fixe, avec un ajustement par les prix.
Volontairement l’analyse des résultats s’est focalisée sur l’impact sur la structure de l’économie, la demande de main d’œuvre dans le secteur non agricole et les taux de salaires. Les résultats des analyses montrent que, la rigidité du prix du foncier a un impact négatif sur la demande de travail dans le secteur non agricole, entraine une rigidité à la baisse de la contribution du secteur agricole à la valeur ajoutée globale (retard de la transformation structurelle) et à un effet positif sur les taux de salaires réels ruraux.
Ces résultats révèlent la nécessite d’une réforme dans le secteur du foncier, pour lever les restrictions pour que le marché puisse jouer son rôle dans la transmission des signaux et l’amélioration de l’allocation plus efficiente des ressources.
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