Les espèces du genre Dioscorea (Ignames) en Afrique tropicale et subtropicale

Auteurs-es

  • Mputu Raphaël LOMBE Institut Supérieur des Techniques Médicales de Kinshasa, Kinshasa, République Démocratique du Congo
  • Jeff Iteku BEKOMO Département de Chimie, Faculté des Sciences, Université de Kinshasa, Kinshasa, RD Congo
  • Odette Kabena NGANDU Département de Chimie, Faculté des Sciences, Université de Kinshasa, Kinshasa, RD Congo
  • Koto-Te-Nyiwa Jean-Paul NGBOLUA Département de Chimie, Faculté des Sciences, Université de Kinshasa, Kinshasa, RD Congo

DOI :

https://doi.org/10.5281/zenodo.14557663

Mots-clés :

Dioscorea, Aliment traditionnel, Tubercules, Sécurité alimentaire, Afrique tropicale et subtropicale

Résumé

Une étude a été menée sur les espèces du genre Dioscorea en Afrique tropicale et subtropicale. Elle a couvert la botanique, la dissémination et l’écologie, les données ethno-botaniques, nutritionnelles, phyto-chimiques, pharmaco-thérapeutiques et toxicologiques des ignames de ces régions africaines. L’igname (Dioscorea), est une des espèces végétales très présentes dans les régions tropicales. Elle nécessite des températures élevées (entre 25 et 30 °C) et une pluviométrie élevée (entre 1000 et 1800 mm) pour son développement et pour un rendement adéquat. Près de 27 espèces de ce genre ont été inventoriées dans ces régions, en dépit de leurs caractères morphologiques complexes et de multiples variétés. Elles sont exploitées principalement pour l’usage alimentaire, mais également pour des besoins socio-traditionnels et pharmaco-thérapeutiques variés dans les agglomérations africaines. Les données nutritionnelles enregistrées ont pu montrer suffisamment que les Dioscoréacées possèdent une valeur nutritionnelle non négligeable. Les teneurs en eau, en macro-nutriments (glucides, lipides, protéines), en micro-nutriments (vitamines et sels minéraux) sont satisfaisants. Ils sont aussi une source importante en composés phyto-chimiques bioactifs dont les polyphénols, les stéroïdes, les saponines, les allantoïnes et en particulier les polysaccharides et la diosgénine, qui leur confèrent des activités anti-radicalaires et des propriétés pharmaco-thérapeutiques remarquables. Certaines espèces sont cependant toxiques et demandent une détoxification préalable avant leur consommation, soit par rouissage, par cuisson ou par les deux à la fois.

Mots clés: Dioscorea, Aliment traditionnel, Tubercules, Sécurité alimentaire, Afrique tropicale et subtropicale

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INTRODUCTION

L’igname est une très large essence végétale de la famille de Dioscoreaceae avec près de 600 espèces inventoriées au monde (Adifon et al., 2019; Zhen et al., 2023). Elle appartient au groupe des plantes monocotylédones lianescentes qui produisent des tubercules souterrains (et parfois aériens: bulbilles) et beaucoup distribuées en régions tropicales et subtropicales du sud-est d’Asie, d’Afrique, d’Amérique centrale et Amérique du sud (Li et al., 1999; Asiedu et al., 2010). Les régions tropicales et subtropicales de l’Afrique regorgent une grande variété de ces espèces végétales à racines tubéreuses et féculentes, spontanées ou cultivées, qui constituent et ont pu constituer dans le passé, une source alimentaire potentielle pour les peuples forestiers du Continent (Hladik et al., 1984; Li et al.,1999; Asiedu et al., 2010). L’igname est considérée comme la quatrième culture après celle des pommes de terre, du manioc et des patates douces, contribuant à environ 10% de la production alimentaire mondiale de racines et de tubercules (Faostat, 2019; Padhan, et al., 2020). En plus de leur importance comme aliments traditionnels de cueillette, diverses espèces de Dioscorea ont été domestiquées et cultivées à des fins traditionnelles et médicinales (Shan et al., 2020); Elles sont d’une importance capitale dans l’alimentation de l’homme et dans la pharmacopée traditionnelle (Hamon et al., 1995). Connues depuis des siècles comme des espèces sauvages, fréquentes aussi bien en zone de forêt qu’en savane et faisant l’objet des cueillettes régulières comme aliment par les chasseurs et les pêcheurs, les ignames constituent aujourd’hui une culture de rente et un produit de consommation courante qui inonde les marchés et alimente les populations urbaines (Adifon et al., 2019). Elles représentent la majeure partie des formes comestibles en Afrique parmi les plantes spontanées à tubercules qui appartiennent à 13 familles (Ahladik et al., 1984) et qui ont fait l’objet d’une domestication il y a plus de 5000 ans (Hladik et Dounias 1984).

Cette synthèse va nous permettre de faire un état des lieux sur les ignames des forêts tropicales et subtropicales (sauvages et cultivées) en mettant en évidence les données botaniques et ethno-baniques du genre Dioscorea (en dépit de sa complexité variétale), les données nutritionnelles, les données phyto-chimiques, les données pharmaco-thérapeutiques et les données toxicologiques. A travers cette synthèse, nous voulons apprécier l’abondance de ces espèces ainsi que leur valeur nutritionnelle pour avoir pu constituer une source potentielle d’aliment de base amenant les populations forestières d’Afrique à être dépendantes de la cueillette et à vivre dans les premiers siècles indépendamment de l’agriculture. Elle se veut un condensé des données répertoriées dans les recherches antérieures ayant porté sur le genre Dioscorea (igname) dans les régions d’Afrique. Pour ce faire, une méthodologie basée sur une fouille documentaire a été adoptée en fréquentant les centres de documentation universitaires, l’Institut National de Recherche et d’Études Agronomiques (INERA), en consultant les sites de recherche en ligne et en organisant des entretiens avec les populations productrices et consommatrices d’ignames, particulièrement à Kinshasa (RD Congo) et ses milieux ruraux environnants.

La valeur nutritionnelle et le potentiel antioxydant de l’igname peuvent expliquer ses effets bénéfiques sur la santé humaine. Les implications de cette étude pour la santé humaine sont claires, car les données rassemblées peuvent être utilisées pour la classification nutritionnelle, pharmacologique et médicinale des ignames comestibles en Afrique. Ces informations pourraient renforcer la sécurité alimentaire et encourager les populations autochtones à protéger leur santé en promouvant la culture et la gestion durable de la biodiversité des espèces de Dioscorea, une plante rustique comptant plusieurs centaines d’espèces et de sous-espèces provenant de différentes régions du monde.

DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

La présente revue de littérature sur les espèces du genre Dioscorea est une compilation des données issues d’une fouille documentaire, d’un entretien avec les consommateurs de l’igname et d’une consultation des bases des données dont PubMed, Web of science, Scopus, DOAJ, Google scholar.

Au terme de cette démarche, plus de 271 publications de natures variées, traitant d’ignames (Dioscorea spp) ont été consultées et analysées; parmi lesquels 58, soit 21,4% étaient scientifiquement admissibles (Figure 1).

Tous les documents parus entre 1980 et 2023, qui ont décrit le genre et qui ont procédé à l’inventaire systématique des espèces du genre Dioscorea, ceux décrivant les études phyto-chimiques et anti-radicalaires, les essais pharmacologiques des matériaux végétaux et activités liées aux maladies métaboliques et inflammatoires, ceux ayant présenté les données nutritionnelles et toxicologiques des ignames, ont été inclus dans notre étude.

Par contre, toute étude présentée partiellement (simple résumé par exemple) ou une étude ethno-botanique décrivant les ignames en langues vernaculaires seulement, ont été exclues de cette étude.

DESCRIPTION BOTANIQUE ET DISSÉMINATION DES IGNAMES

Dioscorea sp est une monocotylédone appartenant à l’ordre des Dioscoréales et à une grande famille des plantes appelées Dioscoréacées, connues depuis les temps anciens. Le genre Dioscorea, répandu essentiellement dans les zones tropicales, a été identifié par Linné en 1737 (Jeannoda et al., 2010) et comprend des plantes tubéreuses, à tiges volubiles (lianes) portant des feuilles alternes ou opposées (Hamon, 1987).

Les Dioscorea sont des plantes gigantesques, dioïques, dont les inflorescences sont des épis axillaires ou des grappes de séries d’épis, comportant des fleurs de petite taille et fonctionnellement unisexuées. Ils possèdent une partie végétative aérienne lianescente et une partie végétative souterraine constituée par un tubercule. Les fruits sont des capsules à trois valves (capsules triloculaires) avec deux graines albuminées ailées par loge (Hamon, 1987). Leur tige grimpante a tendance à accrocher un tuteur et s’y enrouler dans un sens bien spécifique suivant l’espèce considérée (Hamon, 1987). Certaines espèces ou variétés produisent des bulbilles (petits tubercules aériens) sur les tiges, qui sont comestibles ou non (Hamon, 1987; Jeannoda et al., 2010).Tous les tubercules d’ignames ne sont pas alimentaires.

L’igname se multiplie naturellement selon plusieurs modes de multiplication (Hamon, 1987): reproduction sexuée et production des graines (chez toutes les espèces sauvages), reproduction végétative à partir des bulbilles (exemple chez D. bulbifera, D. dumeturum, D. togoensis), reproduction végétative par émission des stolons (D. minutiflora), reproduction végétative par marcottage (D. hirtiflora), reproduction végétative à partir du tubercule, assurant la pérennité de l’individu. Ce dernier mode de multiplication par fragments de tubercule est exclusivement utilisé chez Dioscorea alata et le complexe cultivé D. cayenensis-D. rotundata (Hamon, 1987).

Les Dioscoréacées constituent une famille de plantes des régions tropicales et des régions tempérées chaudes. Elles sont bien représentées au Sénégal, en Ethiopie, en Angola, en Zambie, au Malawi, au Mozambique, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, à Madagascar au Cameroun, au Sénégal, au Congo…, et au Zaïre (RD Congo) (Hamon, 1987).

Trouvées à l’état spontané, les ignames constituaient l’aliment de base des populations ancestrales, surtout dans les régions forestières de l’actuelle RD Congo, avant l’introduction du manioc par les Portugais. En dépit de leur origine, leur caractère de cultures traditionnelles et de leur large diversité génétique (comptant près de 600 espèces sauvages et cultivées), les ignames en RD Congo sont jusqu’à ce jour, très peu cultivées et n’ont pas reçu une attention particulière ni de la recherche, ni du ministère de l’agriculture pour leur promotion (FAO, 2012). Le faible attachement des paysans à ces tubercules au profit du manioc, une culture exotique plus facile à cultiver, n’a peut-être pas facilité et motivé l’émergence et l’intensification de leur culture.

DONNÉES ETHNO-BOTANIQUES 

Aperçu historique de la systématique des espèces du genre Dioscorea

Les ignames, monocotylédones très particulières du genre Dioscorea, à feuilles bien nervurées, sont des plantes à racines féculentes dont les études scientifiques ont pris leur essor quand il fut découvert en Inde et au Mexique, dans les espèces non comestibles, des précurseurs stéroïdiens nécessaires à la fabrication des contraceptifs (Jeannoda et al., 2010). C’est le cas de Dioscorea composita par exemple et de nombreuses autres espèces d’ignames plus ou moins toxiques qui sont connues de longue date et utilisées pour la fabrication des médicaments; ce qui avait certainement poussé Linné (1737) à nommer le genre Dioscorea pour rendre hommage à Perenios Dioscoride, Botaniste et Médecin grec, auteur d’un célèbre «Traité de matière médicale» (Jeannoda et al., 2010).

Par la suite, au fil des années, les recherches sur ce genre se sont intensifiées dans le monde. Au début du 20ème siècle, plusieurs espèces spontanées ont été inventoriées et décrites par nombre d’auteurs dont Pobéguin (1906), Chevalier (1920,1936), Knuth (1924), Irvine (1930), Burkill (1939), Jacques-Felix (1947) et Miège (1952, 1958) [Jeannoda et al., 2010]. Mais aussitôt cette première description faite, il est apparu rapidement de nombreuses confusions au sein de la nomenclature proposée par ces auteurs. Certaines espèces ont été redéfinies et replacées: Chevalier redéfinit D. togoensis en1920 puis en 1936, respectivement sous l’appellation D. minutiflora et D. caillei; Miège (1952) va décrire encore D. togoensis en la nommant D. abyssinica. Aussi, dans bon nombre de ces travaux de recensement, des spécimens ont été identifiés et présentés uniquement au niveau du genre. Se faisant, selon Chevalier (1936), la systématique de Knuth (toujours en vigueur aujourd’hui) serait à revoir. Mais cette opinion n’a jamais été partagée par Burkill et Ayensu (Degras et al., 1977) [Jeannoda et al., 2010]. Les deux principales causes à l’origine de la difficulté à classer les échantillons de ce genre (Dioscorea) sont les suivantes:

• La non prise en compte par les descriptions de référence de la variabilité intra-spécifique («Tous les échantillons ne coïncident pas parfaitement avec les holotypes ayant servi aux diagnoses») [Jeannoda et al., 2010];

• Défaut ou confusions des informations sur la morphologie de l’appareil souterrain ou sur les caractéristiques physiologiques.

En effet, la grande importance des espèces du genre Dioscorea en Afrique continentale est aujourd’hui bien connue. Pour les pré-humains et les premiers humains, ce sont des ignames qui ont pu apporter une nourriture suffisamment riche en énergie nécessaire pour leur survie. Dans les milieux forestiers d’Afrique et sur leurs franges, seule la grande abondance des ignames présentes, ainsi que la diversité de ces plantes et de leurs cycles de production en tubercules, pouvait procurer une ressource alimentaire suffisante aux premiers Hommes qui ont peuplé le continent africain (Hladik et al., 2002; Jeannoda et al., 2010).

Écologie et Domestication des Dioscoréacées

Écologie

Comme toutes les espèces végétales, l’igname a besoin de certaines conditions édaphiques pour se développer. Elle tolère et se développe sur une large gamme des sols, mais les sols à texture sablo-limoneuse lui sont très favorables (Cornet, 2005). A côté du caractère sablo-limoneux du sol, Cornet (2005) a mis en évidence une panoplie des conditions édaphiques et climatiques relatives au développement harmonieux de l’igname: «une porosité du sol comprise entre 46 et 60 %, une conductivité hydraulique de 15 cm/h, une densité apparente du sol comprise entre 1,1 et 1,6 g.cm3 et surtout un sol léger, profond (>0,6 m) et bien drainé». Également, pour favoriser le développement des tubercules, Degras (1993) a estimé que l’igname exigerait un sol chimiquement et biologiquement riche «en matières organiques, en azote, en potasse, en magnésium et en calcium; avec le pH compris entre 5 et 7».

L’igname nécessite aussi des températures élevées (25 et 30°C) et des pluviométries élevées (1000 et 1800 mm) pour son développement et pour un rendement adéquat.

Domestication et valeurs socio-culturelles

Dans les milieux où la production d’igname demeure globalement extensive (Nigéria, Bénin, Madagascar,….), le changement d’occupation des terres par défriche-brûlis des forêts naturelles ou des savanes arborées (Dumontet et al., 2010; Jeannodea, 2010), augmente sensiblement le rendement par saison. Généralement, les champs d’igname sont entretenus par le défrichement de jachères relativement longues. C’est un processus assez long qui varie dans le temps selon les utilisateurs. Il peut s’étendre sur une période allant de 10 à 15 ans (Okry 2000; Houemass et Bossa 2001) ou de 25 à 30 ans (Pieri, 1989). Pour un développement et un rendement adéquat de la culture des ignames, les paysans ont toujours privilégié des sols couverts d’une végétation dense (Houemass et Bossa, 2001). Dans les forêts tropicales, l’igname peut se cultiver seule en culture pure ou associée avec d’autres cultures dont principalement les céréales (maïs, sorgho,…), le manioc, le gombo et les cucurbitacées. Beaucoup d’espèces sélectionnées pour domestication et divers cultivars sont souvent aussi plantés en association dans les champs d’ignames (Jeannoda et al., 2010).

La zone de production choisie pour la culture, la variété d’igname utilisée (précoce, intermédiaire ou tardive), le système de culture mis à profit (rotation ou association) et le type de terres exploitées: (terres de défriche, de jachère de longue durée, de jachère de courte durée), influeraient sur le niveau de production de l’igname (Jeannoda et al., 2010).

Dans la gamme des Dioscoreacées connues des régions d’Afrique (Congo, Cameroun, Madagascar,…), nombre d’entre elles sont utilisées traditionnellement comme plantes médicinales par les populations autochtones. Les données présentées par N’kounkou et al., (1993), basées sur les travaux de Bouquet (1969), Adjanohoun et al., (1988), et ceux de Jeannoda et al., (2010), ont mis évidence les effets curatifs de certaines espèces dans les affections suivantes:

• Le jus (sève) obtenu d’une grosse tige de Dioscorea bulbifera servirait contre les ophtalmies purulentes. Il est parfois aussi employé en lavage et en application locale comme remède contre les morsures de serpents (Bouquet 1969, in N’kounkou et al., 1993). La tige fraîche écrasée ensemble avec celle d’Ancistrophylum secundiflora et Scleria boivini, est appliquée sur les lésions lépromateuses (Adjanohoun et al., 1988, in N’kounkou, 1993). Le D. bulbifera traiterait aussi les abcès, le panaris et le furoncle. Pour ce faire, on doit appliquer localement la pâte de fruits (bulbilles) pour faire disparaître l’abcès, le panaris et le furoncle ou les ramollir pour accélérer la guérison en concentrant le pus et partant, réduire la douleur (Jeannoda et al., 2010). On soigne également les brûlures en appliquant les bulbilles de D. bulbifera sur les plaies, même infectées (Jeannoda et al., 2010).

• Les maux de ventre, la blennorragie et les œdèmes sont soignés par une tisane préparée à base de la tige de D. praehensilis coupée en morceaux. Son tubercule bouilli peut passer pour activer les accouchements, et est parfois prescrit pour soigner les malades rhumatisants (Bouquet 1969, in N’kounkou 1993).

• La décoction des tiges de D. smilacifolia est donnée en per os (à boire) pour soigner les vertiges et la hernie (Bouquet 1969, in N’kounkou 1993).

Par ailleurs, les ignames sont utilisées dans les cérémonies culturelles africaines:

• L’espèce D. dumetorum est employée dans des préparations et cérémonies magiques destinées à éloigner les mauvais esprits (éloigner le diable); elle est généralement plantée et permanente sur les tombeaux pour chasser ces esprits maléfiques et les revenants (Bouquet 1969, in Nkounkou et al., 1993).

• L’usage socioculturel de D. schemperiana à l’ouest du Cameroun est un cas aussi frappant de la valeur ethno-culturelle des Dioscorea spp. Son importance culturelle se démarque par son utilisation lors de la période de veuvage de l’homme ou de la femme. Pendant cette période, la veuve ou le veuf n’a pas droit de manger des aliments cuits à la vapeur mais plutôt ceux passés à la braise, notamment D. schemperiana (Tchiègang et al., 2009). Il est également utilisé dans la cérémonie traditionnelle dite «thumpte», chez la tribu «Bamuléké» au Madagascar pour célébrer l’accouchement du premier enfant dans un jeune couple et qui consiste en certains rites traditionnels exclusivement sur la jeune maman. Dans la même tribu, cette espèce est également employée dans la célébration du culte dit des «crânes», fondé sur les croyances ancestrales et officié par «une ou un megnii» c’est-à dire un envoyé de Dieu (Tchiègang et al., 2009).

Diversité des espèces spontanées et cultivées du genre Dioscorea en Afrique tropicale et subtropicale

Le genre Dioscorea (igname) est constitué d’un grand nombre d’espèces végétales à tiges généralement grimpantes réparties sur différents continents, avec une forte concentration en Afrique tropicale (Hladik et al., 1984) (Tableau 1). Il compte près de 600 individus différents inventoriés sur le globe, parmi lesquelles plus de 27 espèces (4,5%) sont identifiables en Afrique subsaharienne (tropicale et subtropicale) et connues pour leurs tubercules comestibles qui constituent la base de l’alimentation humaine dans plusieurs pays tropicaux (Hladik et al., 1984; Hamon, 1987; N’kounkou et al., 1993). Les caractères morphologiques de la plante entière et du tubercule, ainsi que les profils chimiques encore très peu documentés actuellement, servent de clé d’identification de l’igname. Cependant, une espèce peut posséder une nomenclature botanique complexe et de nombreux synonymes (e.g. Dioscorea opposita L. = D. batatas Decne = D. oppositofolia L. var. linnaei; «igname de Chine» (Afssa, 2007).

DONNÉES NUTRITIONNELLES

Bien qu’elle soit considérée avant tout comme une source des glucides, l’igname contient plusieurs vitamines (B1, B6 et vitamine C), des macronutriments et minéraux importants (Mn, Cu, K et P), de même que des protéines (Treche 1989; Carper 1990; Herzog 1992; Mbemba 2013). Selon les espèces, les ignames peuvent contenir 79 à 95% d’amidon, 3,4 à 12,5% de protéines (Jeannoda et al., 2010) (Tableau 2). Quelques espèces ont cependant l’inconvénient de contenir des quantités parfois importantes de facteurs anti-nutritionnels, notamment des toxines et des principes amers. Leur consommation nécessite des traitements préalables plus ou moins fastidieux (Hladik et al., 1984; Bhandari et Kawabata, 2005).

DONNÉES PHYTO-CHIMIQUES

L’igname est caractérisée également par la présence des antioxydants naturels qui lui conféreraient des propriétés antioxydantes que l’on attribue aux composés phénoliques qu’elle contient (Lombe et al., 2023). L’igname crue renfermerait des taux assez élevés de ces composés par rapport à l’igname bouillie ou frite. L’efficacité de la propriété antioxydante de l’igname dépend de l’espèce ou de la variété en présence (Akinyele et al., 2021; Bukatuka et al. 2016; Lombe et al., 2023, Zhen et al. 2023).

Les métabolites secondaires existent dans les plantes à des degrés différents et interviennent efficacement dans la prévention de différentes maladies humaines (Semwalet al., 2021; Zhen, 2023). Nombre des composés bioactifs ont été rapportés présents dans l’igname (Dioscorea spp.) parmi lesquels les principaux groupes suivants: polyphénols, polysaccharides, saponines stéroïdiennes, et les allantoïnes (Zhen, 2023). Les structures de principaux composés bioactifs dans l’igname (Dioscorea spp.) sont présentées dans la figure 2. Ce sont: Dioscine, Protodioscine, Diosgénine, Gracilline, Protogracilline, Rutine, Quercétine, Kaempferol, Acide vanilique, Formonocétine, Allantoïne, Dioscorine, Dihydrodioscorine, Dioscorétine, Phénanthrène 1, Phénanthrène 2, Epicatechine, Caryatine, 2,7-Dihydroxy-4,6-dimethoxyphenanthrène, 6,7-Dihydroxy-2,4-dimethoxyphenanthrène, Batatasine. Il est à signaler cependant que la teneur en composés bioactifs des ignames est différente entre les variétés intra- et inter espèces sauvages et cultivées (Padhan et al., 2020; Otegbayo, 2018; Zhen 2023). Ce qui caractérise également la différence dans le rôle thérapeutique joué par chaque espèce de plante.

Le tableau 3 présente les teneurs en composés bioactifs déjà isolés de quelques espèces d’ignames (d’Afrique et d’ailleurs).

DONNÉES PHARMACO-THÉRAPEUTIQUES

Les maladies métaboliques dont l’obésité, le diabète, la dyslipidémie, et les maladies inflammatoires constituent un sérieux problème dans la santé humaine (Zhen et al., 2023). La recherche dans la découverte des composés bioactifs d’origine végétale pour la prévention et le traitement de ces maladies s’intensifient (Zhen et al., 2023). Un nombre d’études dans ce domaine ont rapporté que les composés bioactifs de l’igname (Dioscorea) peuvent prévenir et traiter efficacement ces maladies. Ils ont un effet sur la lipidémie les lipides sanguins, la tension artérielle, les troubles cognitifs, le diabète, l’entretien du foie et du pancréas (Chan et al., 2020; Zhen et al., 2023).

Le tableau 4 présente quelques applications thérapeutiques des composés bioactifs des ignames (Dioscorea spp.) chez l’homme (avec des résultats satisfaisants).

DONNÉES TOXICOLOGIQUES

Nous avons souligné que le genre Dioscorea a connu un essor dans les études scientifiques à la suite de la découverte de certaines substances actives dans les espèces à tubercules non comestibles dont Dioscorea opposita, espèce sauvage utilisée pour la fabrication des médicaments en Inde. Ce qui prouve à suffisance que certaines espèces de ce genre peuvent également contenir des principes toxiques éventuellement mortels. Bhandari et Kawabaka (2005) ont rapporté que de nombreuses espèces du genre Dioscorea contiennent des dérivés terpénoïques dont des saponosides à génine stéroïdique en quantités variables, susceptibles de causer l’amertume de certains tubercules d’ignames. Bruneton (2009) a confirmé leur utilisation comme intermédiaires réactionnels dans l’hémi-synthèse d’hormones stéroïdiques et s’est interrogé sur l’innocuité de ces saponosides chez l’homme, surtout lorsqu’ils sont concentrés et consommés sur des périodes assez longues. Les hétérosides cyanogènes potentiellement toxiques ont été révélés chez certaines espèces (Bhandari et Kawabaka, 2005; Dietrich, 2009). Certaines espèces dont D. opposita L., contiennent des raphides d’oxalate de calcium dans la couche sous épidermique du tubercule qui causent des perforations, une irritation, et une inflammation des muqueuses (Bhandari et Kawabaka, 2005; Dietrch, 2009; EFSA, 2009). La présence des composés histaminiques potentiellement toxiques a été également confirmée dans certaines espèces de ce genre (Bhandari et Kawabata, 2005).

• L’espèce Dioscorea dumetorum est très toxique (Bevan et al, 1956; in Hladik et Dounias 1989) et ne peut être consommée qu’après une détoxification par une première cuisson, puis un trempage dans l’eau suivi d’une seconde cuisson. Mais en dépit de difficultés inhérentes liés aux processus de sa détoxification, pour autant qu’il contient une forte teneur en protéines, Dioscorea dumetorum reste de fait un aliment potentiel intéressant pour la population. Aujourd’hui, avec l’évolution de la science et des techniques de culture, ces difficultés ont été contournées par la sélection des variétés cultivées non toxiques (Hladik et Dounias 1989).

• Le tubercule de D. preussii, une igname spontanée à tubercules de teinte bleutée, ne semble pas être consommé; non pas par sa teneur en produits toxiques, mais plus en raison de sa forme en divertcules dichotomiques qui s’enfoncent profondément dans le sol et qui, de ce fait sont difficiles à extraire. Les nouvelles pousses de cette igname au Gabon, comme celles de D. praehensilis en RD Congo, sont consommés comme des «asperges» (Hladik et al., 1984).

• Le petit tubercule de D. bulbifera très toxiques, n’est jamais consommé. Il en existe cependant de très nombreuses variétés non toxiques qui, en revanche sont cultivées pour leurs grosses bulbilles comestibles et riches en macro- et micronutriments nécessaires. De nombreuses autres variétés de cette espèce, à petites bulbilles toxiques, sont également cultivées et réservées à des usages magiques ou médicinaux (Hladik et al., 1984).

• Le tubercule toxique de D. sansiberensis, une autre espèce de milieu ouvert comme les trois précédentes, n’est jamais consommé. Elle produit des bulbilles ichtyo-toxiques, utilisées comme poison de pêche ou de chasse à l’arc (Hladik et Dounias, 1989).

Par ailleurs, les cas avérés de toxicité aigüe ont été déjà rapportés par certains auteurs.

• Chez l’homme, le Centre antipoison de Berlin en Allemagne en 1996, avait rapporté un cas de toxicité hépatique ayant nécessité une admission aux urgences, suite à la consommation de D. bulbifera cuisiné sous forme de met, dont malheureusement la dose ingérée n’a pas été mesurée (Dietrich, 2009).

• Chez l’animal, les études sur la toxicité des ignames ont rapporté chez les rongeurs (rats et souris) une toxicité hépatique et rénale associée à la consommation de D. bulbifera ou D. villosa (Su et al., 2009; Tan et al., 2003; Chen et al., 2006; Wohlmuth et Wojcikowiski, 2008; Wang et al., 2010).

Il semble que toutes ces espèces toxiques ne soient originaires des forêts denses d’Afrique centrale et tropicale. Présentes à Madagascar, au Bénin, au Togo, en RD Congo et dans la savane de nombre des pays africains (Hladik et al., 1984), ces espèces auraient été introduites sous forme des variétés cultivées comestibles et qui se seraient par la suite naturalisées en revenant à des formes toxiques. C’est le cas par exemple de D. dumetorum, une forme africaine et D. hispida, une forme asiatique, qui représenteraient une seule et même espèce. Il en est de même de l’espèce D. bulbifera chez qui on reconnaît actuellement une seule espèce très polymorphe dans les formes africaines et asiatiques (Hladik et Hladik, 1989).

CONCLUSION

La revue bibliographique sur les espèces du genre Dioscorea en Afrique tropicale et subtropicale a révélé une diversité d’ignames, avec près de 27 espèces déjà documentées, bien que de nombreuses espèces inconnues puissent encore être décrites en raison de la complexité des caractéristiques morphologiques et des profils chimiques encore peu documentés. Le genre Dioscorea s’est diversifié dans divers environnements africains, tant dans les forêts humides que dans les savanes, constituant ainsi une source alimentaire importante fournissant des macro- et microéléments essentiels, ainsi que des composés phyto-chimiques bioactifs tels que les polyphénols et les diosgénines. Des études in vitro et in vivo ont démontré l’utilité des substances bioactives des ignames dans la prévention et le traitement des maladies inflammatoires et métaboliques. Toutefois, la consommation d’espèces toxiques nécessite une détoxification préalable, ce qui peut s’avérer laborieux. En conséquence, cet inventaire établit les bases pour des recherches futures axées sur la sélection et le développement des espèces d’ignames prometteuses, la création de tables de composition chimique, le développement de techniques de conservation pour produire des farines enrichies destinées aux enfants, la transformation des composés issus de ces espèces pour assurer leur durabilité, et la gestion efficace des ressources naturelles afin de réduire la pression sur les espèces sauvages tout en augmentant la diversité agricole.

RÉFÉRENCES

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Publié-e

21-11-2024

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Ressources Naturelles et Foresterie

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