Résumé

Cette étude présente les caractéristiques socio-démographiques et techniques des systèmes d’élevages et les difficultés rencontrées par les éleveurs de ruminants dans les zones Nord, Centre et Sud de la Côte d’Ivoire. Elle a été menée entre Août et Décembre 2020 à travers des entretiens avec des éleveurs. Au total, 367 éleveurs ont été interviewés dont 155 au Nord, 112 au Centre et 100 au Sud. Il en ressort que l’élevage des ruminants est une activité pratiquée majoritairement par des hommes adultes (98,9 %) et mariés (90,7 %). Ils ont à leur charge 10 personnes en moyenne et ont pour activité principale l’élevage, l’agriculture ou le commerce. Dans ces zones, les difficultés rencontrées par les éleveurs sont nombreuses et de diverses natures. La dégradation des parcours naturels, le manque de pâturage et l’installation des cultures à proximité des zones de pâture sont des freins au niveau alimentaire. Le parasites externes et la persistance de certaines maladies ainsi que des conflits entre agriculteurs et éleveurs sont entre autres des freins au développement de l’élevage bovin dans les régions enquêtées. Les besoins exprimés par les éleveurs sont la baisse des coûts des sous-produits agro-industriels, l’amélioration des parcours naturels et l’accès faciles aux produits vétérinaires.


Mots clés: éleveurs, conflits, contraintes, Gbêkê, Poro, Tchologo

INTRODUCTION

Le secteur de l’élevage constitue une activité non moins importante en Côte d’Ivoire. Cette activité concerne un grand nombre d’éleveurs avec plus de 360 000 exploitants (PSDEPA, 2014). Toutefois, le pays reste dépendant de la région Sahélo-Soudanienne pour son approvisionnement en viande de bétail (Diallo, 2007; Azokou et al., 2016). Les besoins en consommation des produits carnés sont de 130 523 tonnes Équivalent Carcasse (TEC) pour une production moyenne annuelle de 45 236 (TEC), soit de 65,3 % de moins. Quant aux produits laitiers, la production nationale de lait en Côte d’Ivoire, généralement d’origine bovine, est estimée à 31 337 Tonnes Equivalent Lait (TEL) pour une consommation nationale estimée à environ 200 000 TEL (PSDEPA, 2014). La Côte d’Ivoire importe ainsi plus de 80 % de sa consommation de lait.

Au vue de ce déficit en produits carnés, la Côte d’Ivoire a pris la décision de dynamiser son élevage dans le but de satisfaire à terme sa demande intérieure en protéines animales (Sanou, 2009; PSDEPA, 2014). Cette initiative a permis à la Côte d’Ivoire de disposer d’infrastructures pastorales et de matériels génétiques à travers la création de l’ex Société de Développement des Productions Animales (SODEPRA) et des activités menées par celle-ci (Kientz, 1993). Malheureusement, ces efforts ont été freinés voir anéantis par la crise socio-politique de 2002. En effet, la crise a engendré la destruction des ranches et stations d’élevage, déstructuré le système sanitaire et causé de nombreuses pertes aux niveaux des opérateurs économiques du secteur (Coulibaly, 2013).

C’est à partir de l’année 2012, avec le retour progressif à la stabilité politique que la Côte d’Ivoire a décidé de donner une nouvelle impulsion à son élevage à travers l’adoption d’une nouvelle politique de développement. Cela s’est manifesté par l’élaboration de plusieurs plans et programme, notamment du Plan National de Développement (PND, 2012-2015) et le Programme National d’Investissement Agricole (PNIA) 2010-2015 finalisé en décembre 2011, constituant ainsi les documents uniques de références pour la mise en œuvre des programmes d’investissement dans le secteur agricole et de l’élevage (Bakayoko, 2016).

Aujourd’hui, l’élevage ivoirien en général et celui des ruminants en particulier doit encore faire face à de nombreux défis majeurs en vue d’améliorer la compétitivité du secteur et contribuer à la réduction de la pauvreté. Relever ces défis passe nécessairement par la réponse à un certain nombre de questionnements à savoir qui sont ceux qui pratiquent cet élevage urbain ? Quel système d’élevage est pratiqué ? Quelles en sont les contraintes et les besoins ?

La présente étude se présente donc comme un moyen d’identification des contraintes et besoins majeurs au développement de l’élevage de ruminants en Côte d’Ivoire, une condition nécessaire à la prise de décision visant à les réduire voire les éliminer. Il s’agira au préalable d’évaluer les caractéristiques socio-démographiques et techniques des élevages de ruminants de grandes zones d’élevages de la Côte d’Ivoire permettant de mieux appréhender les causes et les conséquences.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Situation géographique et caractéristiques des zones d’enquêtes

L’étude s’est déroulée dans 5 grandes régions de la Côte d’Ivoire. Ce sont deux régions du nord du pays, deux régions dans centre et la zone du Grands Abidjan (Figure 1) qui ont été visités. Il s’agit précisément des régions du Poro (superficie: 13 400 km²; chef-lieu de région: Korhogo; population totale: 1 040 461 habitants) et du Tchologo (superficie: 17 728 km2; chef-lieu de région: Ferkessédougou, population totale: 603 084 habitants) pour le nord. Il s’agit également des régions du Gbêkê (superficie: 9 136 km²; chef-lieu de région: Bouaké, population totale: 1 352 900 habitants) et du Bélier (superficie: 6 809 km²; chef-lieu de région: Toumodi, population totale: 415 593 habitants) dans le centre du pays et enfin dans le sud du pays, du District Autonome d’Abidjan (superficie: 2 119 km²; population totale: 6 321 017 habitants) (INS, 2021). La zone nord du pays est une région de savane avec une saison des pluies (900 à 1 200 mm) s’étendant sur quelques mois avec un pic en juillet-août. La saison sèche se présente vers fin du mois de novembre au début du mois de mars. Le climat est de type tropical soudano-guinéen. Cette zone domine l’élevage en Côte d’Ivoire avec 80 % des élevages, essentiellement des bovins. Les régions du centre sont des zones de transition entre le sud forestier et le nord. Elles ont généralement quatre saisons, une grande saison sèche (novembre à février), une grande saison des pluies (mars à juin), une petite saison sèche (juillet à août) et une petite saison des pluies (septembre à octobre). La pluviométrie (1 200 et 1 500 mm) y est erratique. Environ 15 % de l’élevage de bovin se concentre dans cette zone. La zone du sud du pays est une zone guinéenne avec 50 % du territoire. La pluviométrie est importante (1 500 mm) et comprend pratiquement toute la région forestière. Elle a un climat subéquatorial à quatre saisons: une grande saison sèche (décembre à mars), une grande saison des pluies (mars à juin), une petite saison sèche (juillet à août) et enfin une petite saison des pluies (septembre à novembre). L’élevage essentiellement de bovins n’est représenté qu’a 5 % (INS, 2021; FAO, 2005).

Population cible

La population cible est constituée de propriétaires de bovins et/ou de petits ruminants (ovins et caprins), des bouviers en charge de ces animaux dans chaque région.

Collecte des données

Les données ont été collectées lors d’une enquête à passage unique à travers un questionnaire numérisé qui a été hébergé sur la plateforme KoboToolBox et déployé sur l’application KoBoCollect v2021.3.4. Le questionnaire a porté sur les caractéristiques des exploitations, la nature et la qualité de la main-d’œuvre, les matériels et infrastructures des exploitations, les pratiques pastorales, les problèmes soulevés par les éleveurs ou constatés sur le terrain ainsi que les besoins exprimés par eux. La collecte des données s’est effectuée durant deux (2) mois dans les zones concernées.

Traitement de données collectées

Une fois les enquêtes terminées, les données ont été par la suite codifiées et extraites en fichiers Excel pour être étudiées. À l’aide du logiciel Excel, un premier niveau de traitement des données a été réalisé. Cette analyse descriptive a permis de nettoyer la base de données et de réaliser des tableaux et des graphes. Les traitements ont consisté à effectuer des calculs de statistiques descriptifs tels que, les fréquences, les moyennes avec les écarts types.

RÉSULTATS

Caractéristiques socio-démographiques des éleveurs de ruminants

Au total, 367 éleveurs ont été enquêtés dont 155 au nord, 112 au centre et 100 au sud. Soixante-huit virgule sept pour cent (68,7 %) de cette population sont éleveurs de bovins uniquement contre 12,8 % éleveurs de petits ruminants (Tableau 1).

L’élevage des ruminants dans les zones enquêtées est une activité pratiquée par les hommes à 98,9 % contre seulement 1,1 % pour les femmes. Ces hommes sont pour la plupart mariés à 90,7 % et viennent des pays de la sous-région pour 59,9 % contre 40,1 % d’ivoiriens. Les peulhs sont le peuple les plus dominants dans la population allochtone (35,9 %). Quant aux autochtones, les senoufos (25,9 %) sont les plus nombreux (Figure 2). Leur âge moyen était de 42,8 ± 11,5 ans (16 à 86 ans). Trente-quatre virgule six pour cent (34,6 %) des éleveurs ont reçu une formation dans l’enseignement général contre 39,2 % des éleveurs à l’école coranique. Les analphabètes représentaient 26,2 %. Seuls 4 % des enquêtés ont reçu une formation formelle en élevage et sont éleveurs en plein temps pour 49,2 % d’entre eux et des agriculteurs pour 20,4 % des enquêtés. Les acteurs du secteur public/privé ne représentaient que 4,7 % de la population enquêtée. La taille de la famille moyenne était de 10 ± 8 personnes (Tableau 2).

Caractérisation des cheptels

Le cheptel bovin est marqué par un nombre plus élevé de femelles que de mâles par catégorie d’animaux. Le sexe ratio est d’un (01) veau pour 1,3 vêles et d’un (1) taurillon pour 1,4 génisses. En ce qui concerne les reproducteurs, l’enquête donne 1 taureau pour 15,7 vaches (Figure 3). La caractérisation du cheptel ovin donne une certaine parité de sexe chez les animaux de moins d’un an, 3,5 contre 3,9 et 4 contre 5,5 respectivement pour les mâles et les femelles. Il y a 1,8 reproducteur pour 12,1 femelles adultes (Figure 4). La même observation est faite chez les caprins avec un (01) géniteur pour 4,4 femelles adultes (Figure 5).

Gestion des exploitations

Mouvement au sein des troupeaux

Les mouvements au sein des troupeaux pour les trois espèces animales montrent que la source principale d’entrée d’animaux est les naissances avec un nombre moyen de plus de 20 têtes par an et par exploitation pour les bovins et environ 13 têtes par an et par exploitation pour les petits ruminants (Figure 6). Les sources de diminution des cheptels sont dominées par les ventes et les mortalités, avec en moyenne 12 têtes de bovins vendues par an et de 6 têtes par an d’animaux vendues chez les petits ruminants. La mortalité des animaux tourne autour de 5 têtes par an chez les bovins et caprins. Elle est supérieure à 6 animaux pour les ovins (Figure 7).

Infrastructures, main d’œuvre et modes d’acquisitions des animaux

Les exploitations enquêtées ont obtenu leurs premiers animaux par achat (66,8 %) ou par héritage (27,2 %). La plupart d’entre elles font leur élevage sur une terre acquise par location (34,1 %) ou sur le domaine communautaire (33,5 %). Quarante-huit virgule huit (48,8 %) pour cent d’entre eux associent à l’élevage une activité agricole dont les superficies varient d’un éleveur à un autre. La main d’œuvre salariale est la plus utilisée (44,7 %) contrairement à la main d’œuvre familiale (29,3 %). Les zébus sont les plus élevés avec un taux de représentation de 61 % contrairement aux taurins qui ne représentent que 4 % des bovins recensés (Tableau 3).

Niveau d’équipement des éleveurs

Pour abriter leurs animaux, les éleveurs ont recours à des parcs, enclos à bétail (74,9 %) et des étables (11,4 %) pour les bovins. Sur les 31,3 % d’éleveurs détenteurs de petits ruminants, seulement 25,9 % disposent d’un abri pour eux. Moins de 8 % d’entre eux disposent d’une source d’eau interne pour abreuver leurs animaux à la ferme (Tableau 4).

Les éleveurs qui font de l’agriculture possèdent comme matériels agricoles des vélomoteurs et motocyclettes (31,1 %) des charrues, des semoirs et des sarcleurs respectivement à 18,8 %, 13,9 % et 10,6 %. Seulement 1,6 % possèdent des tracteurs et moins de 1 % possède des automobiles (Tableau 5). Le Maïs, le coton, le riz et l’arachide sont les cultures les plus pratiquées avec respectivement 28,9 %, 17,4 %, 13,9 % et 10,6 % des éleveurs qui en font. Les plantations de vergers sont dominées par les anacardiers (15,3 %) et les manguiers (7,6 %).

Contraintes et besoins des élevages

Contraintes alimentaires

Les difficultés que rencontrent les éleveurs pour alimenter leurs animaux se résument en la dégradation des pâturages (82,8 %), à la difficulté pour accéder au pâturage à cause des champs (66,5 %) et à l’insuffisance de pâturage (62,1 %). De plus, le coût élevé des compléments alimentaires (9,5 %) est cité également comme une entrave (Figure 8).

Contraintes sanitaires

Outre la difficulté d’accès aux services et produits vétérinaires signalée par 28,1% (Tableau 6) des éleveurs, les élevages enquêtés sont confrontés à des maladies à répétition qui entraînent des pertes colossales chaque année.

Au niveau des bovins, la fièvre aphteuse (65,3 %), la trypanosomiase (40,9 %) et les maladies pulmonaires (39,7%) sont les maladies les plus rencontrées dans les élevages. Ajouter à celles-ci la dermatose nodulaire (23,4%) a fait son apparition dans certains élevages (Figure 9).

Chez les petits ruminants et en particulier chez les ovins, la diarrhée (40 %), les maladies pulmonaires (23 %), la trypanosomiase (22 %) et la fièvre aphteuse (18 %) sont les maladies les plus fréquentes (Figure 10). Par contre, chez les caprins, la diarrhée est la maladie la plus fréquente (45 %). Elle est suivie par les maladies pulmonaires (7 %) dans les élevages (Figure 11).

Conflit Agriculteurs éleveurs

Vingt-huit pour cent (28 %) des éleveurs enquêtés se sont retrouvés en situation de conflit avec les agriculteurs de leur zone d’installation. Les natures de ces conflits sont diverses. Ces conflits ont été engendrés pour la plupart par les dégâts sur cultures sur pied (43,3 %), l’installation des champs sur le passage des animaux (10,9 %) et 8,2 % des conflits ont été engendrés à cause de l’installation des champs près des points d’eau (Figure 12).

Besoins des éleveurs

Au vu des difficultés qui freinent le développement de l’élevage dans les zones enquêtées, les éleveurs ont fait des propositions de solutions qui selon eux, pourraient apporter un soulagement à leur situation.

Ainsi, au niveau de l’alimentation, les éleveurs pensent que la délimitation de nouveaux parcours naturels et l’amélioration de ceux qui existent (44,4 %), la baisse des coûts des compléments alimentaires (82,6 %) ainsi que la création de barrages pastoraux (12 %) pourraient contribuer fortement à l’amélioration des conditions des élevages.

L’accès facile aux produits (67,6 %) et aux services (11,4 %) vétérinaires ainsi que la subvention des vaccinations (7,9 %) sont les besoins manifestés par les éleveurs au niveau de la santé de leurs animaux. Pour la commercialisation des animaux, l’accès facile au marché (9,5 %) ainsi que la réglementation du prix de vente des animaux (5,2 %) sont mentionnés par certains éleveurs (Tableau 7).

DISCUSSION

L’enquête réalisée sur l’élevage des ruminants, dans les zones Nord, Centre et Sud de la Côte d’Ivoire, montre que l’élevage des ruminants est une activité pratiquée essentiellement par les hommes. La faible implication des femmes dans ce secteur serait due à un facteur sociologique et aux exigences physiques que demande ce secteur. Ces résultats sont corroborés par les études réalisées par d’autres auteurs dans d’autres villes d’Afrique de l’Ouest. Ils ont aussi trouvé une forte dominance des hommes dans l’élevage de ruminants (Touré, 2007; Soro et al., 2015; Kouadja, 2019). Les éleveurs sont majoritairement des hommes adultes avec un âge moyen de 42,8 ± 11,5 ans. Ils sont pour la plupart mariés (90,7 %) avec des charges familiales moyennes de 10 ± 8 personnes par ménage. Ce résultat est proche de celui de Kouadja (2019) qui a trouvé un âge moyen de 41 ± 15 ans. La forte proportion de cette tranche d’âge peut s’expliquer par le fait que l’élevage de bovin requiert beaucoup de force et de vigueur (Kouadja, 2019). Diaw (2005) ajoute par la suite que cette couche sociale est ouverte aux nouvelles technologies et très ambitieuse pour s’investir dans les activités génératrices de revenus. Seulement 34,6 % des éleveurs ont été dans l’enseignement général. De plus, seul 4 % des éleveurs enquêtés ont reçu une formation formelle en élevage. Le faible taux d’alphabétisme et le manque de formation des acteurs pourraient être l’une des sources du non développement de l’élevage en Côte d’Ivoire. Sur une étude menée sur le bétail trypanotolérant montre que l’analphabétisme, constitue une réelle entrave à l’amélioration de la productivité dudit bétail (Soro et al., 2015). En se référant à la structure des troupeaux enquêtés, un nombre élevé de femelles a été observé, surtout chez les bovins. Cela est né de l’objectif principal de production des éleveurs. Cela permet à l’éleveur de maintenir une reproduction forte du cheptel. C’est d’ailleurs, ce qui est recommandé pour une exploitation qui se veut prolifique. L’achat des premiers animaux constitue le principal mode d’acquisition du noyau d’animaux pour démarrer l’activité de l’élevage. La main d’œuvre salariée est la plus utilisée. Ces résultats confirment ceux de Kouassi et al. (2019), qui dans une étude menée dans le district d’Abidjan ont trouvé que plus de 60 % des éleveurs enquêtés utilisaient la main d’œuvre salariée. La faible présence de taurins dans les élevages s’explique par le fait que les taurins étant des animaux de petit format, ils sont délaissés par les éleveurs qui s’intéressent plus aux animaux de grands gabarits venus des pays limitrophes. En effet, des signes de métissage des bovins à plus de 86 % ont été observés dans le Nord de la Côte d’Ivoire, selon Sokouri et al. (2009). Le petit format des races locales (taurines) est le prétexte utilisé par les éleveurs pour pratiquer des opérations de métissage intenses avec les zébus qui ont un plus grand format.

Les habitats d’élevages présents dans les exploitations enquêtées se limitent aux parcs de nuit et Bergeries, avec le constat d’un faible niveau d’équipement agricole. Ces faits pourraient s’expliquer par le critère de choix des exploitations agricoles. D’ailleurs, c’est le critère qui a justifié la sélection ou non d’une exploitation dans la présente étude. Dans une étude menée sur l’intégration agriculture-élevage dans le Nord de la Côte d’Ivoire, Sib et al. (2018) ont trouvé un niveau d’équipement varié allant de quelques centaines de mille à des millions de francs CFA.

Les difficultés soulignées par les éleveurs dans l’exercice de leur activité sont nombreuses et sont à différents niveaux. La première des contraintes est la difficulté à satisfaire les besoins alimentaires de leurs animaux. En effet, la pression démographique, l’augmentation des surfaces de cultures et l’accroissement du nombre du bétail font que les ressources qui étaient autrefois disponibles en quantité, ne suffissent plus pour satisfaire les besoins des animaux. Aussi, la cherté des sous-produits agricoles ne permet pas aux éleveurs d’utiliser ceux-ci comme ressource privilégiée pour alimenter leurs animaux. Les éleveurs sont donc confrontés à une dégradation du pâturage et une difficulté pour accéder aux pâturages existant à cause de l’installation des champs sur les parcours. Koné (2002) a souligné dans l’un de ces travaux que le développement des cultures pérennes, en particulier l’anacardier, conduites de façon extensive occupent des espaces de plus en plus importants au détriment des parcours et peuvent entraver la circulation des troupeaux. Ce qui explique la destruction de nombreuses cultures par les bovins (Brou et al., 2020). Les contraintes sanitaires sont dues à la présence des tiques mais surtout de certaines maladies qui font rage dans les élevages. La PPCB, la fièvre aphteuse, la trypanosomiase et les maladies pulmonaires sont les plus fréquentes dans les élevages bovins. Même si toutes les maladies enregistrées n'entraînent pas forcément des morts, elles causent des pertes économiques énormes dans les élevages (Awa et al., 2004). Les parasites sanguins provoquent des avortements, les chutes de poids et la baisse de la production laitière (Farougou et al., 2007; Achi et al., 2012). Les pertes annuelles dues aux maladies transmises par les tiques sont estimées à 17,33 milliards de Dollars dans le monde (Djakaridja et al., 2014). La diarrhée, les maladies pulmonaires et la trypanosomiase ont été les maladies les plus courantes dans les élevages de petits ruminants. Ce constat ne diffère pas de celui d’Apala et al. (2020) qui ont constaté des cas de diarrhée, d’amaigrissement et de pertes d’appétit dans les élevages ovins au Centre de la Côte d’Ivoire.

Outres les contraintes alimentaires et sanitaires, les conflits agriculteurs-éleveurs ont été signalé par 28 % des enquêtés. Bien que ce soit moins d’un tiers de la population enquêtée qui soit concernée, cette contrainte est d’une importance capitale car elle occasionne des dépenses à n’en point finir chez les éleveurs. Awa et al. (2004) affirment que les conflits avec les agriculteurs contribuent à réduire leurs effectifs car les éleveurs sont contraints de donner des bêtes pour compenser les dégâts causés par celles-ci. De plus, les autorités administratives et traditionnelles impliquées dans la résolution des conflits abusent de leur pouvoir et font payer aux éleveurs plus que ce qui est normalement dû suite au dommage causé. Contrairement à nos résultats, Soro et al. (2015) ont trouvé un nombre important (76 %) de cas de conflit entre agriculteurs et éleveurs.

CONCLUSION

Cette étude fait état des caractéristiques socio-démographiques et techniques des élevages et des difficultés rencontrées par les éleveurs de ruminants dans les zones Sud, Centre et Nord de la Côte d’Ivoire. Elle a ainsi permis de connaître les éleveurs dans un premier temps, mais aussi de déceler les contraintes dans les élevages dans lesdites zones. Au vu des difficultés qui freinent le développement de l’élevage dans les zones enquêtées, les éleveurs ont fait des propositions de solutions qui selon eux, pourraient apporter un soulagement à leur situation. Ainsi, au niveau de l’alimentation, les éleveurs pensent que la délimitation de nouveaux parcours naturels et la re-dynamisation de ceux qui existent améliorerait l’alimentation du bétail. La baisse des coûts des compléments alimentaires ainsi que la création de barrages pastoraux pourraient aussi contribuer fortement à l’amélioration des conditions des élevages. L’accès facile aux produits et aux services vétérinaires ainsi que la subvention des vaccinations sont les besoins manifestes au niveau de la santé de leurs animaux. Pour la commercialisation des animaux, l’accès facile au marché ainsi que la réglementation du prix de vente des animaux sont nécessaires.

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