Résumé

Les interdits, totems et raisons sur la consommation ou non des silures sont peu connus en Côte d’Ivoire. Cette étude, analyse les antécédents, problèmes, difficultés, interdits, tabous, totems, allergies et maladies associés aux silures des populations autochtones. Une enquête sur la consommation de poissons silure a été réalisée d’avril à juin 2022 auprès de 557 ivoiriens actifs. Les difficultés de consommation de silure sont enregistrées dans les 14 districts, 33 régions, 4 groupes ethniques et 26 ethnies. Les silures sont adorés, sacrés et ou craints. Les antécédents de maladies d’une durée de 1 à 30 jours ont été rapportés. Cependant, les silures sont consommés à 63,2 % des 557 personnes enquêtées et à plus de 50 % des populations dans la majorité des régions et groupes ethniques. Les totems et interdits sur le silure sont étendus à toutes les régions et la fréquence de consommation varie dans les localités d’une même région et d’une région à une autre. Le niveau de consommation de silure est en faveur de son élevage. L’étude de la qualité sanitaire des silures permettra de comprendre les allergies et maladies associées à sa consommation et d’identifier les conditions d’élimination des risques.


Mots clés : Poisson, Côte d’Ivoire, Consommation, Maladies, Autosuffisance

INTRODUCTION

Les silures sont des poissons-chats de la famille des Clariidae (Lévêque et Paugy, 1984) (Figure 1). Ce sont des poissons d’eau douce d’Afrique et d’Asie du Sud-Est (Chardon, 1968). Heterobranchus et Clarias sont les deux genres représentés en Côte d’Ivoire et ont un grand intérêt pour la pisciculture (Daget et Iltis, 1965). Les premiers essais de domestication des silures ont eu lieux en 1950 (Ducarme et Micha, 2003; FAO, 2006). Leurs protocoles d’élevage sont bien maîtrisés en Europe, en Asie, en Amérique latine ainsi qu’en Afrique (Nigeria, République centrafricaine, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Mali, Ghana, Cameroun, Kenya, Afrique du Sud, etc.) depuis les années 1980 (Ducarme et Micha, 2003; FAO, 2006). Les poissons silures contribuent pour une part très importante à la production de poissons d’élevage en Afrique Sub-saharienne et dans certains pays d’Europe et d’Asie (FAO, 2022). Les silures Clarias spp. Occupent la dixième place parmi les 15 productions mondiales des principales espèces d’aquaculture continentale dans le monde avec 2 500 000 tonnes/an rapportés (FAO, 2022). FAO-FISH4ACP (2023) rapporte 285 000 producteurs de poisson-chat, avec une production d’un million de tonnes de silure en 2021, soit environ 2,6 milliards de dollars pour un million d’emplois au Nigeria. En Côte d’Ivoire, l’élevage de silure est majoritairement extensif et réalisé avec Heterobranchus longifilis, Clarias gariepinus et leurs hybrides dans les fermes d’élevage de tilapia (Yao et al., 2017). Les silures sont généralement en polyculture dans des barrages et étangs sur 29,2 % de 301 fermes enquêtées (Yao et al., 2017). Les grandes zones de pêche de silure en Côte d’Ivoire sont les localités de Buyo, Duékoué, Guéssabo, Guiglo, Issia, et Soubré (FAO, 2008).

La consommation de poissons silures fait objet de totem et interdit chez certaines personnes en Côte d’Ivoire (JICA, 2016). Toutefois, les pisciculteurs qui les élèvent consomment et commercialisent le silure entre 1000 et 1500 FCFA/kg (Koumi et al., 2016). Les poissons silures sont une source de nutriments essentiels pour l’homme (Ducarme et Micha, 2003; Kumolu-Johnson et al., 2010). La chair de silure fraîche est riche en protéines (14 à 21 %), calcium (200 mg/kg), phosphore (2000 mg/kg), sodium (1000 mg/kg), vitamines (3000 mg/kg) et en acide aminés essentiels (histidine et lysine) (Ducarme et Micha, 2003; Kumolu-Johnson et al., 2010).

La Côte d’Ivoire, pays d’Afrique sub-saharienne situé dans le golfe de Guinée, compte 29 389 150 habitants (INS, 2021). Abidjan, la capitale économique est la ville la plus peuplée avec 5 616 633 habitants (Un-Habitat, 2023). La demande de poisson pour la consommation en Côte d’Ivoire était de 650 000 T en 2021 (FAO-FISH4ACP, 2021; FAO, 2020). La production nationale de poissons (pêche + aquaculture) était d’environ 110 000 tonnes (FAO-FISH4ACP, 2021). La production nationale piscicole s’élevant à environ 6 000 à 8 300 tonnes/an (Kourgansky et al., 2023). La Côte d’Ivoire importe à ce jour plus de 500 000 tonnes/an de poissons pour couvrir sa demande intérieure. Aussi, veut-elle augmenter la production piscicole nationale à 500 000 tonnes/an en 2030 (PONADEPA, 2022). Plusieurs initiatives sont développées afin de booster la production aquacole. Les techniques de reproduction et d’élevage du silure sont bien maîtrisées en Côte d’Ivoire et les silures devraient contribuer à l’augmentation de la production piscicole (Koumi et al., 2018). Cependant, la consommation de poissons silures fait objet de plusieurs rapports en Côte d’Ivoire (Zézé, 1989; Legendre, 1989; Sié et Ibo, 1990). Aussi, existe-il une méconnaissance réelle des raisons, régions, peuples et ethnies concernés par les interdits et totems et l’évolution de cet interdit au fil des ans. Cette étude, se propose d’analyser la situation actuelle de connaissance, d’antécédents, problèmes, difficultés, interdits, tabous et totems, d’allergies et de maladies associés à la consommation de poissons silure de la population ivoirienne autochtone afin de mieux définir les conditions de leur consommation et promouvoir leur élevage en Côte d’Ivoire.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Une enquête structurée sur la consommation de poisson silure a été réalisée auprès de 557 personnes adultes actives (travailleurs, chefs de famille) de nationalité ivoirienne dans la période d’avril à juin 2022 à Abidjan. Les sites de l’École Normale Supérieur (ENS) au sein de l’Université Félix Houphouët-Boigny, dans la commune de Cocody; la gare nord de la Société des Transports Abidjanais (SOTRA) dans la commune d’Adjamé; la gare sud de la SOTRA dans la commune du Plateau et le grand carrefour de la commune de Koumassi ont été choisis dans le but de réaliser un échantillonnage aléatoire de personnes qui reflète la diversité ethnique (districts, régions, et département) de la population ivoirienne. Ces sites sont des lieux de formation de niveau supérieur, d’attente et de grande circulation de la ville d’Abidjan. Les personnes ont été abordées et interviewées sur la base de leur libre accord. L’enquête a consisté à la collecte de données socio-démographique, culturelle, professionnelle et de consommation ou non de silure (antécédents, problèmes, difficultés, interdits, tabous et totems, allergies, maladies, etc.). Un album photo de différentes espèces de silure a été utilisé pour la reconnaissance des silures par les personnes interrogées.

RÉSULTATS

Caractéristiques des enquêtés

L’échantillon de 557 personnes interviewées est reparti sur la base de leur origine dans les 14 districts et les 33 régions administratives de la Côte d’Ivoire. Ces personnes sont originaires de 109 localités réparties dans 107 sous-préfectures (Figure 2). Ce sont 325 femmes et 232 hommes âgés pour la plupart de 30 à 40 ans (38,1 %) et 40 à 50 ans (42,0 %). Parmi elles, 360 personnes ont un niveau d’étude supérieur contre 26 personnes analphabètes. Ces personnes sont originaires des quatre groupes ethniques de la Côte d’Ivoire que sont les Akan (53,3 %), les Krou (18,0 %), les Gour (14,5 %) et les Mandé (14,2 %). Elles sont en majorité de croyance chrétienne (68,8 %) contre 21,5 % de musulmans; 5,2 % d’animistes et 4,5 % de personnes sans croyance. Ce sont au total 36,4 % des agents de l’état, 36,4 % des agents du privé; 17,2 % des commerçants; les agriculteurs, les étudiants, les ménagères les pasteurs, couturiers, pêcheurs et retraités représentent 10 % des enquêtés. Les revenus mensuels sont supérieurs à 400 000 FCFA pour 11,7 %; compris entre 400 000 et 300 000 FCFA pour 26,2 %; 300 000 et 200 000 FCFA pour 30,5 %; 200 000 et 100 000 FCFA pour 24,6 % et inférieur à 100 000 FCFA pour 7 %.

Perception du silure par district région et ethnie

La consommation de silure fait l'objet de tabou et de totem dans les 14 districts, 32 régions et au sein de 26 ethnies sur les 36 ethnies représentées. Les silures font objet d’interdiction pour la consommation parce qu’ils sont des poissons génies, protecteurs, des fétiches des peuples et sont adorés et ou craints. Les silures sont rapportés poissons «génies» dans 11 districts, 14 régions, 4 groupes ethniques et au sein de 13 ethnies. Les silures sont rapportés être des «protecteurs des hommes» dans 5 districts, 6 régions, 3 groupes ethniques et au sein de 6 ethnies. Ils sont considérés comme des «fétiches» dans 4 districts, 4 régions, 4 groupes ethniques et au sein de 5 ethnies. Ils sont «adorés des populations» dans 11 districts, 11 régions, 4 groupes ethniques et au sein de 16 ethnies. Les préjugés évoqués sont que ce ne sont pas des poissons de qualité, ils ont une morphologie non acceptée avec une peau lisse, ils sont qualifiés de poisson noir, vivent dans la boue, dans les eaux sales et hors de l’eau, ont une mauvaise odeur, ils sont trop gluants, source de pauvreté, interdits dans la bible, mystiques, ils portent malheur, etc.

Antécédents, maladies et conséquences liés à la consommation du silure

La consommation de poisson silure a entraîné des allergies, rendu stérile, sourd, entraîné des pertes de cheveux et provoquée diverses autres maladies. Les personnes originaires de 14 différents districts, 19 régions, 4 groupes ethniques et 17 ethnies ont rapporté des allergies liées à la consommation de silure. Les silures sont rapportés causer la stérilité après consommation dans 7 districts, 10 régions, 4 groupes ethniques et au sein de 8 ethnies; provoquer la surdité et les pertes de cheveux après consommation dans 3 districts, 4 régions, 2 groupes ethniques et chez 3 ethnies. La consommation de silure a fait objet de diverses autres maladies dans 8 districts, 10 régions, 4 groupes ethniques et au sein de 8 ethnies. Les symptômes rapportés sont l’apparition de boutons sur le corps (14 personnes), les démangeaisons (3), les plaies dans la bouche (3), les vomissements (3), les maux de dent (1), les gonflements de joue (1), la surdité (1), la migraine (1), les pertes de cheveux (1) et la perte de vue (1). Ces allergies et maladies ont duré 1 à 30 jours avec 7 jours en majorité, soit 45,8 % des personnes malades ou ayant fait une allergie après consommation de poissons silures. 10 personnes ont eu recours à l’automédication, 4 personnes ont consultés un médecin, 3 personnes ont fait des sacrifices pour retrouver la santé et les autres répondants (7 personnes) n’ont rien fait.

Consommation du silure par origine (district, région et localité)

La répartition des effectifs de personnes enquêtées par district varie entre 12 (district autonome de Yamoussoukro) et 73 personnes (district des Lacs). Les districts qui présentent les nombres les plus élevés de personnes enquêtées (35 à 73 personnes) présentent des fréquences de consommation de silure variant entre 55,6 et 71,4 %. Seules les personnes enquêtées originaires des districts du Woroba (42,4 %) et du Denguélé (30,7 %) présentent une fréquence de consommation de silure inférieure à 50 % (Figure 3). Pour la majorité des districts et des régions, indépendamment des effectifs enquêtés, les fréquences de consommation de silure sont supérieures ou égale à 50 %. Les fréquences de consommation de silure des personnes enquêtées varient d’une localité à une autre au sein d’une même région.

Consommation de silure par groupe ethnique et ethnie

Les fréquences de consommation de silure enregistrées par groupe ethnique sont de 66,0 % pour les Akan (297 personnes enquêtées), de 68,0 % pour les Krou (100 personnes enquêtées), 44,4 % pour les Gour (81 personnes enquêtées), et de 65,8 % pour les Mandé avec 79 personnes enquêtées (Figure 4). Parmi les 36 ethnies enregistrées, les Baoulé représentant 21,7 % des personnes enquêtées et sont les plus nombreux. Ces Baoulé présente 62,8 % de taux de consommation de silure (Figure 4). A la suite des Baoulé, les Agni les Bété, les Sénoufo, les Guéré, les Attié, les Malinké, les Abbey, les Yacouba, les Ébrié, les Koulango, les Abron, les Gouro, et les Adjoukrou, avec les effectifs de personnes rencontrées variant entre 11 (Adjoukrou) et 53 (Agni) enregistrent également des taux de consommation de silure supérieurs à 50,0 %. Parmi eux les Yacouba, les Attié, et les Ébrié présentent des taux de consommation de silure respectifs de 75,0 %; 74,0 % et 73,9 %, supérieur à 70 %; les Agni, les Bété, les Guéré, les Koulango, les Abron et les Adjoukrou enregistrent des taux de consommation de silure compris entre 62,5 % (Koulango) et 68,7 % (Guéré).

Données sociales de la consommation de silure

Au total 352 personnes déclarent consommer le silure soit 63,2 %. Les 352 personnes qui consomment le silure sont composées à 55,40 % de femmes et à 44,6 % d’hommes. 67,7 % des hommes consomment le silure contre 60,0 % des femmes enquêtées (Tableau 1). Les personnes de moins de 30 ans à 81,2 % et de plus de 70 ans à 66,7 % présentent les fréquences de consommation de silure par tranche d’âge les plus élevées. Les fréquences de consommation de silure des tranches d’âge comprises entre 30 et 70 ans varient entre 61,5 % et 63,3 %. Les chrétiens (69,2 %), les sans religion (56,0 %), des animistes (51,7 %) contre 48,3 % des musulmans consomment le silure. 65,8 % des personnes de niveau d’étude supérieur, 63,5 % de niveau primaire, 62,2 % de niveau secondaire 1er Cycle, 59,8 % de niveau secondaire 2ième cycle contre 38,5 % des personnes analphabètes consomment le silure. Les fréquences de consommation de silure varient entre 53,8 % pour les revenus mensuels de 400 000 FCFA/mois et 69,2 % pour les revenus de 100 000 FCFA/mois.

Consommation de silure et difficultés rencontrées

Les raisons de consommation de silure rapportées sont que c’est un poisson d’eau douce, il est délicieux, sa chair est bien charnue, riche en protéines, et a moins d’arêtes, son prix est abordable, c’est un poisson vendu frais à de grandes tailles et son accessibilité dans leur localité est acceptable. Parmi les personnes qui consomment le silure, 264 personnes ont acheté le silure de pêche et 108 le silure d’élevage. Le silure de pêche est préféré pour son goût naturel et son accessibilité. Le silure d’élevage est acheté pour le manque de silure de pêche, la présence de pisciculteurs qui en vendent, son prix abordable, parce qu’il n’est pas différent du silure de pêche et parce que l’origine du silure n’est pas importante pendant l’achat. Le silure a été acheté au marché par 236 personnes; avec les pêcheurs par 69 personnes, avec les pisciculteurs par 36 personnes, dans les poissonneries par 21 personnes et au bord de la route par 19 personnes. 232 personnes ont déjà acheté le silure fumé, 219 personnes ont acheté le silure frais, 27 personnes ont acheté le silure congelé, 33 personnes ont acheté le silure sous glace et 13 personnes ont acheté le silure fermenté. Les prix d’achat du silure frais rapportés varient entre 500 et 5000 FCFA/kg selon la localité, et les lieux d’achat (marché, pêcheurs, pisciculteurs, poissonneries, bords de route …). Le prix d’achat du kg de silure de 1000 FCFA est rapporté en majorité. Le silure fumé est vendu en tas et le prix d’achat varie entre 500 et 6000 FCFA en fonction de la taille et du lieu d’achat. Le silure est consommé braisé, frit, étouffé, en sauce et au four. Les difficultés d’achat du silure sont les contraintes de proximité (245/352), son prix élevé pour plusieurs personnes (157/352) et l’absence d’information sur le lieu de vente (126/352).

DISCUSSION

La consommation de silure fait objet de tabou et de totem dans les 14 districts, 33 régions de la Côte d’Ivoire et au sein de 26 ethnies sur les 36 ethnies rencontrées pendant l’enquête. Le silure fait objet de plusieurs récits au sein de plusieurs ethnies. C’est le cas des Koulango de Sapia (village de Côte d’Ivoire), dans le Département de Bondoukou, des Yacouba (Mandé) de la ville de Man; des Guéré (Krou) du village Zagné, Guiglo (région des Montagnes); des Agni de Bongouanou et bien d’autres (Legendre, 1989; Kotto, 2019; Adjiman, 2022; La fleur, 2023).

En plus de ces histoires connues, plusieurs traditions et coutumes rendent ces poissons sacrés et interdissent leur consommation en Côte d’Ivoire mais aussi au Mali, au Bénin, au Burkina Faso et en Guinée Conakry (Paugy et al., 2011; Assonsi, 2021). Toutefois, la méconnaissance sociale de la biologie et de l’écologie des silures justifierait certaines raisons de non consommation de silure.

En effet, ces poissons sont capables de respiration aérienne et survivent pendant des heures hors de l’eau (Lévêque et Paugy, 1984; Teugels et Adriens, 2003). Ainsi, en conditions naturelles, le silure vit dans les fonds marécageux et est un poisson nocturne (Legendre, 1991). La mauvaise odeur rapportée serait provoquée par la consommation des aliments en décomposition des fonds d’eau et du milieu de vie. Cette mauvaise odeur serait susceptible de disparaître chez le silure d’élevage nourris avec des aliments artificiels en milieux contrôlés et bio sécurisés (MIRAH-JICA, 2019; FONKWA et al., 2024). Les symptômes de maladies liés à la consommation de silure pourraient avoir une explication scientifique. En effet, les poissons prédateurs, omnivores et carnivores de grandes tailles (Kerdchuen, 1992) qui se nourrissent dans les fonds, les sédiments, la boue, en eau polluée ont une propension à bioconcentrer les métaux lourds, certains métalloïdes ou des polluants peu biodégradables (PCB, furanes ou dioxines des hydrocarbures) (Micha, 1973; Micha, 2010). Les fortes teneurs de ces contaminants dans ces poissons peuvent causer de graves troubles de santé chez les hommes. Les silures issus de certains milieux aquatiques pollués ont déjà été interdits de pêche, de détention, de consommation, et de commercialisation en France (Micha, 2014). L’état sanitaire des silures est lié à sa taille et à son alimentation (vers, insectes terrestres, vertébrés, détritus, graines, fruits, etc.), elle-même liée à la qualité du milieu de vie. Les symptômes et maladies rapportés peuvent relater de possibles contaminations environnementales mal interprétées par les populations qui les ont associées à des sorts relatifs aux interdits. De plus, les poissons prédateurs, omnivores et carnivores sont plus susceptibles de porter des substances allergènes dont l’ingestion par l’homme peut entraîner des allergies (Kuehn et al., 2014; ACIA, 2017). Il est nécessaire d’étudier la qualité sanitaire et hygiénique et le potentiel allergène des silures des cours d’eaux de Côte d’Ivoire, voire d’Afrique.

Malgré les croyances, les interdits et les maladies, la fréquence de consommation de silure enregistrée est de 63,2 %; elle est supérieure à 50 % dans la majorité des districts, régions et groupes ethniques de la Côte d’Ivoire rencontrés. La fréquence de consommation est supérieure à celle rapportée par l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA) en 2015 de 44 % pour 683 personnes questionnées à Abidjan et à Man (JICA, 2016). Ces différences pourraient se justifier par les lieux d’enquête, le nombre de personnes enquêtées, la forte augmentation de la population de 2015 à 2022 et l’augmentation des prix des denrées alimentaires et du coût de la vie (INS, 2021).

Les fréquences de consommation de silure de plus de 60% enregistrées chez les Baoulé, Yacouba, Attié, Ébrié, Agni, Bété, Guéré, Koulango, Abron et Adjoukrou, qui constituent les populations ethniques les plus nombreuses des enquêtés et de la Côte d’Ivoire permettent de dire que les consommateurs de silure en Côte d’Ivoire sont plus nombreux que les non consommateurs (INS, 2014; INS, 2021). Ajoutés aux consommateurs ivoiriens, les nigérians, les maliens et d’autres communautés africaines allogènes à la Côte d’Ivoire sont les clients habituels des commerçants de silure des marchés d’Abidjan (Atta, 2019).

Les données de genre, d’âge, de croyance religieuse, de niveau d’étude et de revenus mensuels permettent de dire que les moins de 30 ans avec 81,7 % de consommateurs de silure ne tiennent pas compte des différents tabous et totems. Le niveau de scolarisation et la religion influencent le niveau de consommation du silure. Toutefois, les silures sont très appréciés pour leur qualité, chair, prix, goût et recherchés par leurs consommateurs qui les consomment aussi bien frais que fumés à tous les mets (braisé, frit, étouffé, en sauce, au four, etc.) de la cuisine ivoirienne à cause de sa chair charnue et ferme, et des poids à la vente de plus de 2 kg, contrairement au tilapia, cuit à la braise en majorité, et de poids marchands inférieurs à 1 kg (Atta, 2019). De ce fait, l’insuffisance de l’offre et les difficultés d’acquisition seraient liées aux contraintes de proximité, l’absence d’information sur les lieux de vente, la faible communication sur la valeur nutritionnelle et la méconnaissance de la qualité sanitaire et hygiénique des silures marchands issus de la pêche et de l’élevage.

CONCLUSION

Les totems et interdits sur le silure sont étendus à tous les districts, régions et localités en Côte d’Ivoire. Plusieurs peuples et ethnies ont une coutume avec les silures faisant d’eux des poissons sacrés et ou craints. Cependant, les silures sont consommés à 63,2 % des 557 personnes enquêtées et à une fréquence supérieure à 50 % dans la majorité des régions et groupes ethniques de la Côte d’Ivoire. Les plus jeunes personnes enquêtées (moins de 30 ans) ne tiennent pas compte des différents tabous et totems associés au silure. La scolarisation est en faveur de la consommation de silure. Le niveau de consommation des silures est en faveur de l’augmentation de l’offre par l’élevage. L’élevage de silure en milieu contrôlé peut contribuer à augmenter la production de poissons en Côte d’Ivoire en générant de l’emploi comme au Nigéria. Une meilleure connaissance de la qualité sanitaire des silures de pêche et d’élevage permettra de définir les bases scientifiques des allergies et maladies rapportées et d’identifier les conditions d’élimination des risques en milieu d’élevage.

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