L’exploitation des carrières apporte-t-elle un plus à la biodiversité au Nord Bénin ?
DOI :
https://doi.org/10.5281/zenodo.10819586Mots-clés :
Carrière post-exploitation, Excavation, Biodiversité, Bénin.Résumé
L'étude visait à tester l'hypothèse selon laquelle les carrières abandonnées pourraient améliorer la diversité floristique locale contrairement à l'opinion répandue selon laquelle l'exploitation des carrières nuit à la biodiversité. Pour ce faire, un inventaire a été réalisé dans 30 placettes carrées (30 m x 30 m), dont 16 installées dans les carrières abandonnées et 14 dans des formations naturelles adjacentes (sites de référence). Les indices de diversité (Richesse, Chao1, Chao2, Jack1, Jack2, Shannon et Equitabilité) ont été calculés et comparés entre les deux types d'écosystèmes. Les résultats indiquent que la diversité floristique ne présente pas de différence significative entre les deux écosystèmes. Cependant, la richesse spécifique s'avère plus importante au niveau des sites de référence (62 espèces végétales) que dans les carrières (55 espèces végétales). Une forte similarité floristique (50% à 90%) a également été observée entre les deux types d'écosystèmes. Les Fabaceae constituent la famille dominante dans les deux écosystèmes (39,3 % à 40,8 %). Il en ressort que les carrières abandonnées n'ont pas eu d'impact significatif sur la diversité floristique locale, contrairement aux attentes. Ce résultat pourrait être attribué à l'absence de différenciation de niche écologique après l'excavation, un aspect qui nécessite une investigation approfondie dans les étude futures.
Mots clés: Carrière post-exploitation, Excavation, Biodiversité, Bénin
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INTRODUCTION
Le développement durable impose l’existence d’un climat d’équilibre entre l’environnement, l’économie, les besoins sociaux et la bonne gouvernance (MMSD, 2002; WBCSD, 2011). Selon le Conseil International des Mines et des Métaux (ICMM, 2012), toutes les activités humaines, y compris l’extraction minière devraient être exercées dans le respect de l’environnement et le bien-être des humains. Mais force est de constater que les activités menées par l’homme, en l'occurrence l’exploitation des ressources naturelles notamment dans les pays sous-développés, contribuent à la dégradation des écosystèmes et compromettent les conditions de vie humaines (Bologna and Aquino, 2020; Terminski, 2012). L’exploitation des mines ou des carrières est une activité qui joue un rôle socio-économique important à travers l’utilisation des minéraux pour la construction, l’énergie, l’agriculture et la manufacture (Mitchell et al., 2004). Malheureusement, suite à la croissance rapide de la population humaine entraînant une augmentation des besoins en mines et matériaux de construction, cette activité est devenue une menace potentielle à la biodiversité (Ballesteros et al., 2012; Martínez-Hernández et al., 2011; Chenot at al., 2018). Elle endommage considérablement le sol en modifiant la topographie des sites et les communautés microbiennes du sol (Chenot et al., 2017; Simón-Torres et al., 2014). Elle entraîne ainsi, par une modification directe des habitats, la dégradation continue de la flore et la faune. Elle peut aussi causer la disparition de certaines espèces endémiques et originales (Clements et al., 2006). Cependant, plusieurs études postulent que l’abandon d’une carrière pendant un certain nombre d’année peut à travers la succession et la résilience écologique contribuer à l’amélioration de la diversité en créant des niches variées (Bétard, 2013; Lucas et al., 2014). L’apparition de ces niches est la conséquence de l’hétérogénéité physico-chimique des substrats combinée aux conditions hydrologiques, géologiques et topographiques (Cramer and Willig, 2005; Tews et al., 2004). La formation des cavités rocheuses, des points d’eau et de fortes pentes sont autant de conditions pouvant conduire à la formation de nouvelles niches favorables à la mise en place et au développement d’une faune et flore variée (Germano et al., 2016). Le gain écologique dans ces niches peut être intéressant si les nouvelles espèces apparues montraient des caractéristiques fonctionnelles favorables à la conservation de la biodiversité (Cabral et al., 2006). Bien que le potentiel écologique et l’intérêt biologique de l’exploitation des carrières soient prouvés par la recherche au cours des dernières décennies (Benes et al., 2003; Frochot and Godreau, 1995; UNICEM, 2008), très peu de carrières abandonnées ont fait objet de recherches dans certains pays en voie de développement comme en République du Bénin (Aïtondji et al., 2016, 2015).
Le Bénin regorge d’un potentiel important de ressources minières mais exploitées de manière non durable malgré les dispositions prises par la législation (IPEC, 2013). Afin de fonctionner dans le respect des principes de développement durable, l'État béninois a élaboré des mesures politico-administratives et juridiques en vue de gérer durablement les ressources minières et les carrières. Bien que la restauration des carrières exploitées soit au cœur des mesures élaborées, les connaissances actuelles sur le potentiel écologique de ces carrières pouvant rendre efficace les mesures de restauration sont très limitées. Excepté quelques rares études dans la littérature (Aïtondji et al., 2016, 2015; d’Almeida et al., 2015; Santa, 2007) ayant souligné que les carrières abandonnées peuvent servir de refuges pour la sauvegarde de la phytodiversité locale, la plupart des recherches effectuées au Bénin se sont plus penchées sur l’impact négatif de l’activité des carrières sur l’environnement.
La présente étude se place dans le contexte général de l’exploitation durable des carrières et vise à vérifier si l’exploitation des carrières ajoute à la biodiversité à travers une analyse comparative de la diversité floristique entre les carrières abandonnées et les formations naturelles adjacentes.
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Milieu d’étude
L’étude a été conduite au Nord du Bénin et plus précisément dans les communes de Parakou et Tchaourou toutes situées dans la zone de transition climatique (7°30′–9°30′N) du pays (Figure 1). La commune de Tchaourou s’étend sur une superficie de 7256 km2. Elle est entre 2.6 8° 52′ 60″ de longitude/latitude Nord et 2° 36′ 0″ de longitude/latitude Est.
La commune de Parakou, la plus grande ville au Nord, s’étend sur une superficie de 445 km2. Elle est entre 9°15’et 9°28’ de latitude Nord puis entre 2°28’ et 2°45’ de longitude Est.
Les deux communes se trouvent dans une zone de savane marquée par quelques forêts semi-décidues et galeries forestières. On retrouve en abondance les espèces comme Cola laurifolia, Berlinia grandiflora et Elaeis guineensis dans les forêts galeries, Isoberlinia doka, Anogeissus leiocarpa, Pterocarpus erinaceus, Daniellia oliveri et Afzelia africana dans les forêts claires, Vitellaria paradoxa et Monotes kerstingii dans les savanes arborées et arbustives. Le sol est de type ferrugineux tropicaux dans les deux communes à la différence qu’il est concrétionnés à Tchaourou et posé sur du cristallin à Parakou.
Les deux communes constituent des réservoirs de carrières mais seulement quelques-unes sont connues du public. Les carrières de sable, de latérite et de gravier sont les plus représentées dans les deux communes. La principale activité économique dans ces deux Communes est bien l’agriculture. L’exploitation des carrières est une activité secondaire qui prend de l’ampleur dans la zone et qui affecte la qualité de l’environnement.
Échantillonnage
Une liste initiale des carrières abandonnées a été établie sur la base des informations recueillies dans les Mairies des deux communes d’étude. Elle a été complétée par des entretiens avec des personnes ressources (les propriétaires et exploitants des carrières). Sur la base des informations recueillies au cours des entretiens et prospections du terrain, les carrières de latérite et de sable sont majoritairement exploitées (80%) dans le milieu. Au total, seize (16) carrières abandonnées sont échantillonnées dont treize (13) latérites et trois (03) sableuses. Le petit nombre de carrières de sable retenu est lié à la limitation des formations naturelles adjacentes. Afin d’évaluer l’impact des carrières abandonnées sur la diversité, il a été retenu quatorze (14) formations naturelles adjacentes ayant servi de sites de référence pour la comparaison. Le site de référence a été identifié sur la base des critères suivants: (1) il est relativement stable et exempte de toutes activités d’excavation, (2) il est établit sur le même substrat que la carrière abandonnée, (3) il a le même stade de succession écologique que la carrière, et (4) il est situé à 250 m au plus du centre de la carrière afin de satisfaire aux conditions d’homogénéité (Figure 2).
Collecte des données
Des relevés floristiques ont été effectués dans 30 placeaux carrées 900 m², dont 16 dans les écosystèmes de carrières abandonnées et 14 au niveau des sites de référence (Figure 2).
A l’intérieur de chaque placette, les données suivantes sont collectées: les coordonnées UTM de la placette au moyen du GPS, la superficie de la carrière par tracking au moyen du GPS, le nom scientifique de l’espèce pour tous les individus adultes (DBH ≥ 5cm). La régénération naturelle (DBH<5cm) a été comptée dans cinq sous-placettes carrées de taille 100 m² chacune dont une posée au centre et les quatre autres au niveau des quatre sommets de la placette principale. Les noms scientifiques des espèces recensées ont été confirmés par le Botaniste du Laboratoire d'Écologie, de Botanique et de Biologie végétale (LEB).
Analyse des données
Afin d’estimer la diversité, des matrices de présence absence et d’abondance ont été construites sous Excel (version 2016) et soumises à R version 4.0.2 (Team, 2020). Les indices de diversité (Chao, Jack, Shannon, et Equitabilité) ont été calculés sous les packages BiodiversityR (Kindt, 2018) et SpadeR (Chao et al., 2016) . L’estimation a pris en compte les trois niveaux de diversité (alpha, beta et gamma). La diversité alpha représente la diversité au niveau placette. La diversité beta apprécie la similarité entre placettes et la diversité gamma la diversité régionale, c’est-à-dire celle au niveau des carrières et formations naturelles adjacentes. La fonction diversityresult contenue dans BiodiversityR a été utilisée pour calculer la richesse, la diversité de Shannon et l’équitabilité de Pielou. Les indices Chao1, Chao2, Jack1, et Jack2 ont été calculés sous SpadeR avec la fonction ChaoSpecies.
Les indices de diversité utilisés sont présentés ci-dessous.
Richesse spécifique et estimateurs (SChao, Sjack)
La richesse spécifique (S) est le nombre total d’espèces recensées au sein d’un site donné. Partant du constat qu’un simple comptage du nombre d’espèce sur un site d’une superficie ‟s” donnée n’est pas fiable pour une estimation précise de la richesse, des estimateurs ont été développés pour une estimation plus robuste de la richesse. Ces derniers tiennent compte de l’abondance et de l’occurrence des espèces (Chao, 2005; Chao et al., 2016; Chao and Lee, 1992).
Les indices couramment utilisés sont l’indice Chao (Chao 1, Chao 2) et l’estimateur Jack (Jack 1 et Jack 2).
L’estimateur Chao 1 est un indice sensible à la raréfaction des espèces. Il est calculé sur la base du nombre d’espèces singleton (représentée par un seul individu) et doubleton (représentée exactement par deux individus). La première équation mise au point par l’auteur (Chao, 1984) est donnée par la relation suivante:
Où Sobs désigne la richesse observée, f1 le nombre d’espèces singleton, f2 le nombre d’espèces doubleton, et n le nombre d’individus total.
L’estimateur Chao 2 est calculé sur la base du nombre d’espèces uniques (détecté uniquement dans une placette) et du nombre d’espèces dupliquées (détecté dans deux placettes).
La première équation mise au point par Chao (1987) est donnée par la relation suivante:
Avec T le nombre de placettes échantillon, Q1 le nombre d’espèces uniques et Q2 le nombre d’espèces dupliquées.
Bien que décrit par (Smith et Pontius, 2006), plusieurs autres approches ont été proposées pour calculer l’estimateur SJack. Smith et Pontius (2006) proposent l’équation générale suivante:
Où T est le nombre total de placettes, et ri le nombre d’espèces retrouvé uniquement dans un site i donné.
Dans Chiu et al. (2014), une approche basée sur le nombre d’espèces singleton et doubleton a été proposée pour calculer Jack1 et Jack2. Partant du nombre d’espèces singletons, la formule suivante a été proposée pour calculer l’estimateur Jack1:
La formule proposée pour calculer l’estimateur Jack2 prend en compte le nombre d’espèces singleton et le nombre de doubleton. Elle est donnée par la relation suivante:
Afin de comparer la richesse spécifique entre les carrières abandonnées et les sites de référence, le test de rang de Wilcoxon (Wilcoxon Rank Test) a été réalisé sous R. Les estimateurs de la richesse ont été comparés au moyen du test de Student.
Diversité de Shannon et Equitabilité de Pielou
L’indice de diversité de Shannon a été proposé par Shannon (1948). C’est un indice sensible aux espèces rares. L’indice de diversité Hi pour chaque habitat i est donné par la formule:
Où Pj désigne la fréquence relative ou la probabilité d’occurrence de l’espèce j dans l’habitat. Pj est donné par le rapport ni/N avec nj la fréquence absolue de l’espèce j dans l’habitat et N le nombre total d’individus. Hi est compris entre 0 et log2(S) (la diversité maximale). Un habitat a une diversité faible si H < 3 bits, moyenne si H est compris entre 3 et 4 bits, puis élevée quand H ≥ 4 bits. Le milieu est peu diversifié quand H est faible et relativement diversifié en espèces quand H est fort.
L’Equitabilité, connue sous l’indice E ou équitabilité de Pielou (Pielou, 1966), est donnée par le rapport de l’indice de diversité de Shannon-Weaver (H) sur la valeur théorique maximale de l’indice (H’max). Elle mesure la régularité des espèces sur une aire donnée. Pour chaque habitat donné d’indice de diversité Hi et de nombre d’espèces Si, l’équitabilité E est donnée par la formule:
Cet indice varie de 0 à 1. Un habitat est largement dominé par une espèce lorsqu’il tend vers zéro. Il prend la valeur de 1 lorsque toutes les espèces ont la même abondance. Les diagrammes rang-fréquence ont été élaborés pour comparer la régularité des espèces entre la végétation des carrières et celle des formations naturelles.
L’indice de diversité de Shannon a été comparé au moyen du test de Student.
L’Equitabilité de Pielou a été comparée au moyen de la régression Beta (betaregression) sous le package betareg (Cribari-Neto and Zeileis, 2010).
Indice de similarité de Sorensen
Le coefficient de similitude floristique de Sorensen (Sorensen, 1948) mesure le degré d’affinité floristique entre habitats. C’est une mesure de la diversité beta (β). Ce coefficient est donné par la formule:
Où a est le nombre d’espèce commune aux habitats, b et c sont respectivement les nombres d’espèces propres à chaque habitat. Il a été retenu un seuil de similarité de 50%, généralement admis (Djègo and Sinsin, 2006; Ganglo et al., 1999; Gounot, 1969; Sokpon, 1995).
RÉSULTATS
Composition en famille
On observe une similarité de richesse en famille entre les formations adjacentes et les carrières. Au total 23 familles de plantes ont été dénombrées au niveau des carrières contre 24 pour les formations naturelles adjacentes. Seules les Loganiaceae sont absentes au niveau des carrières. La famille des Fabaceae domine la flore des deux écosystèmes. Elle représente 40,2% des formations adjacentes et 39,3% des carrières abandonnées (Figure 3).
La richesse en espèces par famille ne diffère pas substantiellement entre types d’écosystème. La plus forte richesse a été observée au niveau de la famille des Fabaceae qui compte 15 espèces pour la végétation des carrières contre 17 espèces pour les formations naturelles adjacentes (Figure 4). Exceptionnellement, l’écosystème des carrières abandonnées compte une espèce de plus que les formations naturelles au niveau de la famille des Combretaceae.
Richesse spécifique et estimateurs Chao et Jacknife
Une richesse de 55 espèces de plantes a été observée au niveau des carrières abandonnées contre 62 espèces recensées dans les formations naturelles adjacentes. Excepté les formations naturelles adjacentes où la richesse a été sous-estimée avec l’estimateur Chao1 (24,5 ± 2,79 contre 62,0), on remarque une surestimation de la richesse aussi bien pour les carrières qu’au niveau des sites naturels adjacents. Au niveau des carrières, 55 espèces de plantes ont été observées contre environ 66 espèces prédites avec Chao et Jack1, soit une richesse d’environ 11 espèces non détectées. L’estimateur Jack1 prédit une richesse d’environ 72 espèces sur 55 observées soit 17 espèces non détectées.
Au niveau des formations naturelles, 62 espèces ont été observées contre environ 86 espèces prédites par Chao2, 80 par Jack1 et 90 prédites par Jack2, soit une richesse de 18 à 28 espèces de plantes non détectées (Tableau 1).
En comparant la diversité entre carrières et sites de référence, aucune différence significative n’a été observée pour la plupart des indices de diversité. Cependant, on remarque une différence non négligeable de richesse (Richesse observée et Chao2) entre la formation adjacente et la carrière (Figure 5).
Concernant la régénération naturelle, la richesse ne diffère pas significativement entre les deux écosystèmes (W=71, p=0,34, Figure 6). On compte 60 espèces au niveau des carrières contre 69 dans les formations naturelles. La régénération de la végétation des carrières est dominée par Pericopsis laxiflora (15,6%) et Daniellia oliveri (13,7%). Celle des formations naturelles adjacentes est bien représentée par les espèces Daniellia oliveri (19,0%) et Vitellaria paradoxa (10,4%).
Diversité de Shannon et Equitabilité de Pielou
Les valeurs de l’indice de Shannon sont similaires entre les deux écosystèmes. Elle est de 3,44 bits au niveau des sites de référence et de 3,33 bits dans les carrières (Figure 7a).
La valeur de l’Equitabilité de Pielou non plus ne diffère pas significativement entre les deux types d’écosystèmes (β=0,05 ± 0,19; p=0,78, Figure 7b). Ces valeurs montrent une répartition plus ou moins régulière des plantes au niveau des deux écosystèmes. Comme l’indique le diagramme Rang-Fréquence (Figure 8), les courbes montrent pratiquement la même allure. Mais une légère différence se dégage en termes de distribution (abondance relative). Au niveau des sites de référence, on observe la prédominance des espèces d’arbres telles que Daniellia oliveri (11,1%), Vitellaria paradoxa (8,75%) et Isoberlinia doka (7,41%). Par contre, les espèces d’arbres telles que Piliostigma thonningii (11,7%), Hannoa undulata (10,1%) et Daniellia oliveri (9,77%) prédominent les carrières.
Similarité floristique entre carrières et sites de référence
On remarque en général une forte similarité floristique entre les carrières et les sites de référence. Dans l’ensemble, la proportion de richesse partagée entre les carrières et sites de référence varie de 50% à 98%. La proportion de richesse partagée entre une carrière et son site de référence adjacent varie de 50% à 90%.
DISCUSSION
La présente étude a évalué l’effet des carrières abandonnées sur la diversité des communautés végétales. L’étude a testé l’hypothèse selon laquelle les carrières abandonnées améliorent la biodiversité locale. Plus explicitement, l’étude a supposé que l’exploitation des carrières crée de nouvelles niches variées en modifiant la qualité de l’habitat pour offrir une diversité meilleure que celle de l’écosystème d’origine. Contrairement à ce qui est espéré, les résultats montrent que la richesse en espèces (adulte et régénération) et la diversité de Shannon ainsi que la régularité ne diffèrent pas significativement entre les carrières abandonnées et les sites de référence. Une première explication à ce résultat est la limitation de la création de nouvelles niches variées après abandon des carrières exploitées. Selon l’hypothèse d’hétérogénéité de l’habitat, cette limitation serait liée à une faible hétérogénéité spatiale et temporelle des sites excavés (Cramer et Willig, 2005; Hamm et Drossel, 2017; Tews et al., 2004; Yang et al., 2015). Nos observations directes sur le terrain supportent cette explication vu que seulement quelques dépôts de sédiments et points d’eaux ont été constatés par endroit. D’autres études expliquent cette convergence de diversité par un parallélisme de différenciation de niches entre les deux écosystèmes (Colinvaux, 1993; Germano et al., 2016; Hutchinson, 1959). Tout comme la richesse en espèces, le nombre de familles recensées ne diffère pas non plus entre les carrières et les sites de référence. Les deux écosystèmes sont largement représentés par la famille des Fabaceae. Ce résultat n’est pas surprenant vue que la famille des Fabaceae est la plus diversifiée et la plus représentée dans la flore du Bénin (Neuenschwander et al., 2011; Assèdé, 2014). La similarité floristique entre les deux écosystèmes traduit par ailleurs une dynamique progressive de la végétation des sites excavés vers un écosystème relativement stable et proche des sites de référence. En effet, selon l’écologie des carrières, la succession spontanée débute quelques temps après l’abandon du site exploité et évolue suivant un modèle continu et progressif caractérisé par le remplacement de la communauté pionnière par une communauté arbustive relativement stable (Gilardelli et al., 2016, 2015; Huston, 2014; Sourisseau et al., 2017).
Bien qu’il ait une convergence en termes de diversité, les résultats montrent que les deux écosystèmes présentent quelques différences en termes de composition en espèces et d’abondance (abondance relative) des espèces. Ces différences sont liées au processus de changement de la structure des communautés dans le temps (Meeûs et al., 2018) sous l’influence des caractéristiques abiotiques des sites exploités (Alday et al., 2011; Prach et al., 2016). En effet, l’exploitation des carrières modifie la topographie, la géologie, les activités microbiennes et la composition physico-chimique du sol sur les sites excavés affectant par la suite la structure des communautés (Simón-Torres et al., 2014; Chenot-Lescure and Lescure, 2019; Simón-Torres et al., 2014). En supposant une relation linéaire (y=x) entre la richesse de la carrière et celle de son site de référence, il a été possible de remarquer que quatre des seize carrières abandonnées étudiées sont plus riches que leurs sites de référence. Cette particularité peut s’expliquer par la qualité (l’hétérogénéité) exceptionnelle de ces habitats abandonnés et les processus clés de coexistence des espèces tels que la facilitation (Connell and Slatyer, 1977) et la différentiation de niches (Hurtt and Pacala, 1995; Kang et al., 2020,1995; Kang et al., 2020). Une autre explication possible est le fait que les quatre carrières se retrouvent sur un terrain plat (plateau) mais aussi le fait qu’elles soient marquées par une superficie modérée d’excavation. En effet, la diversité est généralement plus élevée sur les plateaux vu qu’ils sont généralement caractérisés par des écosystèmes peu sélectifs offrant des conditions favorables à l’installation et au développement des espèces (Assédé et al., 2015; Bondé et al., 2013). Sur la base de l’Hypothèse de Perturbation Intermédiaire (Chave, 2002; Collins et Glenn, 1997; Connell et Slatyer, 1977; Sheil et Burslem, 2003) on peut dire qu’une petite ou large superficie d’excavation limiterait la diversité car la première encouragerait l’exclusion compétitive et la deuxième conduirait à une diminution profonde de la qualité de l’habitat. En revanche, avec une superficie modérée, les faibles et forts compétiteurs vont coexister, ce qui va augmenter la diversité. Nos données supportent la théorie en montrant une richesse maximale au niveau intermédiaire de superficie.
Ce résultat témoigne par ailleurs de l’importance des carrières abandonnées dans l’amélioration de la biodiversité locale et confirme dans une certaine limite l’hypothèse que l’excavation en carrières pourrait améliorer la biodiversité. L’hypothèse pourrait être mieux supportée si les données sur la composition physico-chimique, topographique et géologique des carrières et leurs sites de référence étaient disponibles. Néanmoins, il a été prouvé dans la littérature qu’une carrière abandonnée offre dans le temps des niches propices à un nombre considérable d’espèces autrefois absentes dans le milieu (Benes et al., 2003; Bétard, 2013; Lucas et al., 2014; Ngongolo and Mtoka, 2013).
La richesse de 55 espèces observée dans les carrières dans notre étude est largement inférieure à celle trouvée par Aïtondji et al. (2015) au Bénin et qui est estimée à 457 espèces soit huit fois celle de notre étude. Par ailleurs, trois des espèces recensées dans les carrières sont menacées au Bénin et figurent dans la liste rouge de l’UICN. Ce nombre est très inférieur à celui observé par Trnková et al. (2010) et Aïtondji et al. (2015) qui sont respectivement de 10 et 13 espèces. Cette différence de statistiques s’explique certainement par la faible représentativité de la taille d’échantillonnage dans notre étude. La présente étude couvre seulement le Département du Borgou avec seulement 30 relevés dans les carrières alors que les autres couvraient le territoire national avec plus de relevés (125). Les valeurs de l’indice de diversité de Shannon (3,33 à 3,44 bits) sont relativement faibles par rapport aux valeurs maximales (5,78 à 5,95 bits) mais les valeurs de l’équitabilité (0,80 à 0,83) traduisent une bonne régularité. On peut dire qu’on est en présence d’une flore moyennement diversifiée. Ces valeurs sont relativement faibles par rapport à celles observées (Hi=4,54 à 6,56 bits et E=0,73 à 0,82) dans d’autres études sur les carrières abandonnées au Bénin (Aïtondji et al., 2015).
CONCLUSION
Cette étude a évalué la contribution des carrières abandonnées à la diversité floristique dans une zone de transition climatique au Bénin. Les résultats montrent une diversité floristique similaire entre les carrières abandonnées et les sites de référence. Ce résultat résulte probablement de la limitation de la formation des niches variées favorables à l’installation et au développement de nouvelles espèces sur les sites excavés au cours de la succession spontanée. Toutefois, le fait que certaines carrières abandonnées offraient une meilleure richesse comparativement à leurs sites de référence témoigne de l’importance de l’exploitation des carrières dans l’amélioration de la diversité. Une excavation modérée sur les plateaux serait bénéfique pour le maintien de la biodiversité. Si l’exploitation des carrières n’a pas significativement contribué à la diversité locale tel qu’espéré, elle a cependant induit des changements dans la composition en espèces et la structure des communautés. Pour une exploitation durable des carrières, cette étude formule les recommandations suivantes:
• Définir et orienter des projets de restauration vers les carrières largement exploitées, c’est-à-dire celles faisant l’objet d’une superficie exploitée de plus de 0,7 ha. Utiliser dans ce contexte des espèces autochtones adaptées aux sites exploités;
• Prendre majoritairement en considération les versants et les carrières abandonnées il y a plus de 10 ans dans la mise en œuvre des mesures de restauration;
• Sensibiliser les exploitants et propriétaires terrain sur la conservation de quelques espèces vulnérables comme Afzelia africana, Vitellaria paradoxa, et en danger comme Pterocarpus erinaceus;
• Sensibiliser les populations riveraines sur la protection des sites restaurées.
En perspective, il sera question de documenter les facteurs biotiques et abiotiques influençant la succession spontanée afin de définir des mesures efficaces de restauration des sites excavés. Par exemple, des études futures peuvent s’intéresser à l’effet de l’hétérogénéité spatiotemporelle des sites exploitées sur la diversité locale. Les facteurs comme la topographie, la géologie, la composition physico-chimique et l’activité microbienne du sol doivent être impérativement examinés si les moyens le permettaient.
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