Tourisme d’observation et éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis) au Campement de Nyonié, Gabon
DOI :
https://doi.org/10.5281/zenodo.10472176Mots-clés :
Tourisme d’observation, Loxodonta cyclotis, distribution spatiale, structuration sociale, Campement de Nyonié.Résumé
Les écosystèmes d'Afrique centrale abritent une importante biodiversité, dont l'éléphant de forêt (Loxodonta cyclotis), une espèce menacée. Le tourisme d'observation de la faune est une activité en plein essor dans la sous-région, mais il peut avoir un impact négatif sur les populations d'éléphants. Une étude a été menée au Campement de Nyonié, au Gabon, un site touristique situé en dehors des aires protégées. Les données ont été collectées par observations directes des éléphants à pied et en voiture tout-terrain. Les résultats montrent que les éléphants sont présents dans une zone large et continue autour du Campement de Nyonié. Leur activité se concentre au sud, près de la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué et à l'ouest, près de la côte. Les éléphants vivent en groupes matriarcaux, dirigés par des femelles âgées. Les résultats suggèrent que l'activité touristique du Campement de Nyonié n'éloigne pas les éléphants. Au contraire, elle pourrait même contribuer à leur conservation en favorisant la sensibilisation du public et en générant des revenus pour la protection de l'environnement. Les résultats de cette étude soulignent l'importance de la coopération entre les acteurs du tourisme et les autorités pour concilier la conservation de la biodiversité et le développement économique.
Mots clés: Tourisme d’observation, Loxodonta cyclotis, distribution spatiale, structuration sociale, Campement de Nyonié
Téléchargements
INTRODUCTION
Le Bassin du Congo est le second massif forestier sur terre après l’Amazonie (Doumenge et al., 2001; Grantham et al., 2020), abritant une importante biodiversité dont les espèces fauniques les plus emblématiques sont les grands mammifères tels que le chimpanzé (Pan troglodytes troglodytes), le gorille des plaines (Gorilla gorilla gorilla), la panthère (Panthera pardus), le buffle de forêt (Syncerus caffer nanus) et l’éléphant de forêt (Loxodonta cyclotis) (Brugière, 1998). Dans cette région, le Gabon est cité en exemple pour la préservation de son environnement encore globalement intact (Grantham et al., 2020). En effet, une partie importante du pays englobe 13 parcs nationaux en 2002 (~11% du territoire) et 20 aires protégées marines en 2017 (~26% de la zone économique exclusive) (Casale et al., 2017; De la pêche et al., 2004; Laurance, Alonso, et al., 2006).
Au Gabon, une augmentation de l’activité touristique est observée dans les parcs nationaux (Cloquet, 2013). Par exemple, l’observation des gorilles se fait dans le Parc national de Moukalaba Doudou, de la Lopé et de Loango (Laurance, Alonso, et al., 2006; Robbins, 2020; Takenoshita, 2015; Van Gils et al., 2019), les éléphants au Parc national de la Lopé et de Loango (Jędrusik et al., 2015; Jeffery et al., 2014; Laurance, Alonso, et al., 2006), les oiseaux migrateurs dans la Parc national d’Akanda (Sevidzem et al., 2020), les tortues Luth au Parc national de Pongara (Sounguet et al., 2004), les baleines et dauphins dans les aires marines protégées nouvellement crées (de Boer, 2010; Rosenbaum et Collins, 2006; Strindberg et al., 2020; Van Waerebeek et al., 2004; Weir et al., 2012).
Plusieurs études ont déjà montré que les activités anthropiques (y compris touristiques) ont un impact négatif physiologique et comportemental à court et à long terme sur la faune sauvage (Higginbottom, 2004). Ainsi, la proximité avec les activités anthropiques auraient des impacts négatifs immédiats tels qu'une augmentation de la fréquence cardiaque et de la température corporelle, une variation anormale hormonale, une alimentation perturbée, l’introduction de maladies, un habitat modifié, des collisions avec les véhicules touristiques, une modification de la distribution spatiale et de la structure sociale (Martin et Réale, 2008; Szott, 2020; Tablado et D’Amico, 2017; Trave et al., 2017). Les conséquences négatives à long terme pourraient conduire à la modification durable de la distribution spatiale et de la structure sociale, la baisse de la densité des populations, la perte de poids, une probabilité réduite de reproduction et une vulnérabilité élevée aux maladies (Archie et Chiyo, 2012; Blom et al., 2004; Foley et al., 2001; Gobush et al., 2008; Tingvold et al., 2013). Cependant, d’autres études ont également rapporté des impacts positifs des activités humaines sur la faune sauvage, généralement liés à une meilleure gestion des habitats et écosystèmes comme l'acquisition et l'utilisation (souvent exclusive) des zones touristiques protégées, l'investissement financier significatif dans la conservation, de meilleures pratiques de conservation (bonne utilisation des terres et gestion de la faune sauvage) en dehors des aires protégées, une meilleure éducation environnementale, information et sensibilisation (Abdoulaye et al., 2021; Ballantyne et al., 2011; Bateman et Fleming, 2017; Green et Higginbottom, 2000; Larm et al., 2018).
L’éléphant de forêt est une espèce emblématique fréquemment observée par les touristes au Gabon. Il occupe une place particulière dans les produits touristiques au Gabon (Moumaneix et Nkombe, 2017; Payen, 2014) et joue le rôle de «jardinier» des forêts, notamment à travers un mutualisme obligatoire de dispersion des graines de plusieurs espèces d’arbres dont Sacoglottis gabonensis (Ozouga), Autranella congolensis (Mukulungu), Balanites wilsoniana, Detarium macrocarpum, Drypetes gossweileri, Irvingia gabonensis (Andok), Irvingia grandifolia et Irvingia robur (Campos-Arceiz et Blake, 2011; White, 1994). Les déplacements des éléphants de forêt sont souvent influencés par des facteurs environnementaux tels que les saisons, la disponibilité en aliments et les points d’eau (Mills et al., 2018). Par ailleurs, l’éléphant de forêt demeure une espèce moins étudiée que celle de savane (Loxodonta africana) et d’Asie (Eléphas maximus), malgré le fait qu’elle soit actuellement très menacée et récemment classée «En danger critique» (Gobush et al., 2021; Zhongming et al., 2021). En effet, environ 62% de la population des éléphants de forêt a décliné entre 2002 et 2011, la moitié restante résidant au Gabon (Maisels et al., 2013). Ainsi, même si le Gabon offre encore un habitat quasi-continu avec plus de 80% de couvert forestier, de nombreuses menaces pèsent encore sur les éléphants de forêt: l’augmentation de la population humaine, la non-application de la réglementation en vigueur, la mauvaise gouvernance, le braconnage et la fragmentation de son habitat (Blake et al., 2008; Blake et al., 2007; Dublin, 2017; Hedges et Lawson, 2006; Maisels et al., 2013).
Ainsi, afin de développer le tourisme d’observation des éléphants, une meilleure compréhension de son écologie et une plus grande intégration des pratiques de la conservation (par exemple, sensibilisation des touristes et du personnel, diminution des pollutions sonores, lumineuses et des déchets solides, et une meilleure gestion des déchets organiques dans et autour des sites touristiques) sont nécessaires dans la gestion et le fonctionnement des sites touristiques (Buij et al., 2007; Gallet, 2010). À ce titre, le Campement de Nyonié, situé à environ 70 km au sud de la capitale Libreville sur la façade atlantique, est un des rares endroits au Gabon, en dehors des aires protégées, où il est possible d’observer des éléphants de forêt dans un site touristique.
Plus spécifiquement, la présente étude avait pour objectifs de:
• Déterminer la fréquentation touristique et les fréquences d’observation des éléphants sur les quatre circuits touristiques du Campement de Nyonié. Les circuits autour du Campement de Nyonié reçoivent depuis plusieurs années des touristes qui y observent régulièrement des éléphants. Cette information permettra d’associer les occurrences des éléphants avec les différents circuits du Campement de Nyonié.
• Cartographier les observations directes des éléphants autour du Campement de Nyonié. Cela permettra de mieux comprendre comment les éléphants se répartissent spatialement et de savoir quel élément du paysage ou activité anthropique serait associé à leur présence autour du Campement de Nyonié. En effet, l’activité des éléphants pourrait être influencée par le Campement de Nyonié, l’ancienne base IFK (Industrielle et Forestière du Komo) et la mosaïque de paysages autour du Campement de Nyonié.
• Décrire la structuration sociale (nombre, sexe, âge) des éléphants autour du Campement de Nyonié. Les éléphants étant des animaux pouvant former de grands groupes sociaux, les activités anthropiques pourraient modifier leur comportement (par exemple, devenir plus agressifs ou curieux). Ainsi, identifier les individus et décrire les groupes permettra de mieux prévoir et adapter les interactions (par exemple, les charges d’intimidation des individus agressifs) avec les touristes et le personnel dans les circuits touristiques du Campement de Nyonié.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Zone d’étude
Nyonié est une localité du Département du Komo Océan dans la province de l’Estuaire. Cette localité est située au sud de Libreville, sur la rive gauche de l’estuaire du fleuve Komo, entre le Parc national de Pongara et la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué, faisant face à l’océan Atlantique (Figure 1). Nyonié offre une grande variété de paysages (plateaux ondulés, dunes de sables, vallons, mosaïques forêt-savane, mangroves) et de biodiversité animale (par exemple, oiseaux, buffle de forêt, gorille des plaines, chimpanzé, panthère, sitatunga et éléphant de forêt) le long du littoral (Anderson et al., 2017). Les sols sont principalement sablonneux et le climat y est de type équatorial, caractérisé par la double alternance des saisons sèches (mi-décembre à mi-mars, puis de mi-juin à mi-septembre) et des saisons de pluies (mi-mars à mi-juin, puis de mi-septembre à mi-décembre).
Le Campement de Nyonié est une structure touristique de petite taille qui se situe presqu’à mi-chemin entre le Parc national de Pongara et la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué (00°02.380 S/009°20.437 E) (Figures 1, 3 et 7). L’accès, depuis Libreville, se fait par bateau, puis en voiture 4x4 sur une piste. Le Campement de Nyonié comprend une salle de séjours, un restaurant et une vingtaine de bungalows climatisés pour l’hébergement des touristes (Figure 2). L’activité touristique se pratique principalement sur quatre circuits (80, 74, 75, 34, 63, 45 et 12,7 km respectivement) qui traversent les différents types de paysages autour du Campement de Nyonié (Figure 3).
Activité touristique
L’activité touristique a été évaluée en comptant le nombre de touristes, en mesurant la distance parcourue (avec l’aide d’un récepteur GPS Garmin GPSmap 62S) et la durée des visites dans chacun des quatre circuits du campement de Nyonié (Figure 3).
Observation des éléphants
Les éléphants ont été observés avec des jumelles (Quechua, MH B560) pendant 49 jours (15 mars au 25 mai 2018) de façon directe en utilisant la méthode standard des transects de reconnaissance (RECCE) et les déplacements en voiture 4x4 pick-up Toyota Land cruiser, sur les quatre circuits touristiques du Campement de Nyonié. Afin de mieux identifier les éléphants et déterminer la composition des groupes, ils étaient photographiés avec un appareil photo numérique (Nikon D3100). L’analyse des photos prises s’est faite à l’œil nu. Ainsi, les caractères morphologiques suivants ont été utilisés pour décrire les éléphants : la forme des oreilles, la taille, la couleur et l’orientation des défenses, la queue, le bassin, les mamelles et le pénis (Figure 4). De plus, tout autre signe caractéristique (ex. cicatrices, forme et longueur des défenses, collier GPS) a été également utilisé pour compléter la description morphologique de chaque éléphant. Enfin, les coordonnées GPS de la localisation géographique de chaque individu ou groupe observé sur le terrain ont été enregistrées dans un récepteur GPS Garmin (GPSmap 62S).
Seuls les éléphants observés au moins deux fois ont été inclus dans la description de la structure sociale des groupes parce qu’ils sont plus représentatifs de leur comportement (de Silva et al., 2011; Schuttler et al., 2014).
Analyses statistiques et représentation cartographique
Le logiciel Ri386 3.5.1 (R Core Team, 2020) a servi à l’analyse statistique des données collectées sur le terrain; le test de Kruskal-Wallis a permis d’évaluer la différence entre les quatre circuits du Campement de Nyonié en termes de moyenne journalière du nombre d’éléphants observés de façon directe (à pied et en voiture 4x4). Le logiciel de cartographie ArcMap 10.1 (ESRI, 2012) a servi à l’élaboration des cartes.
RÉSULTATS
Activité des touristes
Tous les quatre circuits ont accueilli un total de 288 touristes, pour un total de 2568,3 km parcourue pendant 49 jours. Le plus grand nombre de touristes (n = 154) et de distance parcourue (d = 1497,5 km) ont été enregistrés dans le circuit 2 (Tableau 1).
La moyenne journalière la plus élevée du nombre de touristes a été enregistrée dans le circuit 3 (n = 8,89 ± 2,98), alors qu’elle était la plus faible dans le circuit 4 (n = 3 ± 2,41) (Figure 5). Il y avait une différence significative en termes de nombre moyen journalier de touristes entre les quatre circuits (X2=14,547; p-value = 0,002248). Après correction de Bonferroni, les différences significatives étaient entre les circuits 2 et 4 (W = 172,5; p-value = 0,0035), et 3 et 4 (W = 93; p-value = 0,00097) (Figure 5).
Observation des éléphants
Le nombre total d’éléphants observés dans les quatre circuits du Campement de Nyonié était de 427 en 49 jours d’observation. Le circuit 3 a enregistré la moyenne journalière la plus élevée (n = 12,9 ± 6,051) du nombre d’éléphants observés, alors que le circuit 4 a enregistré la plus petite (n = 0,91 ± 1,22) (Figure 6). Il y avait une différence significative en termes de nombre d’éléphants observés entre les quatre circuits (X2 = 23,0; p-value = 3,992e-05). Après correction de Bonferroni, il y’avait une différence significative entre les circuits 1 et 4 (W = 99; p-value = 0,00017), 2 et 4 (W = 194, p-value = 1,944e-05) et 3 et 4 (W = 99, p-value = 0,00017) (Figure 6).
Répartition spatiale des observations directes d’éléphants
La répartition spatiale des observations directes d’éléphants était quasi similaire pendant les 49 jours de la durée de la présente étude: les éléphants étaient présents principalement au sud-est du Campement de Nyonié (proche de la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué), à l’ouest proche de la côte et immédiatement au nord du Campement de Nyonié (Figure 7). Cependant, en comparant les mois d’observation des éléphants, il y avait des différences en termes de superficie de la zone dans laquelle des éléphants ont pu être observés et de composition des groupes d’éléphants. Au mois de mars, la superficie de la zone dans laquelle des éléphants ont pu être observés autour du Campement de Nyonié était de 102,6 km2. La plupart des éléphants ont été observés au sud-est du Campement de Nyonié (n = 47), à l’ouest proche de la côte (n = 24), et immédiatement au nord du Campement de Nyonié (n = 8). Pendant ce même mois, deux éléphants ont été observés à l’est de la zone (y compris un éléphant retrouvé mort attaché à la patte par un piège métallique), près de la commune de Nzomo (Figure 7a). Au mois d’avril, la superficie de la zone dans laquelle des éléphants ont pu être observés était de 70,3 km2. La plupart des éléphants ont été observés à l’ouest (se rapprochant du Campement de Nyonié) (n = 58) et au sud du Campement de Nyonié (n = 23) (Figure 7b). Au mois de mai, la superficie de la zone dans laquelle des éléphants ont pu être observés était de 73,5 km2. La plupart des éléphants ont été observés à l’ouest près de la côte (n = 25), au sud-est du Campement de Nyonié (n = 22), et immédiatement au nord du Campement de Nyonié (n = 18) (Figure 7c).
Structuration sociale
La présente étude a permis d’identifier et de décrire un total de 427 éléphants différents observés au moins une fois autour du Campement de Nyonié. Cependant, l’étude de la structuration sociale n’a été faite que sur un total de 61 éléphants (comprenant sept mâles solitaires et 12 groupes) (Tableau 2) observés au moins deux (2) fois pendant la durée de l’étude (de Silva et al., 2011; Schuttler et al., 2014). Les plus grands nombres de groupes (n = 5), de femelles (n = 14), et d’éléphanteaux (n = 7) ont été observés en mai. Le plus grand nombre de jeunes (n = 7) a été observé en avril (Tableau 2).
DISCUSSION
Les résultats de la présente étude montrent que l’activité des éléphants est plus importante au sud (circuits 1, 2, et 3) qu’au nord (circuit 4) du Campement de Nyonié. Le circuit 4 se trouve à environ sept (7) kilomètres au nord du Campement de Nyonié, dans la base IFK (Industrielle et Forestière du Komo) (Figure 1) ; c’est un ancien campement forestier cédé à l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN). De plus, ce circuit 4 est en partie située sur la principale voie d’entrée au village de Nyonié où il y a une vingtaine de maisons juste avant le Campement de Nyonié. Par ailleurs, les zones nord et est du Campement de Nyonié sont caractérisées par l’existence de nombreux villages et une activité de chasse illégale (observation personnelle). Plus spécifiquement, l’activité de chasse illégale serait plus fréquente autour de la base-vie IFK de l’ANPN car nous y avons observé des signes d’activités de chasse tels que des cartouches de fusil usées. En outre, à l’est du Campement de Nyonié, il est régulièrement rapporté des cas de conflits Homme-éléphant auprès de l’ANPN, du Maire de la commune de Nzomo, du préfet du Département du Komo-océan et du Gouverneur de la Province de l’Estuaire. En effet, le conflit Homme-Faune est devenu une préoccupation majeure au Gabon (Gemeda et Meles, 2018; Moumaneix et Nkombe, 2017; Ndong, 2017; Nguinguiri et al., 2017; Nzamba et Zé, 2020; Rakotonarivo et al., 2021; Terada et al., 2021). Par exemple, non loin de là, un jeûne mâle éléphant fût retrouvé mort, à la suite du braconnage, le 21 mars 2018 (observation personnelle). Toutes les raisons énoncées ci-dessus font que l’observation des éléphants dans le circuit 4 nécessitait un plus grand effort de recherche.
Les résultats de la présente étude pourraient aussi s’expliquer par le fait que l’observation des éléphants étant une des raisons principales d’exister du Campement de Nyonié, les visites dans les différents circuits ont été optimisées pour permettre aux visiteurs de voir le plus grand nombre possible d’animaux. Ainsi, le choix du circuit à parcourir était fait de façon rotative pour permettre aux touristes de voir le maximum de paysages et d’animaux différents possibles lors d’un séjour qui durerait en moyenne environ deux jours. Ainsi, le plus grand nombre moyen de touristes, les plus grandes distances moyennes parcourues et durées étaient enregistrés dans les circuits 1, 2, et 3 immédiatement au sud du Campement de Nyonié. En effet, c’est dans cette zone qu’il y avait une plus grande chance de rencontre des éléphants. Cette plus grande fréquence de rencontre des éléphants dans les circuits 1, 2, et 3 s’expliquerait par l’existence d’une plus grande étendue de mosaïques forêt-savane au sud du Campement de Nyonié, avec notamment des grandes savanes où les éléphants passent beaucoup de temps le matin et au coucher du soleil en saison des pluies (Mills et al., 2018). En outre, les safaris fréquents à pied ou en voiture 4x4 joueraient un double rôle de patrouilles qui quadrillent cet espace et limite les activités menaçant la biodiversité. L’occupation spatiale des éléphants autour du Campement de Nyonié conforte cette assertion. La proximité des éléphants avec le Campement de Nyonié à l’ouest et nord-ouest pourrait aussi s’expliquer par la recherche des mangues (Mangifera indica L.) dans le village de Nyonié, comme similairement montré par des études dans le complexe des aires protégées de Gamba (Buij et al., 2007; Ngama et al., 2018).
De façon globale, les aires protégées de Pongara et de Wonga-Wongué joueraient aussi un rôle protecteur envers les éléphants grâce aux missions fréquentes scientifiques et de surveillance des écogardes de l’ANPN. En effet, la présence régulière des éléphants à l’ouest le long de la côte et au sud près de la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué confirmerait l’existence d’une zone d’importance pour les éléphants jusqu’au Parc national de Pongara plus au nord. De plus, la zone de Nyonié présente un ensemble d’éléments du paysage (bosquets, forêts galeries et savanes) qui favoriseraient la connectivité entre ces deux aires protégées (Clergeau et Désiré, 1999; van Rensburg et al., 2000). Les éléphants, lors de leurs déplacements, sont connus pour passer beaucoup de temps en forêt et n’utilisent les savanes, les clairières et les bosquets que pour aller d’un endroit à un autre (Vanleeuwé et Gautier‐Hion, 1998).
En outre, l’étude des éléphants autour du Campement de Nyonié a montré une structure sociale matriarcale, avec des femelles âgées qui orienteraient les différents groupes selon la localisation géographique des menaces et les ressources alimentaires disponibles (McComb et al., 2001; McComb et al., 2011; Momont, 2007). Les groupes étudiés étaient composées de femelles, de juvéniles et d’éléphanteaux. Tous les groupes autour du Campement de Nyonié avaient au moins un éléphanteau, suggérant que le niveau d’activité touristique ne compromettrait pas leur présence dans la zone (Laurance, Croes, et al., 2006; MacCarthy, 2018). Cependant, avec l’exception d’un mâle qui a été observé près d’un groupe pendant quelques jours, tous les autres mâles ont été observés loin des groupes. Ce comportement reflèterait celui de populations naturelles en l’absence de toute perturbation (Evans et Harris, 2008; Hollister-Smith et al., 2007; Schuttler et al., 2014), confirmant le caractère compatible des activités touristiques avec celles des éléphants autour du Campement de Nyonié.
Cependant, les données collectées lors de cette étude ne permettent pas une description détaillée et complète des flux d’éléphants entre la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué et le Parc national de Pongara. En effet, la technique et la méthodologie utilisées pour collecter les données d’observation des éléphants et la durée de l’étude ne sont pas appropriées pour informer à cet effet. L’observation des éléphants telle que réalisée dans la présente étude a été optimisée à des fins touristiques, ne renseignant pas directement sur une estimation de l’abondance et de la distribution géographique réelle des éléphants dans la région de Nyonié. De plus, l’étude s’étant déroulée en saison des pluies, les tendances obtenues sont certainement différentes de celles rencontrées en saison sèche ou pendant une autre période de l’année.
CONCLUSION
La présente étude suggère que l’activité touristique du Campement de Nyonié n’aurait pas d’impact négatif sur celle des éléphants dans cette zone entre la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué et le Parc national de Pongara. Ici est donc mis en lumière la compatibilité et la complémentarité d’une activité économique, en l’occurrence le tourisme d’observation, avec la conservation de la biodiversité. Le développement de ce secteur d’activité sur tout le territoire contribuerait à la croissance économique du Gabon, permettant l’intégration des entreprises privés, des populations locales et de l’ANPN dans la valorisation de la nature et la conservation de la biodiversité. Cependant, pour les études ultérieures, il serait judicieux de compléter la collecte des données avec l’utilisation des pièges photographiques, des colliers émetteurs, l’observation des signes de présence des éléphants tels que les fèces, les restes alimentaires et les empreintes à différentes périodes de l’année. En outre, la méthodologie de collecte des données sur le terrain pourrait également être améliorer en procédant à un échantillonnage systématique ou stratifié couvrant toute l’aire géographique entre la Réserve présidentielle de Wonga-Wongué et le Parc national de Pongara.
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