Enquête Ethnopharmacologique sur l’usage traditionnel de l’Aneth (Anethum graveolens L.) dans le Nord-Ouest de la Tunisie

Résumé

Située à la croisée des sciences d’Homme-Nature, l’ethno-pharmacologie est une discipline qui s’intéresse aux médecines traditionnelles dont l’objectif est la recherche de nouveaux traitements de demain. Dans ce cadre, nous avons mené une enquête ethno-pharmacologique sur l'utilisation traditionnelle de l’Aneth (Anethum graveolens L.) dans quelques régions de Nord-Ouest de la Tunisie pour examiner les connaissances des Tunisiens concernant son usage pour se soigner et pour lutter contre les maladies. Une fiche d’enquête a été préparée avec deux rubriques dont la première s’intéresse au profil de l’enquêté (âge, sexe, niveau d’étude) et la deuxième a été consacrée à l’identification et à l’usage de la plante choisie (les parties utilisées, les maladies traitées et les modes de préparations et d’administration). Les données obtenues ont révélé que l’Aneth est utilisé comme remède thérapeutique pour le traitement de diverses pathologies, essentiellement les troubles digestifs (40,7%). L’enquête a également révélé dans la partie mode de préparation que les enquêtés l’utilise comme aliment (50,9%) suivis par l’infusion et la décoction de (24,7% et 23,7%, respectivement). La partie la plus utilisée selon eux est la feuille (29,2%) alors que le mode d’administration est essentiellement oral (97,1%). En conclusion, les informations obtenues des habitants des régions de Tabarka, Bou Salem et Nefza à propos de cette plante médicinale et aromatique sont intéressantes pour une éventuelle innovation thérapeutique. Elles pourraient être une base de données pour des évaluations pharmacologiques et expérimentales ultérieurs pour explorer les potentialités curatives de cette plante.

Mots clés: Ethno-pharmacologie, Médecine traditionnelle, Aneth, Enquête, Tunisie

INTRODUCTION

La réalisation d’un programme d’ethno-pharmacologie dans une région particulière se déroule en trois temps: un travail de terrain destiné à recenser les savoirs thérapeutiques des espèces végétales, un travail en laboratoire visant l’évaluation de l’efficacité d’un extrait de plante sur des modèles animaux ou des cultures cellulaires et enfin le retour vers le terrain pour transformer les remèdes traditionnelle délaissés comme agents thérapeutiques et un développement durable (Fleurentin, 2012).

Grâce à sa diversité floristique et climatique, la Tunisie dispose de 180 espèces typiquement médicinales et aromatiques (Le Floch, 1983). L’espèce Anethum graveolens L. est utilisée comme source mondiale d’épices et d’extraits à qualité médicale intéressante (Sohal et al., 2002). Cette herbe alimentaire est cultivée dans l’Europe, l'Asie, croît dans la région méditerranéenne et maintenant cultivée dans le monde entier (Tian et al., 2011).

L’Aneth préfère un sol bien drainé, le plein soleil et tolère un pH compris entre 5,3 et 7,8. En raison de ses propriétés aromatiques, elle est utilisée pour aromatiser et pimenter divers aliments tels que les cornichons, les salades, les sauces et les soupes (Shekhawat et Jana, 2010).

Grâce à ces propriétés biologiques, écologiques, pharmacologiques et économiques de l'Aneth, noua avons initié ce travail de recherche dont l’objectif est de déterminer son intérêt thérapeutique qui peut contribuer aussi à définir son spectre d’activité et son potentiel comme sources de médicaments.

Dans la présente étude, nous nous sommes intéressés à la réalisation d’une enquête ethno-pharmacoloqique sur l’utilisation traditionnelle de l’Aneth (Anethum graveolens L.) dans les régions de Tabarka, Bou Salem et Nefza (Nord-Ouest Tunisien).

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Choix de la région

Nous avons choisi quelques régions du Nord-Ouest de la Tunisie, à savoir Tabarka, Bou Salem et Nefza en raison de leur richesse en plantes aromatiques et médicinales en l’occurrence l’Aneth (Figure 1).

• Tabarka a un climat tempéré chaud, température moyenne annuelle de 16,9 °C et précipitations annuelles moyennes en moyenne 1099 mm.

• Bou Salem a un climat de steppe, température moyenne annuelle de 17,7 °C et précipitations annuelles moyennes en moyenne 466 mm.

• Nefza a un climat chaud et tempéré, température moyenne annuelle de 17,7 °C et précipitations annuelles moyennes en moyenne 825 mm.

Élaboration de l’enquête

Le formulaire du questionnaire de l’enquête se divise en deux rubriques avec la première portant sur l’identification de la personne interrogée (sexe, âge, niveau d’étude) et la deuxième concerne l’identification et l’utilisation de la plante (Mode de préparation, mode d’administration, pathologies traitées, effets secondaires de l’Aneth…). Ces informations sont nécessaires pour mieux connaître les vertus médicinales et les bienfaits pour la santé de l'Aneth.

La collecte des réponses

Pour réaliser notre enquête, nous avons préparé 100 formulaires. D’abord, nous avons commencé par se présenter à l’aide d’un badge pour instaurer une confiance avec l’informateur tout en indiquant la durée de l’entretien et présenté les objectifs de notre travail. Par la suite, nous avons fait une sorte de sélection des personnes à interroger selon leurs bonnes connaissances de la plante, principalement sur l’utilisation traditionnelle de l’Aneth pour des fins thérapeutiques. Pour ce faire, le choix s’est porté sur les personnes âgées, les mères et les agriculteurs. L’entretien s’est passé à leur domicile, dans les marchés ou dans les marchés hebdomadaires (Souk). L’écoute active nous a permis d’avoir des informations supplémentaires, dont ceux que nous avons considéré comme intéressantes et d’autres non, mais à force de ne pas démotiver les interrogés nous les avons pris en compte quand même. Une fois que nous avons débuté la conversation, nous avons commencé à remplir le formulaire.

Traitement des données

La préparation du questionnaire ainsi que la saisie des données ont été effectuées à l'aide du logiciel Sphinx alors que le traitement des résultats était analysé par Excel.

RÉSULTATS

Le questionnaire mené dans quelques régions du Nord-Ouest de la Tunisie a montré que l’Aneth (Anethum graveolens L.) est bien utilisé en médecine traditionnelle pour l’amélioration du fonctionnement du tractus gastro-intestinal.

Répartition des enquêtés selon le sexe

Près de 50 % des personnes étudiées étaient des femmes (57 %) par rapport aux hommes (43 %), comme l’indique la figure 2.

Répartition des enquêtés en fonction de la tranche d’âge

La majorité des personnes interrogées étaient âgées entre 50 et 70 ans (49%). A noter que les extrêmes d’âges variaient entre 20 et 90 ans comme l’indique (Figure 3).

Niveau d’étude

Le niveau d’étude de la population qu’on a choisi varie entre 28% de la population était universitaire et 72% restante se répartissaient entre une scolarisation: primaire (12%), secondaire (18%) et la majorité (42%) des interrogés étaient analphabètes (Figure 4).

La partie utilisée

La partie la plus utilisée selon les enquêtés est la feuille (49,2%) ou bien la plante entière (44,0%), suivis par les fruits (5,22%) et à parts égale pour les fleurs et autres telles que la tige (0,74%) (Figure 5).

Stade de cueillette

Selon les populations de Tabarka, de Bou Salem et de Nefza (97 %), différentes parties de l’aneth sont utilisées à l’état mature (Figure 6).

État d’utilisation

La majorité des personnes interrogées se sont servis d’aneth frais (95,1 %) (Figure 7).

Mode de préparation

L’enquête révèle trois modes de préparation dont le principal est l’alimentation (50,9%), suivis par l’infusion et la décoction de (24,7% et 23,7%, respectivement). On mentionne que les femmes interrogées ont confirmé l’utilisation de l’aneth dans différentes recettes traditionnelles et modernes comme les soupes, Couscous, salades et tisanes (Figure 8).

Mode d’administration

Selon les enquêtés, l’administration de l’Aneth se fait principalement par voie orale (97,1 %) (Figure 9).

Usage traditionnel et médicinal de l’Aneth

L’Aneth est majoritairement utilisé par les interrogés pour les troubles digestifs (40,7%), suivis par états grippaux (20,8%) aussi bien que le traitement du diabète (20,3%), de l’hyperlipidémie (14,3%) et comme stimulante hormonale (2,59%). Les interrogés mentionnent également que l’aneth sert à traiter les problèmes rénaux et les douleurs osseuses (1,29 %) (Figure 10).

Fréquence d’utilisation

La plupart des interrogés utilisaient l’Aneth d’une façon modérée soit (88%) (Figure 11).

Degré de satisfaction

La majorité des enquêtés (65%) était très satisfaite et 35% satisfaite après l’essai de l’Aneth et aucune personne n’était peu satisfait ou bien déçue (Figure 12).

Source de l’information sur la plante

La majorité des interrogés (90%) ont eu l’information à travers les expériences des autres par rapport et 6% à partir de la lecture alors que 4% l'ont eu à travers l'internet (Figure 13).

Raison de la phytothérapie

Selon les interrogés, 46,3% mentionnaient que la phytothérapie par Anethum graveolens L. est meilleure que la médecine conventionnelle à base de molécules synthétiques soit en raison de son efficacité (44,1%) ou de son faible coût (9,60%) (Figure 14).

DISCUSSION

Notre travail a permis de collecter des informations sur l’utilisation traditionnelle de l’Aneth (Anethum graveolens L.) grâce à l’enquête ethno-pharmacologique réalisée sur le terrain avec les populations de Tabarka, Bou Salem et Nefza.

La méthode suivie a consisté à collecter des données à l’aide de fiches questionnaires dont on a pu constater que parmi les informateurs les femmes (57%) sont plus connaisseuses et expertes par rapport à cette plante. En effet, la majorité d’entre eux l’utilise dans la cuisine dans différentes recettes pour aromatiser et assaisonner divers aliments, ce qui est en accord avec le travail de Shekhawat et Jana (2010). L’âge médian des interrogés se situe entre 20 et 90 ans.

Le questionnaire a révélé que l’Aneth est utilisé essentiellement en médecine traditionnelle pour le traitement des pathologies du système digestif pour soulager les coliques chez les bébés et les flatulences chez les jeunes enfants. Nos résultats corroborent avec ceux établis par Talebi et al. (2020) qui a rapporté que la plante est bénéfique pour les problèmes gastro-intestinaux tels que les vomissements, les problèmes menstruels, les coliques néonatales et l’hyper-triglycéridémie (Mirhosseini et al., 2014). Parmi les diverses actions pharmacologiques de l’Aneth est son action antidiabétiques (Panda, 2008). Le questionnaire a également dévoilé que l’Aneth joue un rôle efficace dans la libération d’ocytocine donc de la contraction des muscles utérins (Naseri et al., 2012) et la diminution de l’hémorragie post-partum (Mahdavian et al., 2001).

D’après les fiches questionnaires, les principaux modes d’utilisation de préparation on note l’alimentation (50,9%), l’infusion (24,3%) et la décoction (23,7%). Il faut noter que la partie la plus utilisée selon les enquêtés est la feuille (49,2%) ou bien la plante entière (44,0%). Concernant le mode d’administration de la plante, la voie orale est la plus fréquente (97,1%). En effet, d’après Shekhawat et al., (2010), les feuilles, les tiges et les racines de l’Aneth sont riches en tanins, terpénoïdes, glycosides cardiaques et flavonoïdes. Des études ont démontré que les graines de l’Aneth possèdent une activité antioxydante contre certaines affections gastro-intestinales (Hossein et al., 2002) et peut aider à prévenir l’ulcère gastro-duodénal (Hosseinzadeh et al., 2002).

Enfin, grâce à cette enquête l’Aneth peut garantir sa candidature ou sa place dans l’innovation thérapeutique en tant qu'alternative naturelle et biologique par rapport aux médicaments synthétiques et leurs effets secondaires d’où son rôle en phytothérapie. Pour cela, la démarche ethno-pharmacologique ouvre le chemin à l’étape de laboratoire où on pourrait mettre en évidence des preuves scientifiques sur les propriétés biologiques et les qualités médicinales de l'aneth à la fois sur la santé de l’homme que sur celle des animaux d’élevage.

CONCLUSION

A la lumière de cette étude, et par le raisonnement ethnopharmacologique, nous avons pu déterminer que l’Aneth est largement utilisé à la fois en cuisine et en médecine traditionnelle par les habitants de Tabarka, Bou Salem et Nefza. Ces derniers, ont confirmé qu’elle est bénéfique sur de nombreux systèmes corporels principalement le système gastro-intestinal en tant qu'alicament. Les résultats obtenus pourraient être une base de données intéressante pour de futures études d’évaluation dans le domaine de la pharmacologie, de la phytochimie et de la biochimie. Cela contribuera à l’identification de nouvelles molécules et/ou au développement de nouveaux médicaments à partir de cette plante tout en testant l’efficacité et/ou l’innocuité de ces substances bioactives et étudier leurs activités biologiques in vivo et in vitro.

RÉFÉRENCES

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