Effets de la dynamique de la végétation sur le rythme d’envasement et la disponibilité de l’eau dans le barrage Makhazine (Maroc)

Auteurs-es

  • O. BASSAIRATE Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc
  • M. CHIKHAOUI Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc
  • M. NAIMI Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc
  • M. SABIR École Nationale Forestière d'Ingénieurs, Salé, Maroc

Résumé

Ce papier décrit le modèle D-RUSLE (Dynamic Revised Universal Soil Loss), une version modifiée de RUSLE classique, qui prend en compte les variations de l'érosivité des pluies et de la couverture des sols, pour fournir des estimations plus précises de l'érosion potentielle des sols. Dans l’objectif de modéliser avec plus de précision le taux potentiel d'érosion des sols à l'échelle du bassin versant du Loukkos (~1619ha), nous avons réalisé un suivi spatiotemporel de l’érosivité des pluies et de la dynamique de la végétation pour deux périodes (1999-2008) et (2008-2013). En particulier, nous avons utilisé des séries chronologiques de NDVI, dérivées des données satellitaires multi temporelles pour calculer le facteur C de couverture du sol. En intégrant le facteur C estimée de cette manière dans le modèle D-RUSLE, nous avons estimé de manière détaillée et fiable la perte potentielle en sol et les variations saisonnières à long terme de la couverture terrestre. Les résultats montrent que la dégradation spécifique moyenne dans le bassin versant du Loukkos est estimée à 22,56 t/ha/an pour la première période (1999-2008) et à 40,58 t/ha/an pour la deuxième période (2008-2013), avec un taux de délivrance (SDR) de 22,19 %. Ils soulignent également que la quantité de sédiments délivrée au réservoir du barrage est considérée comme élevée par rapport aux valeurs bathymétriques observées de 20,05 t/ha/an et 38,44 t/ha/an respectivement pour la première et la deuxième période.

Mots clés: Envasement, Taux de délivrance, Modélisation, D-RUSLE, Télédétection, Dynamique de la végétation

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INTRODUCTION

L'érosion des sols est la principale cause de la dégradation des terres et prend de plus en plus de l'ampleur dans plusieurs pays du monde. Il s’agit d’un phénomène naturel qui représente un sérieux problème environnemental et économique et ne cesse de croître avec les activités anthropiques telles que les pratiques agricoles inappropriées, la surexploitation de l'espace forestier, le surpâturage, le défrichement, la construction des routes et bâtiments, en plus du changement climatique. Ainsi, l’érosion entraîne une réduction de la productivité des sols par l’entraînement du matériel fertile, l’amincissement du solum et la sédimentation en bas de pente. Les impacts de l’érosion ne se limitent pas aux sols, en effet les hydrosystèmes, réceptacles des matières érodées, peuvent être dégradés à cause de la turbidité, de la sédimentation et des apports de nutriments et de pesticides.

Les relations entre les pluies et la croissance de la végétation ont fait l’objet de nombreuses études à différentes échelles spatio-temporelles (Angulo-Martínez & Begueria, 2009). Durant la saison des pluies, le cycle végétatif répond significativement aux variations pluviométriques (Alexandridis et al., 2015). Les variations intra saisonnières et interannuelles ont des impacts sur la dynamique de la végétation naturelle.

Le couvert végétal joue un rôle majeur dans le processus de l’érosion hydrique et dans l’atténuation de ses effets. Il peut agir sur l’érosion de deux manières différentes ; d’une part, il peut empêcher l’érosion de se produire, et d’autre part, il peut retenir les sédiments érodés à l’amont.

Une couverture végétale est en effet plus efficace en absorbant l'énergie cinétique des gouttes de pluie, en couvrant une grande partie du sol pendant les périodes où les pluies sont les plus agressives et en ralentissant le ruissellement. Elle peut aussi jouer un rôle de régulation thermique en atténuant les écarts quotidiens de températures (Alexandridis et al., 2015), réduisant ainsi les effets de la gélifraction.

Au cours de ces dernières années, des images satellitaires multispectrales ont été utilisées pour détecter les caractéristiques de l'érosion et les zones érodées ou les conséquences de l’érosion (Layadi, 2014). La cartographie de la couverture terrestre est un élément fondamental pour la modélisation de l'érosion hydrique des sols, car les différentes utilisations de terre ont un effet protecteur variable vis-à-vis de l'érosion, en particulier la végétation naturelle (Layadi, 2014).

Les images de télédétection sont aujourd’hui largement utilisées pour cartographier l’occupation et l’utilisation du sol et pour analyser la dynamique spatio-temporelle de la végétation (Gianinetto et al., 2019). Elles offrent la possibilité de mesurer et de suivre de manière systématique l’état des couverts végétaux à différentes échelles spatiale et temporelle. Parmi les informations que l’on peut extraire des images satellitaires, les indices de végétation, construits par combinaison des valeurs de réflectance dans des bandes spectrales caractéristiques de la végétation (Layadi, 2014).

Une fois cartographiée, la végétation se voit attribuer un effet d'abri, en fonction de son type ou sur la base d'un indice de végétation. Le principal avantage de l'utilisation des données de télédétection dans les études sur l'érosion des sols est la possibilité d’étudier la variabilité saisonnière de la végétation, les changements à long terme de la couverture terrestre et de fournir ces informations avec une résolution spatiale adaptée.

La cartographie du facteur C par télédétection peut fournir des informations essentielles pour améliorer la modélisation spatiale de l'érosion des sols. Cet outil est de plus en plus populaire pour la collecte de données de surface qui soutiennent la planification de la couverture des sols. La télédétection présente un certain nombre d'avantages par rapport aux méthodes conventionnelles de collecte de données, notamment un faible coût, une analyse rapide et précise des données et moins d'instruments pour les relevés in situ (Gianinetto et al., 2019). En outre, les données de télédétection peuvent être intégrées à un système d'information géographique pour évaluer les changements dans l'utilisation des terres, surveiller les sols et prédire leur érosion.

L'équation universelle de perte en sol USLE (Smith & Wischmeier, 1978) et sa forme révisée RUSLE (Renard et al., 1997) sont couramment utilisées pour calculer la perte moyenne annuelle en sol par unité de surface. Traditionnellement, les équations USLE/RUSLE ont été utilisées à des fins de conservation des sols à l'échelle des parcelles, mais elles ont progressivement été adoptées dans des applications à grande échelle. De plus en plus, RUSLE est également appliqué à une grande variété de conditions d'utilisation des terres non agricoles, y compris les terres forestières perturbées, les décharges, les sites de construction, les sites miniers, les terres récupérées et les terres d'entraînement militaire (Troy et al., 1999; Lu et al., 2004).

Dans cette recherche, le taux potentiel d'érosion du sol est modélisé, en intégrant une version modifiée de RUSLE (Renard et al., 1997) et des images satellitaires multitemporelles. Ce modèle intégré dans un environnement SIG est utilisé pour estimer et analyser les pertes en sol à l’échelle du bassin versant du Loukkos. Il a été ensuite couplé au coefficient de délivrance pour estimer le taux d’envasement du barrage Makhazine à l’aval du dit bassin.

Par comparaison au modèle RUSLE, la possibilité d’exploiter des images satellitaires dans le modèle D-RUSLE permet de fournir une estimation plus détaillée et plus fiable de la perte potentielle en sol. Ce modèle permet également d’étudier les changements saisonniers et la couverture terrestre à long terme, en mettant en évidence l’importance de l'érosivité des pluies et de la couverture végétale dans l'érosion des sols pendant l'automne/hiver et le printemps/été, respectivement.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Le bassin du Loukkos est situé au nord-ouest du Maroc (Figure 1), à environ 35° nord et 5 à 6° ouest. Il couvre une superficie de 1820 km2. Le relief accidenté, les sols imperméables et la densité du drainage donnent un caractère torrentiel à l'écoulement, ce qui augmente la difficulté d'une simulation mensuelle. Le bassin comprend plusieurs zones agricoles d’une grande importance économique dans la région.

Le bassin versant est drainé par l’Oued Loukkos qui débouche dans l’Océan Atlantique au niveau de la ville de Larache. En amont de cette ville, se trouve la confluence du principal affluent de l’Oued Loukkos, l’Oued Makhazine.

Le barrage Makhazine, mis en service en 1979, a une capacité de 773 Mm3. Son bassin d’alimentation reçoit une pluviométrie moyenne de 1130 mm, soit un apport moyen annuel de 760 hm3. Le barrage assure la production de l’énergie hydroélectrique (~65 GWhs/an), l’irrigation (40000 ha), l’alimentation en eau potable des populations et la protection contre les inondations.

Le climat est de type méditerranéen subhumide, avec des précipitations qui débutent entre septembre ou novembre et qui se terminent en mai, mais qui sont très irrégulières d'une année à l'autre.

Figure 1: Situation géographique du bassin versant de Loukkos (Nord du Maroc)

Le bassin versant est composé, à l’Ouest, de plaines à topographie peu marquée, tandis qu’à l’Est, le relief devient plus accidenté et montagneux. En effet l’altitude peut atteindre 1 600 m avec les premiers reliefs de la chaine montagneuse du Rif.

Du point de vue lithologique, les terrains du bassin versant du Loukkos sont constitués d’une alternance de marnes et de grès à l’amont, tandis que les parties ouest et centrale sont constituées de séries marneuses.

Le couvert végétal du bassin versant est caractérisé par la présence de matorrals, typiques des paysages méditerranéens, avec une prédominance de forêts de chêne-liège. La majeure partie du couvert forestier est concentré à l’amont du bassin. Par contraste, l’aval est constitué de plaines fertiles qui soutiennent une agriculture prospère.

Afin de réaliser cette étude, les données de télédétection et les données exogènes ont été exploitées, ainsi qu’un nombre d’outils informatiques. Pour les données de télédétection, nous avons utilisé une série chronologique composée de 140 images collectées par Landsat 4/5TM à une résolution de 30 m, Landsat 7/ETM+ et Landsat 8/OLI au cours de la période 1999-2013. Pour ce qui est des données météorologiques, nous avons utilisé les données satellitaires CHIRPS avec une résolution spatiale de 0,05°.

L'équation universelle de perte en sol révisée (RUSLE) évalue l'interaction entre les différents facteurs responsables du processus d'érosion. A l'origine le modèle RUSLE a été développé pour estimer la perte en sol dans les zones agricoles en pente douce. Tout en conservant l’équation RUSLE original (Renard et al., 1997), nous avons adopté une paramétrisation alternative, appelée RUSLE dynamique (D-RUSLE). Ce dernier inclut les effets de l'intensité des pluies, de la dynamique de la couverture neigeuse et des changements dans le temps de la couverture et de l'utilisation des terres, reflétant ainsi de façon plus réaliste l'érosivité des pluies et l'effet d'abri de la dynamique saisonnière de la neige et de la végétation.

A=R×K×LS×C×P

Où A est la perte annuelle de sol (t/ha/an), R est le facteur d'érosivité des pluies (MJ.mm.ha-1.h-1.an-1), K est le facteur d’érodibilité du sol (t.ha.h.ha-1.MJ-1.mm-1), L est la longueur de la pente (m), S est l’inclinaison de la pente (%), C est le facteur sans dimension de la couverture végétale et des pratiques culturales, et P est le facteur sans dimension de contrôle de l'érosion et des pratiques de conservation du sol.

Facteur d’érosivité de la pluie (R)

L’absence de séries de données de pluviographes a conduit certains auteurs à trouver des relations entre l'érosivité des pluies (R) et les précipitations annuelles. La formule de Renard et Freimund est celle qui donne un résultat satisfaisant de l’érosivité. De plus elle est la plus corrélée avec les résultats de Foster et Wischmeier (Loi, 2019).

R=0,0483×P^(1.610) Si P<850 mm/an

R=587,8-1,219×P+0,004105×P^2 Si P>850mm/an

Où R est l’érosivité des pluies (MJ mm/ha.h.an) et P est la pluie annuelle (mm).

Facteur d’érodibilité du sol (K)

L’absence de données pédologiques détaillées est une contrainte pour le calcul du facteur K. Pour remédier cette contrainte, nous nous sommes basés sur des extrapolations à partir des cartes géologiques existantes. Dans ce sens, une recherche bibliographique a été menée afin de définir les bases pour affecter des valeurs d’érodibilité (K) aux différents substrats géologiques rencontrés dans le bassin versant.

Facteur topographique (LS)

La carte des pentes, générée à partir du MNT, a été utilisée pour l’estimation du facteur LS. Pour ce faire, nous avons utilisé la formule de Wilson et Moore (1992).

LS=〖(flowaccumulation(flowdirection([MNT]))*résolution/22.1)〗^(0.4)×〖(Sin ([pente] * 0.01745) /0.09)〗^(1.3)

Où les flow accumulation et flow direction sont deux fonctions intégrées dans Arc GIS

Facteur du couvert végétal (C)

Le facteur C est directement attribué à partir de la littérature ou des données de terrain dans un profil de culture classifié ou estimé à partir des données NDVI. Dans cette étude, le facteur C est calculé sur la base des séries chronologiques de NDVI.

L'indice de végétation par différence normalisée NDVI (PIR-R)/PIR+R) est construit à partir des canaux rouge (R) et proche infrarouge (PIR). Cet indice qui est sensible à la vigueur et à la quantité de végétation, met en valeur la différence entre la bande visible du rouge et celle du proche infrarouge. NDVI est formulée pour les capteurs utilisés comme suit :

Landsat 8 :NDVI=(Bande 5-Bande 4)/(Bande 5+Bande 4)

Landsat7/5 :NDVI=(Bande 4-Bande 3)/(Bande 4+Bande 3)

Les valeurs de NDVI varient entre -1 et 1; les valeurs élevées représentent la végétation verte et dense et les valeurs faibles représentent les sols nus ou les plans d’eau.

Le facteur C est estimé par la relation de régression suivante (Van Der Kniffe et al., 1999):

C=e^([-α×(NDVI/(β-NDVI))]x)

Oùα et β sont des paramètres déterminants la forme de la courbe de NDVI-C (α = 2 et β = 1).

Facteur des pratiques antiérosives (P)

Pour attribuer des valeurs au facteur P, nous avons exploité les résultats d’une analyse combinée du taux de recouvrement des aménagements biologiques et des degrés de pentes. La spatialisation des aménagements biologiques (boisements et des reboisements) dans la région a été fournie par le HCEFLCD.

Carte des risques d’érosion

La carte des risques d’érosion indiquant le potentiel d’érosion en t/ha/an, a été obtenue en superposant les cinq facteurs de D-RUSLE dans un environnement SIG.

Taux de délivrance SDR

Le taux de délivrance des sédiments (SDR) est une fraction de la perte en sol brute qui est transportée d'une zone donnée dans un intervalle de temps donné. Il s'agit d'une mesure de l'efficacité de transport des sédiments qui prend en compte la quantité de sédiments, effectivement transportée des sources d'érosion à un point de piégeage par rapport à la quantité totale de sol détachée sur la même zone au-dessus de ce point.

Le taux de délivrance des sédiments (SDR) dans un bassin versant donné indique la capacité à stocker et à transporter le sol érodé. Pour estimer ce dernier, de nombreuses relations ont été développées en combinant des caractéristiques physiques variables (indice de compacité, surface, etc.) d’un bassin versant. Mais leur application est limitée à de petits bassins versants avec des données adéquates. Williams et Berndt (1976) ont constaté par exemple que la pente moyenne du chenal d'un cours d'eau est plus significative que d'autres paramètres pour l'estimation du taux de délivrance des sédiments, selon la relation :

SDR = 0.627 × (〖SCS)〗^( 0.403)

Où SCS est la pente en % du canal du cours d'eau principal

Rendement en sédiments et taux d’envasement du barrage Makhazine

Le rendement en sédiments est défini comme la quantité de sédiments effectivement rejetée par le bassin versant (Zouagui et al., 2018). Il correspond à la charge sédimentaire en bas de pente à la sortie des canaux de dérivation de la terrasse ou des bassins sédimentaires étudiés. Il s'agit de la charge sédimentaire normalisée pour la zone de drainage et elle est le résultat net des processus d'érosion et de dépôt dans un bassin versant. Le rendement sédimentaire est déterminé par les facteurs qui contrôlent l'érosion et l'apport de sédiments, notamment la topographie, les propriétés du sol, le climat, la couverture végétale, la morphologie du bassin versant, les caractéristiques du réseau de drainage et l'utilisation des terres.

Étant donné que le rendement sédimentaire n'est généralement pas disponible comme mesure directe, l'estimation du taux de délivrance des sédiments constitue une alternative. Par conséquent, le rendement en sédiments a été calculé en superposant la couche matricielle (raster) de la perte moyenne annuelle en sol obtenue par le modèle D-RUSLE et l’apport de sédiments en fonction de la pente du cours d'eau.

SY=∑_(i=1)^n〖SDR×A〗

Où n est le nombre total de cellules sur le bassin versant, A est la quantité de sol érodé produite dans la zone ième cellule du bassin versant estimé et SDR est la fraction de A qui atteint le canal le plus proche par lequel elle est calculée.

Dégradation spécifique mesurée par bathymétrie

La sédimentation dans les retenues de barrages au Maroc pose fréquemment d'importants problèmes qui réduisent la rentabilité de l'ouvrage (Boutaieb et al., 1988). Dans le but de déterminer le taux d'envasement des retenues, plusieurs méthodes sont adoptées. Certaines sont directes, par mesure du volume total de dépôt piégé au sein de la retenue. D'autres sont indirectes, par le calcul du taux d'ablation des sols, auquel est associé un coefficient de délivrance qui représente le rapport entre le taux des sédiments arrachés au champ et ceux déposés au cours du transport. Parmi les méthodes directes les plus utilisées au Maroc pour déterminer l’envasement, il y a la bathymétrie.

Les campagnes de bathymétrie sont réalisées chaque 3-5 année. Elles permettent ainsi de suivre le rythme d’envasement du barrage, la surveillance des ouvrages et la décision des mesures de protection à prendre.

La transformation de l’envasement moyen annuel en une dégradation spécifique au sein d’un bassin versant est donnée par l’équation suivante (El Mouden et al., 2016):

DS=(Sv×dBD×〖10〗^6)/(TE×Y×Sup)

Où DS est la dégradation spécifique en T/an, Sv est le volume envasé en Mm3, dBD est la densité apparente sèche estimée à 1,3 selon Lahlou (1987), Y est la durée de la période en années et TE est l’efficacité du piège à sédiments.

RÉSULTATS ET DISCUSSIONS

Facteur d’érosivité de la pluie (R)

Le facteur R caractérise la force érosive des pluies sur le sol, soit l'aptitude des pluies à engendrer l'érosion. L'estimation du facteur R requiert la connaissance de l’énergie cinétique et de l'intensité moyenne des gouttes de chaque pluie sur une longue période allant jusqu'à 30 ans.

L’érosivité des pluies au niveau de bassin versant du Loukkos varie entre 244,44 Mj.mm/ha/an pour la première période (1999-2008) et 837,5 Mj.mm/ha/an pour la deuxième (2008-2013). Ainsi, et selon la grille de classement des risques d’agressivité climatique (Tableau 1), nous pouvons conclure que le bassin versant présente un risque élevé pour la première période et un risque très élevé pour la deuxième période. Cela peut être expliqué par la nature du climat très pluvieux dans cette région.

Tableau 1: Erosivité moyenne des pluies dans le bassin versant du Loukkos

Facteur d’érodibilité du sol (K)

Les propriétés hydrologiques, la texture et la teneur en matière organique des sols définissent la vulnérabilité à l'érosion. Cette évaluation se base généralement sur l’interprétation des valeurs du facteur K obtenues.

Les valeurs de l’érodibilité des sols (Tableau 2) sont comprises entre 0,05 (sol sur calcaire) et 0,3 (sol sur gypse) avec une valeur moyenne pondérée de 0,18, ce qui permet de conclure que l’ensemble des sols de ce bassin sont moyennement érodables. Les sols sur marnes sont les plus abondants (40%), suivi des sols sur grès (22,4%), donc plus de la moitié (61.4%) de la surface est constituée de sols sur marnes et grès. Les sols sur calcaire et gypse sont moins représentés (~31.9 km2), soit 1,9% de la superficie totale (Fesonae et Khechba, 2019).

Tableau 2: Erodibilité des sols selon le substrat géologique (Fesonae et Khechba, 2019)

Facteur topographique (LS)

Le traitement du MNT a permis de faire une interpolation des altitudes et de produire la carte des pentes et la carte correspondante du facteur LS. Le facteur topographique LS varie de 0 à 4 pour les terrains plats (plaines et terrasses) et de 20 et plus au niveau des reliefs.

Selon les normes de classement de Manrique (1988) pour le facteur LS, nous pouvons dire que 88,7 % des terres du bassin versant appartiennent à la classe à risque faible et 11,3 % des terres présentent un risque élevé à très élevé.

Facteur de la gestion de la couverture (C)

Le facteur de gestion de la couverture (C) représente l'effet de la végétation, de la couverture du sol, de la biomasse souterraine, des cultures, des activités perturbant le sol et des pratiques de gestion sur l’érosion du sol. En outre, l'utilisation de données de télédétection permet d'estimer la couverture végétale n’importe où avec une couverture satellite. Les valeurs du facteur C sont insuffisantes dans la littérature. En revanche, les images satellites avec une résolution spatio-temporelle adéquate sont disponibles gratuitement sur l'ensemble du territoire marocain, ce qui permet d'estimer le facteur C et la perte en sol à différentes échelles.

S’appuyant sur l’imagerie, l’étude visait à établir une relation entre le NDVI et le facteur C. Par conséquent les images devaient être recueillies. Ensuite, il fallait produire les valeurs du NDVI grâce à l’analyse de ces images. Puis le facteur C devrait être calculé.

Les valeurs NDVI sont comprises entre 0,3 et 0,4, signifiant ainsi que la végétation au niveau du bassin versant est moyennement dense. Cela est d’autant plus vrai que le bassin versant est situé dans l’une des régions les plus arrosées du Maroc (~ 550 mm/an).

Le facteur C est calculé cellule par cellule pour assurer un résultat plus représentatif de l'hétérogénéité du couvert végétal dans la région. Le facteur C obtenu par l'approche conventionnelle surestime les prévisions des pertes en sol du fait qu'il ne prend pas compte de la variation saisonnière de la végétation. Pour remédier à cette déficience, l'approche dynamique qui intègre cette dernière permet également une meilleure estimation de la couverture végétale des zones forestières à différents stades de régénération. Ceci se traduit au niveau des sols par des niveaux distincts de protection.

Tableau 3: Valeurs moyennes du facteur C au niveau du bassin versant du Loukkos

On constate que le facteur C diminue de la première à la deuxième période (Tableau 3), ce qui peut expliquer que la végétation n'est pas le facteur qui a affecté le plus les sols. Au contraire, la couverture végétale, en raison de sa capacité à résister aux pluies de forte intensité attendues avec le changement climatique, a permis d’avoir des sols à faible potentiel d'érosion. Ce qui nous amène à conclure que l'augmentation de la dégradation spécifique, résultant de l’érosion des sols, est due à un autre facteur.

Facteur des pratiques antiérosives (P)

Le tableau 4 montre l’importance spatiale des aménagements biologiques (reboisements) dans le bassin versant étudié. Ces aménagements peuvent influencer considérablement l’hydrologie du bassin et par conséquent l’arrivée des sédiments dans sa retenue. De par leur enracinement, leur allure (port et hauteur), leur feuillage et leur densité, les arbres sur une zone donnée peuvent baisser de manière significative les taux de pertes en sol (Rosse, 1994).

Tableau 4: Facteur d’aménagement P par essence forestière dans le bassin versant du Loukkos (Fesonae et Khechba, 2019).

Estimation des pertes en sol

Les cartes de pertes en sol ont été générées en superposant toutes les couches des facteurs de RUSLE (Figures 2 à 8) des deux périodes. Par conséquent, chaque pixel de la carte possède une valeur unique qui correspond à son érosion potentielle. Les résultats indiquent que le bassin versant du Loukkos subit une perte moyenne annuelle en sol de 101,19 t/ha/an au cours de la première période (1999-2008) et de 174,5 t/ha/an pendant la deuxième période (2008-2013).

Figure 2: Carte de l’érosivité des pluies (R) (1999-2008) Figure 3: Carte de l’érosivité des pluies (R) (2008-2013)

Figure 4: Carte de l’érodibilité du sol (K) Figure 5: Carte du facteur topographique (LS)

Figure 6: Carte du facteur C (1999-2008) Figure 7: Carte du facteur C (2008-2013)

Figure 8: Carte du facteur d’aménagement P

Sur la base de la classification utilisée par Panditharathne et al. (2019), l’érosion du sol estimée a été classée en trois catégories, à savoir faible (<5t/ha/an), modérée (5-12 t/ha/an) et forte (>12t/ha/an). Le bassin versant étudié a vraisemblablement souffert d'une érosion d'intensité modérée dans la première période et d'une érosion d'intensité élevée dans la seconde période.

Le facteur d'érosivité a une valeur de 244,44 Mj.mm/ha/an pour la première période et une valeur de 837,50 Mj.mm/ha/an pour la deuxième période. Cette variation notable entre les périodes montre que ce facteur reste le principal déterminant de la perte en sol dans le bassin versant du Loukkos. Notons que l'érosion des sols la plus grave est apparue dans les zones de hautes altitudes à pentes raides.

Au contraire, les autres facteurs du modèle demeurent comparables entre les deux périodes. C’est le cas du facteur de couverture végétale qui est une variable dynamique estimée en utilisant uniquement les données de télédétection. A l’inverse de la modélisation classique du facteur de couverture végétale, les données satellitaires permettent d'inclure sa dynamique saisonnière et interannuelle. Le facteur C avarié de 0,36 pour la première période à 0,31 pour la seconde, ce qui montre que ce facteur n’est pas le principal responsable de l'augmentation des pertes en sol dans le bassin versant du Loukkos. Pour mieux illustrer et apprécier les résultats, nous avons opté pour un regroupement des données par classe de pertes en sol, inspiré des études antérieures (Tahri et al., 1993).

En comparant l'intensité de l'érosion entre les deux périodes (Figure 9 & 10), nous avons observé qu'il y a un passage progressif de la classe de potentiel d'érosion modérée (1999-2008) à la classe de potentiel d'érosion élevée (2008-2013). De la première à la deuxième période, la superficie des zones à classes de potentiel d'érosion élevé et moyen augmente, tandis que les zones à classes de potentiel d'érosion faible et très faible diminuent.

Figure 9: Carte des pertes en sol pour la période (1999-2008) Figure 10: Carte des pertes en sol pour la période (2008-2013)

Évaluation du taux de délivrance des sédiments (SDR)

La carte du taux de délivrance des sédiments (SDR) a été produite en calculant la pente moyenne du cours d'eau principal pour chaque cellule dans la trajectoire décroissante en utilisant HEC GeoHMS 10.2. Ainsi, la pente moyenne du cours principal est 0.08%.

Tableau 5: Taux de délivrance des sédiments par sous bassin au niveau du bassin versant du Loukkos

Les valeurs de SDR (Tableau 5) ont été calculées à l'aide des outils de traitement géographique et du calcul matriciel sous Arc GIS. Elles varient de 0,15 (sous bassin 6) à 0,33 (sous bassin 8). Cela signifie que dans le bassin versant du Loukkos, les matériaux érodés passant par le canal et contribuant à la production des sédiments, varient de 15 à 33%.

A l’amont du bassin versant du Loukkos, plus abrupt et plus étroit, 33 % des particules du sol érodé passent dans le réseau hydrographique et sont acheminées vers l'exutoire. C'est ce qui explique que cette partie du bassin versant a une grande capacité de transport des matériaux érodés, mais une capacité de stockage faible. Alors que dans la partie la plus évasée du bassin, en aval, seulement 15 % de la perte brute en sol est acheminée vers la sortie du bassin versant. Cela signifie que 85 % des matériaux érodés sont déposés à nouveau dans le bassin versant. On conclut ainsi que la partie aval du bassin versant a une excellente capacité de stockage des sédiments car les cours d'eau ont une moindre capacité de transport de sédiments.

La capacité de délivrance moyenne des sédiments au niveau du bassin versant du Loukkos est d'environ 0,22. Cela indique qu'en moyenne 22 % des matériaux du sol érodé pourraient être acheminés vers l’exutoire et que 78 % des matériaux du sol érodé sont redéposés dans le bassin versant.

Evaluation du rendement sédimentaire (SY)

Le rendement sédimentaire (Figures 11 & 12) a été quantifié à l'aide du modèle SDR basé sur la pente du cours d’eau principal exprimée en pourcentage de l'érosion annuelle du sol par l'eau estimée par RUSLE qui est délivrée à un point particulier du système de drainage.

En conséquence, la perte moyenne annuelle en sol dans le bassin versant du Loukkos a été estimée à 22,56 t/ha/an pour la première période et à 40,58 t/ha/an pour la deuxième (Tableau 6).

Tableau 6: Dégradation spécifique calculée par taux de délivrance

Dégradation spécifique estimée par levés bathymétriques

Les données bathymétriques recueillies par Fesonae et Khechba (2019) auprès de l'Agence du Bassin Hydraulique (ABHL) ont été converties en dégradation spécifique pour les deux périodes d'étude (Tableau 7). La comparaison entre les deux périodes a montré que la dégradation spécifique au cours de la deuxième période (2009-2013) dépasse celle de la première période (2000-2008) d'environ 18 tonnes par hectare et par an. Cela prouve que dans le bassin versant du Loukkos, la deuxième période a été la plus érosive.

Tableau 7: Dégradation spécifique estimée par bathymétrie (Fesonae et Khechba, 2019)

Comparaison entre la dégradation spécifique calculée et mesurée

Après avoir intégré les différents facteurs de l'équation universelle de perte en sol dans un SIG, nous avons calculé la dégradation spécifique et les pertes en sol au niveau du bassin versant du Loukkos en mettant en œuvre le modèle RUSLE dynamique.

Le calcul du taux de délivrance nous a permis d’estimer la quantité totale de sédiments délivrés au barrage Makhazine (Tableau 8).

Tableau 8: Comparaison de la dégradation spécifique calculée par taux de délivrance et la dégradation spécifique mesurée par bathymétrie

Il ressort clairement que ces valeurs sont très proches de celles mesurées par les levés bathymétriques au niveau de la retenue du barrage Makhazine et que la différence de 2 t/ha/an constatée est expliquée par le fait qu’une partie des sédiments n’est pas piégée dans la retenue du barrage et pourrait continuer sa course dans le fleuve.

Ceci est justifié par le fait que les pertes en sol calculées au niveau du bassin ne représentent que la quantité de sédiments détachés. Cependant, seule une partie de ces pertes atteint le barrage et contribue effectivement à son envasement. Par conséquent, la quantité de sédiments transportés vers le barrage sera alors déduite à partir du taux de délivrance des sédiments.

Figure 11: Carte du coefficient de délivrance par sous bassin Figure 12: Carte du rendement sédimentaire par sous bassin

CONCLUSION

Dans cette étude, nous avons utilisé le modèle dynamique RUSLE (D-RUSLE) pour estimer les taux potentiels d'érosion des sols et nous avons testé ses performances dans le bassin versant du Loukkos, où le climat et les transformations naturelles et anthropiques des terres contribuent à la dégradation des sols. L'exploitation des images satellitaires a permis de simuler la variabilité intra et interannuelle des paramètres d'utilisation des terres et de couverture des sols, en mettant en évidence l'érosivité des pluies et la couverture végétale comme facteurs déterminant l'érosion des sols.

Cette étude a permis aussi d’examiner la pertinence du modèle D-RUSLE et du taux de délivrance SDR pour la prévision des zones à haut risque pour la mobilisation et la production des sédiments à l'échelle du bassin versant. Une prévision précise du SDR est importante pour contrôler les sédiments afin d’assurer une gestion durable des ressources naturelles et la protection de l'environnement.

Les résultats obtenus révèlent que le bassin versant du Loukkos connaît une perte moyenne annuelle en sol d'environ 101,19 t/ha/an au cours de la première période (1999-2008) et de 174,52 t/ha/an au cours de la deuxième période (2008-2013). En outre, les volumes de sédiments évalués par les levés bathymétriques ont été comparés avec le rendement sédimentaire. Pour un taux de délivrance de 22,19 %, la quantité moyenne de sédiments délivrée à l’exutoire est de 22,56 t/ha/an pour la première période et de 40,58 t/ha/an pour la seconde. Ces valeurs sont inférieures aux valeurs des relevés bathymétriques du barrage de Makhazine par une différence d'environ 2 t/ha qui est expliquée .par le fait qu'une partie des sédiments n’est pas piégée dans la retenue du barrage et pourrait continuer sa course dans le fleuve.

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Publié-e

15-12-2021

Numéro

Rubrique

Érosion et Dégradation des Sols